Acte II
Nous sommes désormais dans notre voiture, sur le chemin du retour. Oh, le voyage n’est pas très long : dix, quinze minutes tout au plus. Nous n’avons rien dit durant le trajet. La douceur et le silence de la maison sont accueillants. Le déshabillage est plus que rapide. Nous ne nous cachons plus depuis longtemps. Les draps sont frais, et c’est le prétexte que tu invoques pour venir te coller contre moi. Je ne suis pas dupe, mais je joue le jeu. Enfin, un autre jeu que celui que mes doigts entament, là, dans l’intimité de ce lit qui nous connaît depuis tant de temps.
Il ne te faut que quelques secondes pour réactiver ce feu qui couve en moi. Je garde encore l’humidité de cette soirée au fond de mon ventre. Juste un baiser, et déjà le brasier se rallume, m’obligeant à me tortiller comme un ver sous ta main qui trouve si bien les sentiers interdits. Je me livre à toi. Tu me délivres de mes attentes en plongeant ta langue partout où ta bouche peut accéder. Si le chemin est trop compliqué, je me contorsionne pour lui faciliter le passage. Le résultat n’en est que meilleur. Je râle sous cette bouche, ces doigts qui s’activent à me donner du plaisir.
Bien entendu, je ne laisse
pas ma part au chat et je participe activement à cette frénésie, à
cette débauche de caresses qui nous secoue. Je garde longuement en main
cette excroissance chaude à la tête de velours, et mes lèvres aussi
s’appliquent à lui démontrer qu’elle me plaît sous cette forme-là
surtout. Nous n’obtenons que ce que nous méritons, et finalement la
délivrance pour l’un et l’autre, c’est dans un accouplement magistral
qu’elle nous arrive. Quand retombe le silence de la nuit, nous sommes
repus, et c’est dans les bras l’un de l’autre que le sommeil nous
emporte vers un autre jour.
—oooOooo—
Le
matin calme te renvoie à tes occupations ; les miennes sont plus
domestiques, pour quelques semaines encore. Nous nous sommes juste fait
un bisou matinal. Alors, un coup d’œil sur le lac, et je me dis qu’une
balade serait la bienvenue. Sur la table, tu as déposé le mot du gamin
d’hier soir :
Madame, Monsieur,
Comment vous dire
merci pour cette envolée de bonheur, pour cet intermède musical dans une
soirée qui m’a donné un plaisir infini ?
Je vais me retrouver seul
dès que mes gens seront partis. Mais je garderai le souvenir de votre
musique et de votre gentil couple. Voici mon adresse, et si d’aventure
vous aviez l’occasion de passer par là… Qui sait ?
Je sais encore faire le café, et ma mirabelle est une des meilleures du coin !
Bien à vous,
Gustave
Suit,
bien sûr, l’adresse du vieil homme. Je suis surprise de voir que,
finalement, ce n’est pas très éloigné de notre chalet. J’oublie tout
cela dans les tâches journalières peu valorisantes ; mais qui pourrait,
qui saurait vivre sans cette intendance obligatoire ? Notre déjeuner est
toujours un moment de pur bonheur. D’abord, parce que tu rentres et que
ta compagnie m’est toujours aussi indispensable. Le café à peine
terminé, c’est presque à regret que je te vois repartir pour ton bureau.
J’aurais bien fait une petite sieste améliorée…
Quatorze heures !
C’est encore bien loin de dix-huit, et je me dis qu’un petit tour en
ville me ferait le plus grand bien. Gérardmer n’est pas très étendu et
je flâne au milieu de ces badauds venus de partout : la saison
touristique bat son plein. Les tenues les plus bizarres côtoient les
costumes bien taillés ; les gens vont et viennent sans se préoccuper de
rien. Mais c’est ma ville, mes trottoirs, et mes pas m’entraînent chez
Aline et Francis. Le restaurant est fermé le lundi. Tant pis, il me faut
rentrer maintenant.
Aucune envie de revenir au chalet, surtout
vide encore pour quelques heures, sans toi. Alors je prends soudain la
décision d’aller en visite chez Gustave. La route qui monte au col de
Grosse Pierre, puis c’est la longue plongée sur le village de La Bresse.
« La vallée des corbeaux », ainsi appelée pour d’obscures raisons par
les vrais Vosgiens. J’ai vite trouvé le petit chemin à peine carrossable
qui mène à la maison dont j’aperçois le toit de tuiles rouges.
J’ai
quand même quelques scrupules à venir ainsi sans prévenir, déranger un
vieil homme qui ne m’attend pas. Alors que je suis prête à faire
demi-tour, je suis déjà devant la maison. Une belle chaumière, bien
entretenue, pelouses bien tondues, des arbres fruitiers dont les fruits
pendent des branches. Des pommes et des poires sont là, tentantes mais
encore trop vertes pour être dégustées. Puis le perron surmontant trois
marches en granit gris, pierre d’ici. Dans l’encadrement de la porte,
Gustave qui regarde ma voiture approcher.
En bras de chemise, il me paraît plus grand qu’hier soir. À ma vue, je vois s’afficher sur son visage un large sourire.
—
Ah ! C’est donc vous ! Mon Dieu, vous êtes encore plus jolie à la
lumière naturelle, Madame. Et pardonnez-moi, mais je n’ai pas osé
demander votre prénom pendant que vous jouiez du piano presque pour moi.
—
C’est vrai. Je m’appelle Claude, et mon mari qui m’accompagnait hier
soir, c’est Michel. J’ai eu envie de votre fameux café ; votre
mirabelle, je la laisse aux hommes qui vous visitent.
— Alors voilà :
ici, c’est mon petit paradis. Nous y avons mis tout notre cœur,
Madeleine et moi, et c’est dans cet endroit qu’elle me suit partout. Je
sens son parfum, je lui parle tout le temps, et il n’y a personne pour
me traiter de fou parce que je cause tout seul. Elle est là et je sens
sa présence dans chaque arbre, dans chaque souffle du vent. La maison
aussi respire par tous ses pores sa présence.
— Comme j’aime vous entendre en parler comme ça… Vous avez dû beaucoup l’aimer.
—
Mais vous connaissez sûrement le même amour avec Michel : je l’ai lu
dans vos regards, dans ces petits gestes attentionnés qu’il avait envers
vous, cette manière si particulière des amants qui se connaissent, qui
se reconnaissent sans un mot, juste par un effleurement.
— Si nous parlions de votre café ?
— Oui ; entrons. Je manque à tous mes devoirs ; j’ai envie d’en savoir davantage sur vous, votre vie, vos passions.
L’intérieur
est à l’image du maître de maison. Solide et rassurant, et sur la
poutre de la cheminée, une photo d’une jolie femme. Madeleine, sans
doute… Des cheveux mi-longs châtains encadrant un visage mangé par des
yeux d’un bleu sombre : je comprends les regrets de cet homme pour cette
merveilleuse créature. Le café est traditionnel, coulé dans une
cafetière hors d’âge, mais c’est vrai qu’il est excellent. Je remarque
aussi les mains fines de Gustave qui s’activent, histoire de me faire
plaisir, se battant avec une boîte contenant un gâteau acheté dans un
supermarché.
— Je suis désolé ; mais je n’ai guère de visiteurs,
et si vous m’aviez prévenu, vous auriez eu le plaisir de déguster ma
célèbre tarte aux « brimbelles ».
— Mais c’est parfait, je ne suis pas trop gourmande.
Il
s’installe face à moi et ses yeux ne me quittent plus. Nous parlons de
sa vie ici dans cette montagne vosgienne, de cette maison qui lui tient
tant à cœur. Et tout doucement, il m’apprivoise ; je me sens étrangement
calme. Pas un geste déplacé, pas un mot qui pourrait me sembler ambigu.
Et c’est drôle, j’ai l’impression que je suis devant toi, devant toi
dans quelques années. Si nous vivons assez vieux pour cela, j’aimerais
que tu lui ressembles. Et son sourire est calme, sans être salace : un
vrai moment de sérénité.
Il me regarde comme un homme regarde une femme, mais avec respect et tendresse.
—
Vous êtes belle ; j’envie Michel ! Si vous l’aviez connue, ma
Madeleine… Elle vous ressemblait par bien des côtés. Je la retrouve dans
chacun de vos gestes, comme si elle était revenue pour moi, une
dernière fois.
— C’est gentil ; et comme vous avez dû l’aimer, votre femme…
—
Oh pour ça, oui ! Nous avons tout partagé, elle et moi. Mais elle m’a
laissé seul un matin de janvier. Depuis, je n’ai plus vu aucune femme ;
vous êtes l’exception qui confirme cette règle.
Il perd son
regard dans un infini que lui seul parcourt. Je ne dis plus un mot, de
peur de lui faire du mal. Et ses yeux vont et viennent, suivant la
courbe de la montagne adossée à la maison. Sa main, sans bruit, s’est
juste posée à quelques centimètres de la mienne. Je ne bronche pas, le
laissant dans ses souvenirs, ne voulant absolument pas le sortir de ses
rêves. Quand ses doigts frôlent les miens, je ne bouge toujours pas. Ses
lèvres tremblent un peu, mais aucun son ne sort de celles-ci. Puis,
dans un sursaut, au prix d’un incroyable effort, il revient dans le
monde où nous sommes, lui et moi.
— Pardonnez-moi ; pendant un
instant, j’ai eu l’impression que Madeleine était de nouveau près de
moi. Je ne voudrais pas vous effrayer, mais vous êtes… tellement elle !
Nous
nous quittons, Gustave et moi, mais il me fait promettre de revenir le
voir. Je garde l’empreinte étrange de cette visite. Le soir, alors que
nous bavardons toi et moi, j’omets de te parler de cette escapade,
gardant jalousement enfoui au plus profond de moi ce jardin secret. Il
ne s’est rien passé entre nous, mais l’image du vieil homme me trotte
dans la tête. Je sais aussi que c’est une erreur de me taire mais…
Ce
matin, le soleil est radieux. Tu ne rentreras pas pour le déjeuner :
ton travail te retient à Nancy. Je suis tristounette de cette solitude.
J’appelle comme ça, sans arrière-pensée, mon nouvel ami. Gustave me
propose de rompre cette solitude en venant déjeuner avec lui. Malgré
quelques hésitations, j’accepte finalement. Je prends au passage une
bouteille de Bourgogne à la cave, puis je file sur La Bresse. À mon
arrivée, il est devant la maison, son tee-shirt mouillé de sueur.
— Ce genre de travaux, c’est plus trop de mon âge ! Vous voyez, Claude : je transpire pour trois fois rien.
—
Ce n’est rien. Nous aussi, nous avons une grande maison à entretenir.
Tenez ! J’ai apporté de quoi se faire plaisir au déjeuner.
— Hé,
c’est que c’est du bon… Vous m’attendez un instant, juste le temps de
prendre une douche. Installez-vous là, sur la terrasse ; je n’en ai que
pour une minute.
— Faites donc, faites. Ne vous précipitez pas : je vais en profiter pour visiter votre verger. Il est beau !
Gustave
entre dans la maison, la porte du garage restant ouverte. J’entends
bien vite l’eau qui coule et je me lève pour faire le tour des arbres
chargés de fruits encore verts. Quand je passe devant une petite
fenêtre, j’aperçois son torse nu et ses mains qui le savonnent. Je
m’arrête, quelque part un peu gênée de jouer ainsi à la voyeuse. Mais
mes yeux ne quittent pas ce corps noueux, qui garde de beaux restes. Les
doigts vigoureux vont et viennent des épaules à la taille, puis se
perdent dans des endroits que je ne vois pas.
C’est là que,
curieuse, je fais un pas vers cette fenêtre qui m’attire. L’angle change
soudain, et c’est une paire de fesses encore belles qui entre dans mon
champ de vision. Puis, comme il se tourne tranquillement sans savoir que
je l’observe, c’est un sexe au repos que ses mains frictionnent avec
ardeur. Mes yeux restent rivés sur cet engin, qui pourtant n’a rien
d’exceptionnel. Il n’a pas l’ombre d’un soubresaut quand les doigts
décalottent le gland pour le frotter avec le savon.
«
Qu’est-ce qui se passe en moi ? Je deviens complètement folle ! Cet
homme qui se lave, cet homme-là, s’il te surprend, que va-t-il penser de
toi ? » Pourtant je n’arrive pas à détacher mes yeux de cette chose
rose et de ces bourses qui – je dois bien me l’avouer – me donnent
envie. Je ne peux même pas invoquer le manque, puisque Michel m’a fait
l’amour avant de se lever ce matin. Alors, pourquoi ? Qu’est-ce qui me
prend ? Je deviens folle ! Folle d’avoir envie de sentir cette… cette
chose dans ma main. Ou ailleurs, aussi !
Je fais demi-tour et
reviens m’asseoir sagement sur la balancelle de la terrasse. Voilà que
Gustave revient tout habillé de propre. Pantalon de velours marron et
chemise paysanne en toile. Il a l’air d’avoir vingt ans de moins, ainsi
bien mis.
— Vous voulez boire quelque chose ? Pour ce midi, j’ai
mis à cuire du lard fumé et des saucisses. Vous n’avez rien non plus
contre les haricots verts du jardin ?
— Non : ce sera parfait. J’aime les produits locaux.
—
Parlez-moi un peu de vous ; de votre vie avec votre Michel. Vous savez,
ma Madeleine et moi avons aimé certaines façons un peu spéciales de
vivre… Comme vous lui ressemblez un peu, je me suis demandé si vous
aussi auriez aimé les jeux auxquels nous nous livrions.
— Des jeux ?
Vous m’intriguez, maintenant. Michel et moi sommes un couple plutôt
classique. Mais nous nous entendons bien ; sur tous les plans.
— Nous
ne détestions pas pimenter nos soirées de temps en temps, mais ça
restait toujours un jeu. Vous voyez ce que je veux dire ?
— Non… Mais expliquez-moi.
— Ben, par exemple, elle aimait regarder. Mais vous aussi, n’est-ce pas ?
— Ah bon ! Comment pouvez-vous dire cela ?
—
Facile, cela ! Il y a un miroir dans la salle de bain, et j’ai vu votre
reflet dans celui-ci alors que j’étais sous la douche. Mais
rassurez-vous, j’ai aimé vous savoir là.
Je dois rougir sous la
honte soudaine. Mais Gustave garde un ton bon enfant pour me dire qu’il
m’a vue alors que je l’épiais se lavant. Je ne sais plus où me mettre.
Puis il continue ses explications.
— Madeleine adorait avoir les
yeux bandés et être attachée. Elle aimait m’être un peu soumise. Rien de
bien méchant : juste cette excitation provoquée par des liens, ou des
situations hors normes. Vous n’avez jamais essayé ? Avec votre mari ?
— Non.
J’en
perds presque ma voix. Les mots restent comme étranglés dans ma gorge,
soudainement très sèche. Lui me regarde sans malice, l’air seulement un
peu plus sérieux.
— Je peux te tutoyer, Claude ?
— Oui, bien sûr.
— Tu n’aimerais pas une fois essayer ? Juste comme ça… Juste pour que ce soit différent.
— Je… je n’en sais rien. L’idée ne m’est jamais venue.
— Si je te le demande, feras-tu ce que je te demande ?
— Je n’en sais rien ; j’ai un peu la trouille ! Et je ne veux pas tromper Michel.
— Qui te parle de sexe ? Je te parle juste d’obéir et de voir où cela nous mène.
Il
a les yeux dans les miens et je me sens mal à l’aise. Je n’ai pas
franchement peur ; je ne sais seulement plus quoi dire. Il reste planté
du regard au fond de moi, lisant en moi comme dans son journal. Mais ce
creux au fond de mon ventre, cette crispation de mes tripes alors que je
le laisse entrer dans mon âme, je n’arrive pas à détourner le regard.
— Mets-toi debout. Je veux te regarder debout devant moi. Allons, un effort ; je ne vais pas te manger…
Je
n’ai plus de forces. Ou plutôt, plus de volonté. Il vient de me dire de
me mettre debout, mais d’un ton égal, sans aucune violence dans la
voix. Ses yeux brillent maintenant d’un éclat métallique, bleu acier. Je
tremble sur mes jambes ! Mais pourquoi est-ce que je me mets debout ?
Je ne le sais pas moi-même. Sa volonté a pris le pas sur mon
libre-arbitre. Il décide pour moi. Il dit et je fais. Je n’ai rien d’une
soumise, pourtant… C’est juste que je n’arrive pas à lui résister
mentalement.
— C’est bien. Tu vois, Claude, c’est tellement
simple… Maintenant donne-moi ta main. Tu vas me suivre sans rien dire,
juste me suivre. Tu as ma parole que je ne ferai rien que tu ne veuilles
faire. Tu es d’accord ? Eh bien, réponds ! N’aie aucune crainte.
— Oui, je veux bien vous suivre ; je vous fais confiance.
Ce
n’est pas la mienne, cette voix qui vient de prononcer ces mots-là. Il a
mis sa main sur la mienne et il m’attire vers l’intérieur de la maison.
Nous voilà dans le salon : poutres apparentes, âtre vide (nous sommes
en été) ; un long canapé de velours grenat, deux fauteuils assortis, la
grande baie vitrée qui donne sur la vallée et, dans le fond, près d’un
meuble en chêne, une petite porte à peine visible. Gustave, sans
hésiter, pousse la porte, et sans bruit elle tourne sur ses gonds. Il
m’attire derrière lui et nous arrivons dans une pièce minuscule.
Pas
de fenêtre, pas de meubles : juste quelques anneaux aux murs et
d’étranges appareils que je n’identifie pas immédiatement. Une sorte de
pouf qui prend un tiers de la place et, de part et d’autre de celui-ci,
d’autres anneaux fixés dans le sol carrelé. Les murs sont tendus d’une
sorte de tissu d’un rouge sombre, et sur le plus long – qui doit être
celui donnant sur l’extérieur – un X de bois fixé sur la tenture. Là
encore, des chaînes qui pendent du haut de cette croix de bois. J’ai
vite saisi qu’elle sert à attacher les mains et les pieds.
— Ici,
c’était le royaume de ma Madeleine. Il n’a plus jamais été ouvert
depuis qu’elle est partie. Personne d’autre que toi et moi n’en connaît
l’existence. Cette pièce a vu tant de nos jeux qu’elle en garde le
souvenir. Ça te plairait de tenter une fois au moins l’expérience ?
— … !
—
Tu es bien muette, soudain… Tu t’imaginais que je n’avais pas eu de
vie, avant ? Tu vois, les jardins secrets sont parfois autres que ce que
l’on peut les imaginer. Je suis sûr que tu es faite pour cette petite
chambre : c’est à toi de décider. Ton destin est entre tes mains. Et
comme je n’ai qu’une parole, il ne te sera rien fait que tu ne veuilles.
Je
baisse la tête ; je ne trouve pas de mots pour répondre à cette
invitation à peine voilée. Il a toujours ma main dans la sienne.
Cependant, pas un geste pour m’envoyer vers ces objets bizarres ; pas un
mouvement pour me forcer à aller plus loin. Il me regarde, me sourit
doucement. Mon cœur bat plus fort et je suis partagée entre l’envie de
fuir à toutes jambes cet endroit et le désir de savoir, d’essayer, de
connaître autre chose. Il ne dit plus rien, se contentant seulement
d’exercer une plus grande pression sur mes doigts.
— Je voudrais
bien essayer, oui. Mais j’aimerais que Michel soit avec moi. Au moins
pour les premiers pas dans ce domaine. Pas certain non plus qu’il soit
d’accord.
— C’est ton choix : tu lui en parles et vous décidez
ensemble. Je te comprends parfaitement, et je respecte ta position.
Viens, maintenant ; allons déjeuner. Tu veux bien ?
— Oui, bien sûr que je veux bien. Vous m’avez mis l’eau à la bouche, avec vos haricots !
— Dommage que tu ne l’aies pas encore pour autre chose, et ailleurs aussi, du reste !
— Ça viendra peut-être ; qui sait ?
— Allez, viens. Passons à table.
Le
repas est pris en devisant gentiment. Il m’explique que Madeleine,
réticente au début, avait aimé à un tel point que c’est elle qui
réclamait ensuite des séances qu’elle trouvait trop espacées. Il me
raconte leurs jeux à tous les deux, pratiqués dans le secret de leur
petite chambre borgne. Il arrive presque à me donner envie. Mais, dans
ma tête à moi, tourne la vision de mon corps de femme attaché à cette
croix, et je sens que je mouille déjà rien que d’y penser. C’est ainsi
que je repars, en fin d’après-midi, pour t’attendre à la maison.
—oooOooo—
Plusieurs
jours passent sans que je ne sache sur quel pied danser. Te demander
d’aller voir Gustave, te dire ce qu’il voudrait ? Combien c’est
difficile ! Déjà, il me faut dans ma tête chercher les mots appropriés,
puis ensuite te raconter toute l’histoire. Mais comment prendras-tu cela
? Je me traite d’idiote de ne pas t’avoir dit que j’étais allée voir à
deux reprises ce vieil homme rencontré chez Aline et Francis. Comment
expliquer que j’aurais envie de… d’une expérience si différente ?
J’attends
encore quelques soirs, perfide sans doute, te faisant l’amour avec
rage, hargne, déchaînée par les images qui flottent dans ma tête. Je ne
cherche plus à trouver une excuse quelconque : j’espère juste que
l’instant propice arrivera pour que je puisse dévoiler mon jeu.
C’est
un jeudi soir que tout se déclenche. Pourquoi ce soir-là ? Je ne peux
répondre à cette question. C’est sans doute que lors d’un moment de
jouissance extrême, alors que tu me prends en levrette, je te demande à
brûle-pourpoint :
— Donne-moi une fessée ! Oh, Michel… Vas-y,
claque-moi les fesses ! Rougis-moi le cul ! J’ai envie que tes mains me
frictionnent plus durement !
— Tes désirs sont presque des ordres…
Tu
as dit cela en riant aux éclats, et ta main vient frôler les formes
rebondies que je tends le plus possible vers ton ventre. Et dans la
chambre, sous tes coups de boutoir, hystérique, je me mets à hurler.
— Plus fort ! Fesse-moi plus fort ! Oh, fais-moi presque mal !
Comme
un zombie, en transe, tu te mets à me donner des claques plus sonores
que douloureuses sur ce cul qui t’appartient. Tu frappes au rythme de
tes entrées et sorties, donnant le meilleur de toi dans cette jouissance
expressive, et nous partons dans un délire différent. C’est incroyable ;
des images folles défilent derrière mes paupières closes et mon souffle
devient râle alors que tu laisses échapper de petits gémissements qui
en disent long sur tes envies.
Tout se calme ensuite alors que,
couchée sur le ventre, tu restes en moi, attendant seulement sans faire
un geste que ton sexe sorte de lui-même en ramollissant doucement. Je
fais tout pour le garder au plus profond de moi le plus longtemps
possible. Mes efforts sont pourtant vains, et lentement je sens la bite
qui s’échappe, entraînant dans ma gorge la montée d’un soupir de
tristesse. Tu me gardes enlacée contre ton torse ; j’aime ça.
—
C’est drôle… J’ai aimé ce que tu m’as demandé. Mais j’avais quand même
peur de te faire mal, et tu as failli me faire débander, avec tes
histoires de te claquer les fesses rudement.
— Que c’était bon ! Ne
me dis pas que tu n’as pas aimé ; je sais faire la différence : tu
bandais comme un âne ! Et encore plus quand je t’ai demandé une fessée.
Quant à moi, tu as bien senti, non ? Quel pied j’ai pris ! J’aimerais
bien réessayer cela, en plus corsé peut-être.
Tu me serres plus
fort contre toi, prenant sans doute mes derniers spasmes pour des
frissons de froid. Je me tourne vers toi ; nos lèvres maintenant
s’unissent de nouveau dans un baiser passionné. Je sais que c’est le bon
moment. Il n’y aura pas de seconde chance : c’est maintenant ou jamais !
Je dois te parler de ce que je voudrais. Alors, comme une naufragée, je
me jette à l’eau.
— Tu vois, Michel, j’ai aimé à la folie ce que
nous venons de faire. Tu te souviens de ce vieux monsieur que nous
avions rencontré chez Aline et Francis ?
— Gustave ; tu veux parler de Gustave ?
—
Oui, lui. Eh bien, je l’ai revu deux fois chez lui. Non, ne t’énerve
pas ! Il m’a reçue en tout bien tout honneur. Ne va pas t’imaginer que
je t’ai trompé ou quelque chose dans ce goût-là : nous avons juste
discuté de sa maison, de sa Madeleine, de ce qu’ils ont vécu ensemble,
de leur passion.
— Tu m’annonces froidement que tu vois un autre homme, et je dois me contenter de cela ?
—
Tu me connais assez pour savoir que je ne sais pas mentir ! Si je te
dis qu’il ne s’est rien passé entre lui et moi, c’est que c’est la
vérité.
— Bon ; mais où veux-tu en venir ? Allez, vas-y, parce que si
tu m’en parles ce soir, c’est qu’il y a un « mais ». Accouche ! Dis-moi
ce que tu as sur le cœur. Ce que tu veux vraiment.
— Il m’a fait visiter une chambre très particulière ; mon seul souhait serait que tu la voies.
— Une chambre ? Et tu jures qu’il ne s’est rien passé entre vous ? Me prends-tu pour un crétin, ou pire, un con ?
—
Mais non ! Oui, je l’affirme : il n’y a rien entre lui et moi. Cette
petite pièce secrète ne lui a servi qu’avec sa femme ; et moi, elle me
plaît bien… J’aimerais que tu voies cela et que tu en parles avec
Gustave. Bon sang, cela fait combien d’années que nous vivons ensemble ?
Tu me connais comme personne. Je n’ai jamais rien demandé d’autre que
cet amour que tu as pour moi. Je voudrais pour une fois que tu me fasses
ce plaisir de vivre, au moins une soirée, autre chose avec moi.
— Et lui, tu en fais quoi ? Gustave, lui, il reste les bras croisés ?
—
Ce sera juste à toi de décider. Ce soir-là, je t’appartiendrai corps et
âme. Que veux-tu que je te dise de mieux ? Je t’aime ; et de cela, tu
n’as pas le droit de douter !
— Bon. Éteins la lumière et laisse-moi dormir.
— Je n’ai pas droit à un dernier baiser ? C’est nouveau…
— Ça va ! Lâche-moi avec tes droits ou devoirs ; j’ai besoin de calme. D’accord ?
Les
dés sont jetés. Tu es maintenant endormi, ou tu fais semblant. Ta
respiration est cependant régulière, pas comme la mienne, saccadée et
affolée. Je sombre aussi dans le sommeil sans m’en rendre compte.
—oooOooo—
Ce
vendredi matin, je mesure le degré de ta colère à cette absence de
baiser avant de quitter la maison. À mon réveil, tu n’es plus là et tu
n’es pas venu me faire le bisou quotidien. Sans doute ai-je commis
l’erreur de croire que tu comprendrais. J’attends, anxieuse, ton retour
pour le déjeuner.
Tout est prêt pour ton retour : les frites
dorées à souhait, le steak saignant comme tu l’adores. Pourtant, le
repas se déroule presque en silence ; et c’est insupportable, le bruit
des couverts qui claquent sur les assiettes. Je suis la première à
rompre ce climat trop lourd.
— Tu vas rester fâché longtemps ? Tu as si peu confiance en moi ? T’ai-je jamais trahi ?
—
Je n’ai pas peur de ta trahison : j’ai surtout peur de trop aimer ce
que tu veux et de ne plus pouvoir m’en passer. Comme je ne pourrais plus
supporter ton absence !
— Alors, où est le problème ? Si nous aimons
cela tous les deux, rien ne nous empêchera de continuer. Au moins,
fais-moi le plaisir d’essayer.
Je n’ai pas le temps d’en dire
plus. C’est presque d’un bond que tu te remets sur tes pieds. Tes mains
m’agrippent par les poignets et tu me tires vers toi. Calée au creux de
ta poitrine, je sens tes gestes, tes doigts qui remontent sans
ménagement ma jupe. Roulée sur mes hanches, elle libère ainsi l’accès à
ma culotte, et sans que je fasse un mouvement, tu glisses tes mains sur
ma chatte. Le feu monte en moi, en toi. Contre ma cuisse découverte, la
forme dure de ta queue se frotte allègrement. Tu me pousses maintenant
vers l’évier et de tes bras passés dans mon dos, mains sous mes fesses,
tu me propulses sur le plan de travail de la cuisine.
C’est
brutal, c’est rude ! Tu ne cherches pas la tendresse : tu veux juste
t’enfoncer en moi. Et mes cuisses largement ouvertes, ma culotte
seulement déplacée sur le côté, le zip de ta fermeture Éclair à peine
descendu, ta verge s’encastre en moi. C’est si soudain que j’en ai le
souffle coupé, et tes va-et-vient qui commencent ne me laissent pas le
temps de reprendre ma respiration. Pourtant, cet accouplement sauvage me
procure une joie immense, un plaisir infini. Mes jambes s’accrochent
sur tes reins, et je me creuse davantage pour que tu entres encore plus
profondément dans mon ventre.
Il n’y a plus que nos soupirs, nos
râles qui perturbent le calme de la maison. Ton assaut viril, mâle, me
fait rapidement jouir ; mais dans mon esprit, la petite lumière qui
s’allume a des airs de victoire. Je sais que je viens de gagner cette
partie pourtant mal engagée. Au moment où tu laisses ta semence gicler
au fond de moi avec un cri aigu, je pars moi aussi dans une éblouissante
jouissance. Nos spasmes de plaisir se confondent et nous secouent tous
les deux. Pourtant, il ne s’est pas écoulé plus de cinq minutes entre le
moment où tu t’es levé de table et celui où tu as éjaculé.
— Nous reparlerons de tout cela ce soir.
— Comme tu veux…
J’ai
droit à la marque d’affection habituelle avant que tu ne quittes la
cuisine. Je dessers la table, vaque à mes tâches, mais mon esprit est
ailleurs : dans une minuscule chambrette, rêvant de chaînes et de croix,
imaginant mille douceurs, toutes découlant directement de ces
instruments. Je ne me pose pas une seule fois la question de la douleur.
C’est idiot comme l’esprit peut prendre parfois le pas sur la raison.
Le jardin, mes rosiers, reçoivent mes confidences muettes tout au long
de cet après-midi sans toi.
Je me pose désormais mille et une
questions. Me guideras-tu sur le chemin que je voudrais découvrir ?
Suis-je vraiment prête à tenter cette expérience folle ? Tout tourne au
fond de mon crâne, tout mijote dans mon esprit, et des images tantôt
alléchantes et bandantes m’arrivent, entremêlées d’autres plus crues et
moins réjouissantes. Ton retour finalement calme ces étranges délires,
ce fantasme qui – pour peu que tu sois d’accord – n’en sera plus
vraiment un dans quelques jours.
— Claude, j’ai bien réfléchi à
ce que tu veux. Es-tu certaine d’être prête à assumer cela ? Une fois
que nous aurons commencé, je ne suis pas persuadé d’avoir le cran de
m’arrêter en chemin. Je n’ai rien de commun avec les Maîtres décrits
dans les Histoires d’O ou autres récits similaires.
— Je ne suis sûre
de rien non plus ; je veux juste essayer, voir comment mon corps réagit
à des sollicitations étranges, et peut-être même aux coups.
— Et si
c’était Gustave qui t’initiait, la première fois, peut-être pourrais-je
apprendre un peu pour une autre fois ? Mais te voir nue devant un autre
mec, c’est ce qui me gêne le plus.
— Si l’on n’essaie pas, on ne
saura pas. Maintenant, je ne veux pas la guerre ; c’est juste à toi de
décider : c’est oui ou non. Dans le premier cas, tu vois avec Gustave.
Dans le second, nous n’en parlerons plus ; plus jamais. Voilà tout.
—
Bien ; alors, allons-y pour une rencontre avec Gustave. Mais réfléchis
bien encore : il sera peut-être trop tard ensuite pour faire machine
arrière…
Notre fin de soirée devant la télévision s’agrémente
d’un corps-à-corps où chacun libère les tensions provoquées par ces
quelques mots. Tu me fais l’amour avec une sorte de rage, comme pour me
montrer que la rudesse commence parfois dans l’accomplissement de ces
gestes habituellement doux. Mais mon attente est à la hauteur de tes
mouvements presque brutaux, et nous jouissons finalement d’une autre
manière, moins policée, moins en tendresse.
Auteure : Charline88
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Merci pour ce texte. J'ai toujours trouvé que les envolées musicales étaient très sensuelles, voire sexuelles... le piano et la musique classique mettent tous mes sens en éveil, c'était une très bonne idée que de restituer en texte cette impression qu'ont bien des gens en écoutant/jouant certaines musiques.
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