Qui n’a jamais eu des galères, des problèmes de fric ?
Je m’appelle Jeff, j’ai 42 ans, et je vais vous raconter ce qu’il m’est arrivé.
J’étais un fonctionnaire travaillant au Trésor Public ; ce qu’on appelle un « petit fonctionnaire ». Entré dans l’administration des Finances avec le bac en poche, j’avais gravi quelques rares échelons grâce à l’ancienneté ; mais à 40 ans, faute d’avoir réussi les concours passés pour obtenir une promotion, je restais un fonctionnaire de catégorie C, à 1600 € par mois.
J’étais marié, j’avais trois enfants, une femme assez jolie mais dont les sentiments pour moi semblaient s’essouffler avec les années, d’autant qu’elle pestait sans arrêt contre tout – la vie chère, notre vie qu’elle trouvait minable – sans vouloir admettre que si nous ne pouvions nous offrir de belles vacances au soleil et à l’étranger, c’était peut-être à cause de son refus de freiner ses dépenses : les soldes deux fois par an (ses vêtements quasiment neufs partaient à la poubelle : ben oui, « démodés ») ; tous les deux ans, changement de voiture (ben oui, il en faut une plus belle, plus performante). Résultat : des crédits à la conso en permanence, un découvert à la banque chronique, des difficultés à finir le mois tous les mois, et des efforts à se creuser la tête pour ne pas augmenter le découvert…
Et tout ça avec ses jérémiades, ses reproches (« Tu peux pas demander une promotion ? » ; « Tu peux pas essayer de trouver un autre job ? »), l’amertume (« On est des cons. Regarde nos amis : eux, ils sont partis au Canada en vacances ! »), et j’en passe...
Un beau jour elle partit – non sans m’avoir trompé – pour un type qui avait « une belle situation » et qui, elle en était convaincue, allait faire son bonheur, à elle et à mes trois gosses qu’elle avait emmenés.
Je me retrouvai donc seul, débarrassé, remarquez bien (bien que j’aie mis quelques mois à m’en apercevoir), mais avec la moitié du découvert du compte bancaire à combler, ce qui n’était pas une mince affaire. Même si j’étais, moi, capable d’être économe, je me rendis compte que j’allais mettre de longs mois à remonter la pente.
Au bout de trois mois, avec la pension alimentaire à payer (pas trop importante, mais quand même…) qui grevait mon maigre traitement, je finis par avoir un prélèvement rejeté. La banquière qui gérait mon compte m’appela immédiatement au téléphone pour me le signaler et me demanda d’alimenter mon compte. Comme cela est joliment dit ! Les banquiers s’imaginent quoi ? Qu’on a des magots planqués sous le matelas ou dans un trou au fond du jardin ?
On se débrouille, on demande une avance sur son traitement, on s’humilie en devant aller voir ses parents à 40 ans passés pour leur demander une petite aide, et surtout on s’excuse platement d’une voix éteinte au téléphone auprès de sa banquière au ton monocorde.
Malheureusement, la situation ne s’améliora guère, et on bout de trois mois, rebelote : la banquière vous rappelle, vous demande une explication, vous menace de façon à peine déguisée de vous mettre à la Banque de France.
Vous ramez, vous remontez tant bien que mal la pente (enfin juste de quoi vous sortir un peu de ce trou abyssal), vous vous éloignez de la ligne blanche du « découvert maximum autorisé », et puis un jour c’est la tuile : une prime qui saute, la voiture qui vous lâche et que vous devez faire réparer (moyennant cinq traites) sinon plus de boulot, et cette fois, sans vous avertir préalablement, vous recevez un gentil courrier froid et sinistre comme une porte de prison vous avertissant que vous n’avez plus le droit de faire de chèques et vous intimant de prendre rendez-vous à votre agence bancaire avec vos « moyens de paiement ». Comme un chien avec la queue basse, vous vous présentez au rendez-vous, savez que vous allez devoir rendre chéquier et carte bleue, vous imaginant déjà SDF.
Personnellement, je n’en menais pas large. Ma banquière était une dame d’un âge difficile à cerner (j’aurais dit une bonne quarantaine, début de cinquantaine), froide, assez austère, avec des cheveux châtain coupés court et assez raides, toujours vêtue d’une jupe droite des plus classiques, collants et chaussures à talons sans fantaisie, tenue et maintien de rigueur ; bref, sans aucune grâce.
Je ne dois pas oublier de préciser que, depuis plusieurs mois que mon compte s’obstinait à rester dans le rouge, j’avais droit à des appels des plus réguliers sur mon portable pour me rappeler que j’étais à découvert (comme si je pouvais l’avoir oublié !). D’aucuns auraient pris ça pour du harcèlement, pour des méthodes simplement détestables, mais je savais simplement qu’elle faisait son boulot, sans états d’âme. « C’est les règles du jeu, t’as qu’à pas être à découvert. » Dans quel monde on vit, enfin…
L’entretien fut assez bref, humiliant à souhait. J’essayai comme un gosse pris en faute de me justifier, promettant que ça allait s’arranger, et m’enquis de ce qui allait se passer par la suite, comprenant quel parcours du combattant ça allait être pour redevenir – Dieu sait quand – un citoyen normal.
Ma banquière m’écouta poliment, n’affectant aucune compassion, mais également – je dois bien le reconnaître – aucun mépris, et je compris qu’elle n’avait pas beaucoup de temps à me consacrer, nettement moins que le jour où j’étais venu ouvrir un compte chez elle. Elle prit congé poliment, me serrant la main, me raccompagnant jusqu’à la porte de son bureau. Pas un sourire ; mais bon, étant donné que ses sourires étaient déjà plutôt rares d’ordinaire, vu les circonstances, hein… « C’est le genre de femme qui doit avoir un ordinateur à la place du cerveau, une calculatrice à la place du cœur. Seuls les chiffres doivent la faire mouiller. » me dis-je en repartant abattu.
Je fis tout pour remonter la pente, me serrant la ceinture, tentant de faire des heures sup (mais l’administration est plutôt avare avec ses petits fonctionnaires) ; et comme disait notre Premier Ministre à l’époque : « Notre route est droite, mais la pente est forte. », je pris conscience que j’allais mettre des mois, voire des années à m’en sortir.
Je me permis malgré tout de jouer au loto chaque semaine – l’espoir fait vivre – même si j’étais bien conscient de la chance sur environ 6 millions (calculs à l’appui) de tomber sur les six bons numéros.
Et puis un soir : l’impensable.
Je lisais et relisais mon ticket validé en me demandant si je n’avais pas rêvé.
Je passai une nuit blanche : la première moitié à attendre que le site Internet publie les numéros sortis afin que je revérifie, la deuxième moitié la tête à l’envers, me demandant ce que j’allais faire de ma vie, et surtout par quoi j’allai commencer.
Le lendemain, je suis quand même allé bosser ; j’ai travaillé toute la journée comme un zombie, tout le monde me regardant avec ma tête de déterré, se demandant ce qui m’était arrivé, ce que j’avais, tant à cause de mon aspect de mec qui a l’air de sortir de boîte qu’à cause des conneries que je fis, ayant la tête ailleurs, redemandant les réponses que j’avais déjà obtenues une minute avant.
« Quinze millions d’euros… », je me répétais sans arrêt dans ma tête ; « Quinze millions d’euros ! » J’avais su combien j’allais toucher : ce n’était pas une fortune colossale, mais quand même suffisamment pour ne plus jamais avoir à travailler si je ne faisais pas n’importe quoi avec.
J’essayai dans les jours qui suivirent de garder la tête froide. J’allai au siège de la grande entreprise nationale toucher mon chèque, acceptai leur conseils, comme suivre leurs espèces de séminaires pour ne pas péter les plombs ni me faire escroquer par le premier venu.
Évidemment, sortir de mon fichage à la Banque de France fut facile.
Tout d’abord, je me rendis dans une banque autre que celle où je tenais mon compte. Étant fiché, on commença par m’opposer un refus ; mais exhibant mon chèque et le courrier de l’établissement qui me l’avait fait, les choses allèrent très vite.
Dans un premier temps, j’avais décidé de ne plus remettre les pieds dans mon ancienne agence bancaire et de demander à ma nouvelle banque de faire elle-même clôturer illico mon ancien compte, sans avoir à me déranger. Être riche donne des privilèges, et tout ce qui ne peut se faire pour un pékin moyen devient soudain possible quand on devient détenteur d’un solde avec sept zéros.
Dans un second temps, je changeai d’avis : j’eus envie de faire les démarches moi-même, de prendre rendez-vous avec ma chère banquière, clôturer mon compte et la narguer en lui montrant l’étendue de ma fortune toute nouvelle dont elle ne verrait pas la couleur. Bref, de lui afficher mon mépris.
Mais je réfléchis et me ravisai. Je décidai dans un troisième temps de me donner le temps de réfléchir à la meilleure façon d’agir (c’est fou comme on a du temps quand on est riche, puisque le temps c’est de l’argent), et je mûris peu à peu chaque jour mon plan, l’échafaudant méticuleusement, et en y prenant un réel plaisir.
Je m’appelle Jeff, j’ai 42 ans, et je vais vous raconter ce qu’il m’est arrivé.
J’étais un fonctionnaire travaillant au Trésor Public ; ce qu’on appelle un « petit fonctionnaire ». Entré dans l’administration des Finances avec le bac en poche, j’avais gravi quelques rares échelons grâce à l’ancienneté ; mais à 40 ans, faute d’avoir réussi les concours passés pour obtenir une promotion, je restais un fonctionnaire de catégorie C, à 1600 € par mois.
J’étais marié, j’avais trois enfants, une femme assez jolie mais dont les sentiments pour moi semblaient s’essouffler avec les années, d’autant qu’elle pestait sans arrêt contre tout – la vie chère, notre vie qu’elle trouvait minable – sans vouloir admettre que si nous ne pouvions nous offrir de belles vacances au soleil et à l’étranger, c’était peut-être à cause de son refus de freiner ses dépenses : les soldes deux fois par an (ses vêtements quasiment neufs partaient à la poubelle : ben oui, « démodés ») ; tous les deux ans, changement de voiture (ben oui, il en faut une plus belle, plus performante). Résultat : des crédits à la conso en permanence, un découvert à la banque chronique, des difficultés à finir le mois tous les mois, et des efforts à se creuser la tête pour ne pas augmenter le découvert…
Et tout ça avec ses jérémiades, ses reproches (« Tu peux pas demander une promotion ? » ; « Tu peux pas essayer de trouver un autre job ? »), l’amertume (« On est des cons. Regarde nos amis : eux, ils sont partis au Canada en vacances ! »), et j’en passe...
Un beau jour elle partit – non sans m’avoir trompé – pour un type qui avait « une belle situation » et qui, elle en était convaincue, allait faire son bonheur, à elle et à mes trois gosses qu’elle avait emmenés.
Je me retrouvai donc seul, débarrassé, remarquez bien (bien que j’aie mis quelques mois à m’en apercevoir), mais avec la moitié du découvert du compte bancaire à combler, ce qui n’était pas une mince affaire. Même si j’étais, moi, capable d’être économe, je me rendis compte que j’allais mettre de longs mois à remonter la pente.
Au bout de trois mois, avec la pension alimentaire à payer (pas trop importante, mais quand même…) qui grevait mon maigre traitement, je finis par avoir un prélèvement rejeté. La banquière qui gérait mon compte m’appela immédiatement au téléphone pour me le signaler et me demanda d’alimenter mon compte. Comme cela est joliment dit ! Les banquiers s’imaginent quoi ? Qu’on a des magots planqués sous le matelas ou dans un trou au fond du jardin ?
On se débrouille, on demande une avance sur son traitement, on s’humilie en devant aller voir ses parents à 40 ans passés pour leur demander une petite aide, et surtout on s’excuse platement d’une voix éteinte au téléphone auprès de sa banquière au ton monocorde.
Malheureusement, la situation ne s’améliora guère, et on bout de trois mois, rebelote : la banquière vous rappelle, vous demande une explication, vous menace de façon à peine déguisée de vous mettre à la Banque de France.
Vous ramez, vous remontez tant bien que mal la pente (enfin juste de quoi vous sortir un peu de ce trou abyssal), vous vous éloignez de la ligne blanche du « découvert maximum autorisé », et puis un jour c’est la tuile : une prime qui saute, la voiture qui vous lâche et que vous devez faire réparer (moyennant cinq traites) sinon plus de boulot, et cette fois, sans vous avertir préalablement, vous recevez un gentil courrier froid et sinistre comme une porte de prison vous avertissant que vous n’avez plus le droit de faire de chèques et vous intimant de prendre rendez-vous à votre agence bancaire avec vos « moyens de paiement ». Comme un chien avec la queue basse, vous vous présentez au rendez-vous, savez que vous allez devoir rendre chéquier et carte bleue, vous imaginant déjà SDF.
Personnellement, je n’en menais pas large. Ma banquière était une dame d’un âge difficile à cerner (j’aurais dit une bonne quarantaine, début de cinquantaine), froide, assez austère, avec des cheveux châtain coupés court et assez raides, toujours vêtue d’une jupe droite des plus classiques, collants et chaussures à talons sans fantaisie, tenue et maintien de rigueur ; bref, sans aucune grâce.
Je ne dois pas oublier de préciser que, depuis plusieurs mois que mon compte s’obstinait à rester dans le rouge, j’avais droit à des appels des plus réguliers sur mon portable pour me rappeler que j’étais à découvert (comme si je pouvais l’avoir oublié !). D’aucuns auraient pris ça pour du harcèlement, pour des méthodes simplement détestables, mais je savais simplement qu’elle faisait son boulot, sans états d’âme. « C’est les règles du jeu, t’as qu’à pas être à découvert. » Dans quel monde on vit, enfin…
L’entretien fut assez bref, humiliant à souhait. J’essayai comme un gosse pris en faute de me justifier, promettant que ça allait s’arranger, et m’enquis de ce qui allait se passer par la suite, comprenant quel parcours du combattant ça allait être pour redevenir – Dieu sait quand – un citoyen normal.
Ma banquière m’écouta poliment, n’affectant aucune compassion, mais également – je dois bien le reconnaître – aucun mépris, et je compris qu’elle n’avait pas beaucoup de temps à me consacrer, nettement moins que le jour où j’étais venu ouvrir un compte chez elle. Elle prit congé poliment, me serrant la main, me raccompagnant jusqu’à la porte de son bureau. Pas un sourire ; mais bon, étant donné que ses sourires étaient déjà plutôt rares d’ordinaire, vu les circonstances, hein… « C’est le genre de femme qui doit avoir un ordinateur à la place du cerveau, une calculatrice à la place du cœur. Seuls les chiffres doivent la faire mouiller. » me dis-je en repartant abattu.
Je fis tout pour remonter la pente, me serrant la ceinture, tentant de faire des heures sup (mais l’administration est plutôt avare avec ses petits fonctionnaires) ; et comme disait notre Premier Ministre à l’époque : « Notre route est droite, mais la pente est forte. », je pris conscience que j’allais mettre des mois, voire des années à m’en sortir.
Je me permis malgré tout de jouer au loto chaque semaine – l’espoir fait vivre – même si j’étais bien conscient de la chance sur environ 6 millions (calculs à l’appui) de tomber sur les six bons numéros.
Et puis un soir : l’impensable.
Je lisais et relisais mon ticket validé en me demandant si je n’avais pas rêvé.
Je passai une nuit blanche : la première moitié à attendre que le site Internet publie les numéros sortis afin que je revérifie, la deuxième moitié la tête à l’envers, me demandant ce que j’allais faire de ma vie, et surtout par quoi j’allai commencer.
Le lendemain, je suis quand même allé bosser ; j’ai travaillé toute la journée comme un zombie, tout le monde me regardant avec ma tête de déterré, se demandant ce qui m’était arrivé, ce que j’avais, tant à cause de mon aspect de mec qui a l’air de sortir de boîte qu’à cause des conneries que je fis, ayant la tête ailleurs, redemandant les réponses que j’avais déjà obtenues une minute avant.
« Quinze millions d’euros… », je me répétais sans arrêt dans ma tête ; « Quinze millions d’euros ! » J’avais su combien j’allais toucher : ce n’était pas une fortune colossale, mais quand même suffisamment pour ne plus jamais avoir à travailler si je ne faisais pas n’importe quoi avec.
J’essayai dans les jours qui suivirent de garder la tête froide. J’allai au siège de la grande entreprise nationale toucher mon chèque, acceptai leur conseils, comme suivre leurs espèces de séminaires pour ne pas péter les plombs ni me faire escroquer par le premier venu.
Évidemment, sortir de mon fichage à la Banque de France fut facile.
Tout d’abord, je me rendis dans une banque autre que celle où je tenais mon compte. Étant fiché, on commença par m’opposer un refus ; mais exhibant mon chèque et le courrier de l’établissement qui me l’avait fait, les choses allèrent très vite.
Dans un premier temps, j’avais décidé de ne plus remettre les pieds dans mon ancienne agence bancaire et de demander à ma nouvelle banque de faire elle-même clôturer illico mon ancien compte, sans avoir à me déranger. Être riche donne des privilèges, et tout ce qui ne peut se faire pour un pékin moyen devient soudain possible quand on devient détenteur d’un solde avec sept zéros.
Dans un second temps, je changeai d’avis : j’eus envie de faire les démarches moi-même, de prendre rendez-vous avec ma chère banquière, clôturer mon compte et la narguer en lui montrant l’étendue de ma fortune toute nouvelle dont elle ne verrait pas la couleur. Bref, de lui afficher mon mépris.
Mais je réfléchis et me ravisai. Je décidai dans un troisième temps de me donner le temps de réfléchir à la meilleure façon d’agir (c’est fou comme on a du temps quand on est riche, puisque le temps c’est de l’argent), et je mûris peu à peu chaque jour mon plan, l’échafaudant méticuleusement, et en y prenant un réel plaisir.
Je pris donc rendez-vous avec elle, en ayant
préalablement pris soin d’alimenter mon compte de plusieurs milliers
d’euros « seulement ». N’évoquant pas notre dernier entretien durant
lequel elle m’avait passablement humilié, je lui racontai que j’avais
fait un héritage important, mais que je devais encore toucher davantage
d’argent parce que la majeure partie de celui-ci était encore bloquée à
cause de tracasseries fiscales.
Elle fut bien entendu beaucoup plus affable que lors de la dernière fois, se montra détendue, voire un peu souriante (ce qui n’étais pas très naturel chez elle) ; bref, elle ne se méfia pas du tout, la conne. Bien entendu, elle ne fit elle non plus aucune allusion à mes déboires récents et à notre dernière entrevue, et n’eut donc aucune parole d’empathie pour ce qui m’était arrivé précédemment, ni aucun mot d’excuse pour la façon dont elle m’avait traité.
Pour elle, la page était tournée, et elle avait autant de facilité à enterrer un pauvre type qui était tombé dans le cul-de-basse-fosse de l’interdit bancaire que de le voir revenir et réapparaître dans le monde des vivants, doté d’un nouveau statut social. Aucun état d’âme vis-à-vis des clients qui se démènent comme ils peuvent quotidiennement pour ne pas sombrer dans la misère et devenir des exclus et des parias.
Par contre, sous sa façade de femme-ordinateur, je crus apercevoir son œil s’allumer quand après sa question (indiscrète et sur un ton faussement indifférent) sur le montant que je devais toucher par la suite, j’évoquai avec un air blasé un montant de plusieurs millions d’euros. Jusqu’à ce moment, rien n’avait semblé l’impressionner, pas plus ma nouvelle tenue chic (j’avais mis un costard à 500 euros, et tout ce qui allait avec…) que ma belle assurance et ma prestance toute nouvelle. Là, par contre, elle devint beaucoup plus volubile, surtout après que je l’eus questionnée sur les placements qu’elle pourrait me conseiller. Je vis évidemment qu’elle était très intéressée.
J’écoutai attentivement ses conseils, hochant la tête avec affectation, lui demandant du papier pour prendre des notes (elle s’était précipitée pour aller me chercher de quoi écrire, était même revenue avec un élégant bloc-notes à en-tête de la banque, tout en cuir, et me l’avait donné avec un sourire bête), ponctuant ses explications de remarques intéressées. Les petits cadeaux commençaient donc, me dis-je, ainsi que des petites marques d’attention, montrant qu’ayant ferré son gros poisson (enfin, son client), elle n’avait pas l’intention de le laisser s’échapper.
Je pris congé en lui disant que j’allais réfléchir. Elle me pria de la tenir au courant de l’avancement de mon affaire, et me remit même sa carte de visite sur laquelle elle avait ajouté à la main son numéro de portable personnel, me disant de ne pas hésiter à l’appeler à tout moment si j’avais besoin de n’importe quel conseil. Là, je compris qu’elle espérait beaucoup décrocher un gros contrat.
Je connaissais bien le milieu bancaire, aussi je pris dans les jours qui suivirent de plus amples renseignements grâce aux nouveaux conseils que j’avais acquis depuis peu. Les produits financiers qu’elle m’avait conseillés étaient très intéressants pour elle, parce qu’elle pourrait toucher de très grosses commissions sur ces opérations. Je la tenais ! Je décidai de jouer avec elle le plus longtemps possible un petit jeu qui allait mettre ses nerfs et ses émotions à rude épreuve, comme le chat cruel joue avec sa souris avant de l’achever.
Bien entendu, il allait falloir que je la joue serrée pour qu’elle ne se rende pas compte que je voulais la piéger, et déjà que je lui apporte rapidement la preuve que j’étais bien riche d’une somme à plus de six zéros, car si elle était indéniablement cupide, elle était loin d’être stupide.
Je la fis mariner pendant plusieurs semaines, multipliant les rendez-vous, usant de son temps, de sa disponibilité, écoutant ses conseils avec intérêt. J’usai même du numéro de son portable perso, en fin de journée, le week-end, jouant un peu le béotien, le novice, le nouveau riche un peu capricieux, l’obligeant à rester patiente ; mais chaque fois que je sentais dans sa voix un début d’impatience et d’agacement, je laissais entendre que j’allais laisser tomber avec elle et avec sa banque, ce qui fait qu’elle se rattrapait au dernier moment, quitte à se faire violence.
Je compensais quelques jours après mon attitude limite en lui demandant rendez-vous, durant lequel je jouais surtout le type méfiant, hésitant, tergiversant, difficile à se décider.
Je répétai ce petit jeu plusieurs fois jusqu’au moment où je sentis qu’elle commençait à douter. Elle me reposa alors la question du montant de la somme réelle que je devais toucher, et de la date. Je lui dis alors que tout était réglé et que c’était imminent. Elle me quitta en me priant de la prévenir dès que je serai en possession des fonds.
Quelques jours après, pour ne pas qu’elle se lasse définitivement et n’y croie plus, je pris rendez-vous avec elle au motif que j’avais enfin l’argent. Lors du rendez-vous, je lui annonçai que j’avais touché 9 millions d’euros, et pour qu’elle se rende compte cette fois que je ne la menais pas en bateau je lui laissai la photocopie d’un relevé de compte à mon nom exhibant de façon obscène un solde supérieur à ce montant. Je lui racontai que j’avais dû ouvrir ce compte à l’étranger et y laisser mon argent parce que la succession avec l’aïeul dont j’avais hérité n’avait pas été simple.
Je lui redemandai une nouvelle fois quelques précisions sur les produits financiers qu’elle avait proposé de me vendre, surjouant la crainte, exprimant mes réticences, mes appréhensions sur les pertes possibles en cas de crise boursière, etc. En bonne commerciale motivée par l’appât du gain, et l’espoir cette fois devenant plus tangible d’aboutir et de toucher un bon paquet de pognon de commission, elle déploya toute son énergie à me convaincre de l’absence de risques, des avantages, de la sécurité, du rendement… bref, tous les boniments que nous connaissons à cette engeance.
Je pris un air rassuré, presque apaisé, lui fis comprendre que j’étais sur le point de décider, mais lui demandant encore quelques jours pour choisir entre les trois ou quatre produits qu’elle me proposait, afin d’étudier tous ces documents en détail. Elle me fit :
— OK, pas de problème. Permettez que ce soit moi qui vous rappelle… disons, en fin de semaine ?
— Entendu, lui fis-je avec un grand sourire en lui serrant la main.
Elle me raccompagna à la porte.
Cette fois, j’avais choisi au moment de la quitter un ton plus affable, faisant dévier la conversation sur des sujets plus légers, bien que banals, lui laissant entendre que finalement j’étais attaché à elle et à ses conseils, que je l’avais à la bonne. Elle se laissa gagner par cette ambiance bon enfant, semblant plus détendue, le cœur d’autant plus léger qu’elle pensait avoir remporté la partie et la confiance de son client, et allait bientôt palper son pactole.
C’est moi qui avais gagné : j’avais endormi la méfiance de cette bonne femme austère et âpre au gain, et elle me prenait sans aucun doute pour un mec pas très malin, un parvenu un peu idiot, un pigeon qui préférait se faire plumer dans la petite agence d’une petite banque plutôt que de planquer son magot dans un paradis fiscal et de « l’optimiser » grâce aux conseils de vieux routiers de la finance.
Bien entendu, elle ne manqua pas de m’appeler à la fin de la semaine.
Je lui dis que je m’étais décidé, que j’étais OK pour un nouveau rendez-vous ; mais ne pouvait-elle pas se déplacer à mon domicile car j’étais las de toujours venir à l’agence ? Cela se faisait, n’est-ce pas ; elle pouvait faire cela pour celui qui était certainement son futur plus gros client. Je n’eus pas besoin d’insister : elle acquiesça et nous convînmes d’un rendez-vous chez moi pour le dimanche après-midi, étant donné « mon agenda très chargé ».
Son empressement à accepter me confirma que pour cette bonne femme cupide, ça en valait vraiment le coup !
Le dimanche suivant, elle sonna chez moi, ponctuelle. Bien coiffée, légèrement maquillée, vêtue d’un tailleur strict bleu-pétrole assez moche, d’un chemisier blanc, de chaussures à talons un peu plus élégantes que celles que je lui avais vues jusqu’à présent, et de collants banals. Elle semblait plus détendue que d’habitude.
Je la fis asseoir dans le salon et elle me déballa toute sa documentation ainsi que des formulaires. Je lui dis que je m’étais finalement décidé pour l’un des produits financiers qu’elle m’avait proposés. Elle sourit, l’air satisfait, se réjouissant visiblement d’être sur le point de conclure l’affaire.
— Néanmoins, Madame Mareuil, l’interrompis-je, vous comprendrez que je suis devenu difficile depuis que j’ai accédé à une telle fortune. J’ai pris maintenant des goûts de luxe, et j’avoue que j’ai des petits caprices « de star » ; j’aime bien me faire prier…
Son visage avait changé. Elle me regarda, étonnée :
— Et… ?
— Eh bien, ce n’est pas que je ne veux pas vous prendre ces actions, mais reconnaissez que je suis un client intéressant et que je vais vous faire gagner un bon paquet d’argent, non ?
Elle bredouilla :
— Oui… enfin… un peu… Mais, et alors ?
— Un client comme moi, vous n’avez pas dû en avoir souvent dans votre vie… en termes de gains pour vous, je veux dire. « Et pour ce qu’il va exiger de vous, pensai-je, jubilant intérieurement… »
— Non. Bon, et alors ? demanda-t-elle avec un peu d’agacement dans la voix.
— Ce que je veux dire, c’est que pour vous c’est facile : vous avez votre client, vous lui faites signer des papiers, et le pactole tombe. Avouez que ça ne vous demande pas trop d’efforts.
— Oui… Enfin, c’est mon travail ; je ne vois pas trop où vous voulez en venir…
— Surtout que ce client, vous l’aviez déjà, et depuis quelques années. Vous n’avez pas dû aller le chercher bien loin ; ça n’a pas été trop dur pour vous, d’autant que ce n’est pas grâce à vous qu’il est devenu riche. C’était plutôt une bonne aubaine pour vous… et on peut même dire que vous ne l’avez pas beaucoup aidé quand il était dans la mouise !
— Nous y voilà donc… dit-elle avec un air mi-courroucé mi-dépité.
— Pas du tout. Loin de moi l’idée de me venger de la façon dont vous m’avez traité. « Tu parles ! me dis-je intérieurement, en riant sous cape. » Ne croyez pas que je veuille vous priver maintenant de votre commission après vous l’avoir fait renifler, comme on met un sucre d’orge sous le nez d’un enfant puis qu’on lui retire… Je dis juste que, si je veux bien signer et vous permettre de toucher votre commission – votre grosse galette –, il va vous falloir la mériter !
Un silence. Elle me regarda bizarrement, puis me dit :
— Que voulez-vous ?
— Vous voir vous donner un peu de mal pour l’avoir. Il va falloir donner un peu de votre personne…
— Mais encore ? dit-elle d’une voix blanche.
— Et si, pour commencer, ma banquière préférée se mettait en sous-vêtements pour me faire signer ses papiers… ?
— Quoi ?! Mais pour qui me prenez-vous ?! Je…
— Pour une dame qui va gagner beaucoup d’argent et qui, pour le prix de ce qu’elle va gagner, va se mettre un petit peu en quatre pour son cher client ! la coupai-je.
Mon ton était soudain devenu un peu plus sévère.
— Mais vous n’y pensez pas ? De quoi aurais-je l’air ? Je n’ai jamais fait ça pour quelque client que ce soit. Vous confondez…
— Allez ! Ne discutez pas ! Personne ne vous verra, ça restera entre nous. Je ne vais pas vous prendre en photo. Un moment unique comme cette signature – cet ordre que je vais vous signer – vaut bien un geste unique de votre part.
— Mais enfin…
La confusion commençait à la gagner, à la faire bafouiller. Néanmoins je réalisai que face à ma proposition indécente et humiliante, elle n’avait pas encore plié bagage et ne s’était pas levée pour partir choquée et indignée. L’appât si proche du gain la tiraillait et commençait à être plus fort que sa pudeur et ses valeurs.
Par ailleurs, depuis le temps (plusieurs semaines) que je lui faisais espérer cette grosse galette, je m'imaginais bien qu'elle avait dû compter dessus, prévu déjà comment l’investir, faire des projets, que sais-je, et qu'il était difficile pour elle de tout lâcher maintenant et de s'asseoir sur ces gains.
Et c'est bien sur autre chose qu'elle allait devoir s'asseoir...
— Bon, alors ? On la conclut, cette affaire ? dis-je avec un peu de moquerie dans la voix. Qu’on en finisse !
Elle se leva, très rouge soudain (de honte désormais, et non pas de colère), et tout en bredouillant, sans lever les yeux, elle retira la veste de son tailleur, sembla hésiter un peu, dégrafa sa jupe qu’elle fit tomber à ses pieds, apparut dans des collants assez laids mais révélant des cuisses assez fortes qui me mirent en appétit.
Elle resta ainsi debout une seconde, et s’apprêtait à se rasseoir. Je l’interrompis :
— J’ai dit en sous-vêtements ! Enlevez-moi ce chemisier !
— C’est ridicule… bredouilla-t-elle dans sa lippe en déboutonnant nerveusement le petit chemisier blanc.
Elle se rassit sur sa chaise, près de moi, puis se pencha à nouveau sur les papiers pour se donner une contenance. Mes yeux étaient fixés sur ses seins que révélait un joli soutien-doudounes blanc et assez pigeonnant.
Elle avait beau avoir un look « mémère de province », elle avait de beaux seins, bien développés.
— Bon, dit-elle en essayant de ne plus me regarder et de se concentrer sur autre chose que son humiliation, combien avez-vous dit que vous mettiez sur ce contrat ?
— Je n’ai encore rien dit, chère Madame…
— On avait parlé de 5 millions d’euros, il me semble…
— Je n’avais donné aucun chiffre, Madame Mareuil. N’essayez pas de me prendre pour une bille, et ne prenez pas vos désirs pour des réalités.
— Mais… combien ?
— Cela dépend de vous.
— Comment ça ?
Puis, après un bref silence :
— Quoi ? Que voulez-vous de plus ?!
— Disons que dans l’état actuel des choses, ou – pour être plus juste – dans l’état vestimentaire où vous êtes là, tout de suite je ne me verrais pas mettre plus de 20 000 €.
Elle leva enfin les yeux sur moi. J’y vis de la colère, de l’indignation, mais peut-être aussi un désespoir, et une grande lassitude proche de la résignation.
Je continuai :
— D’autant qu’en termes d’habillement, vous n’avez vraiment pas de goût : je vous trouve assez ridicule avec vos chaussures et ces collants à empiècement. Je sais bien que vous étiez loin d’imaginer en venant ici que vous vous retrouveriez dans mon salon dans cette tenue… Peut-être aurais-je dû vous prévenir ? » dis-je avec un large sourire. Dans ce cas, peut-être auriez-vous mis un collant sexy, sans slip, ou bien des bas autofixants, un string et un soutien-gorge à balconnets ? Vous pensez peut-être que ce look ringard qui est le vôtre me rebute ? Je l’avoue : un peu… Mais alors, je vais vous dire une chose : puisque cette tenue est quasiment une agression pour mes yeux, vous allez devoir vous foutre à poil !
— Comment ?! Mais… Enfin…
— Allez, ne discutez pas ! C’est pour vous le prix à payer si vous voulez que je consente à vous faire gagner un peu d’argent.
Elle se leva, et je crus une nouvelle fois qu’elle aller se rhabiller et s’en aller. Mais presque pleurnichante, la tête basse, honteuse, elle se mit à dégrafer son soutien-gorge, reniflant, murmurant :
— Je ne suis pas une pute…
— Non, je ne dis pas ça. Je dis juste que ce que vous allez palper mérite bien de petits efforts de votre part. Et que vous allez devoir payer de votre personne.
— Je vous en prie… marmonna-t-elle.
Elle fut bien entendu beaucoup plus affable que lors de la dernière fois, se montra détendue, voire un peu souriante (ce qui n’étais pas très naturel chez elle) ; bref, elle ne se méfia pas du tout, la conne. Bien entendu, elle ne fit elle non plus aucune allusion à mes déboires récents et à notre dernière entrevue, et n’eut donc aucune parole d’empathie pour ce qui m’était arrivé précédemment, ni aucun mot d’excuse pour la façon dont elle m’avait traité.
Pour elle, la page était tournée, et elle avait autant de facilité à enterrer un pauvre type qui était tombé dans le cul-de-basse-fosse de l’interdit bancaire que de le voir revenir et réapparaître dans le monde des vivants, doté d’un nouveau statut social. Aucun état d’âme vis-à-vis des clients qui se démènent comme ils peuvent quotidiennement pour ne pas sombrer dans la misère et devenir des exclus et des parias.
Par contre, sous sa façade de femme-ordinateur, je crus apercevoir son œil s’allumer quand après sa question (indiscrète et sur un ton faussement indifférent) sur le montant que je devais toucher par la suite, j’évoquai avec un air blasé un montant de plusieurs millions d’euros. Jusqu’à ce moment, rien n’avait semblé l’impressionner, pas plus ma nouvelle tenue chic (j’avais mis un costard à 500 euros, et tout ce qui allait avec…) que ma belle assurance et ma prestance toute nouvelle. Là, par contre, elle devint beaucoup plus volubile, surtout après que je l’eus questionnée sur les placements qu’elle pourrait me conseiller. Je vis évidemment qu’elle était très intéressée.
J’écoutai attentivement ses conseils, hochant la tête avec affectation, lui demandant du papier pour prendre des notes (elle s’était précipitée pour aller me chercher de quoi écrire, était même revenue avec un élégant bloc-notes à en-tête de la banque, tout en cuir, et me l’avait donné avec un sourire bête), ponctuant ses explications de remarques intéressées. Les petits cadeaux commençaient donc, me dis-je, ainsi que des petites marques d’attention, montrant qu’ayant ferré son gros poisson (enfin, son client), elle n’avait pas l’intention de le laisser s’échapper.
Je pris congé en lui disant que j’allais réfléchir. Elle me pria de la tenir au courant de l’avancement de mon affaire, et me remit même sa carte de visite sur laquelle elle avait ajouté à la main son numéro de portable personnel, me disant de ne pas hésiter à l’appeler à tout moment si j’avais besoin de n’importe quel conseil. Là, je compris qu’elle espérait beaucoup décrocher un gros contrat.
Je connaissais bien le milieu bancaire, aussi je pris dans les jours qui suivirent de plus amples renseignements grâce aux nouveaux conseils que j’avais acquis depuis peu. Les produits financiers qu’elle m’avait conseillés étaient très intéressants pour elle, parce qu’elle pourrait toucher de très grosses commissions sur ces opérations. Je la tenais ! Je décidai de jouer avec elle le plus longtemps possible un petit jeu qui allait mettre ses nerfs et ses émotions à rude épreuve, comme le chat cruel joue avec sa souris avant de l’achever.
Bien entendu, il allait falloir que je la joue serrée pour qu’elle ne se rende pas compte que je voulais la piéger, et déjà que je lui apporte rapidement la preuve que j’étais bien riche d’une somme à plus de six zéros, car si elle était indéniablement cupide, elle était loin d’être stupide.
Je la fis mariner pendant plusieurs semaines, multipliant les rendez-vous, usant de son temps, de sa disponibilité, écoutant ses conseils avec intérêt. J’usai même du numéro de son portable perso, en fin de journée, le week-end, jouant un peu le béotien, le novice, le nouveau riche un peu capricieux, l’obligeant à rester patiente ; mais chaque fois que je sentais dans sa voix un début d’impatience et d’agacement, je laissais entendre que j’allais laisser tomber avec elle et avec sa banque, ce qui fait qu’elle se rattrapait au dernier moment, quitte à se faire violence.
Je compensais quelques jours après mon attitude limite en lui demandant rendez-vous, durant lequel je jouais surtout le type méfiant, hésitant, tergiversant, difficile à se décider.
Je répétai ce petit jeu plusieurs fois jusqu’au moment où je sentis qu’elle commençait à douter. Elle me reposa alors la question du montant de la somme réelle que je devais toucher, et de la date. Je lui dis alors que tout était réglé et que c’était imminent. Elle me quitta en me priant de la prévenir dès que je serai en possession des fonds.
Quelques jours après, pour ne pas qu’elle se lasse définitivement et n’y croie plus, je pris rendez-vous avec elle au motif que j’avais enfin l’argent. Lors du rendez-vous, je lui annonçai que j’avais touché 9 millions d’euros, et pour qu’elle se rende compte cette fois que je ne la menais pas en bateau je lui laissai la photocopie d’un relevé de compte à mon nom exhibant de façon obscène un solde supérieur à ce montant. Je lui racontai que j’avais dû ouvrir ce compte à l’étranger et y laisser mon argent parce que la succession avec l’aïeul dont j’avais hérité n’avait pas été simple.
Je lui redemandai une nouvelle fois quelques précisions sur les produits financiers qu’elle avait proposé de me vendre, surjouant la crainte, exprimant mes réticences, mes appréhensions sur les pertes possibles en cas de crise boursière, etc. En bonne commerciale motivée par l’appât du gain, et l’espoir cette fois devenant plus tangible d’aboutir et de toucher un bon paquet de pognon de commission, elle déploya toute son énergie à me convaincre de l’absence de risques, des avantages, de la sécurité, du rendement… bref, tous les boniments que nous connaissons à cette engeance.
Je pris un air rassuré, presque apaisé, lui fis comprendre que j’étais sur le point de décider, mais lui demandant encore quelques jours pour choisir entre les trois ou quatre produits qu’elle me proposait, afin d’étudier tous ces documents en détail. Elle me fit :
— OK, pas de problème. Permettez que ce soit moi qui vous rappelle… disons, en fin de semaine ?
— Entendu, lui fis-je avec un grand sourire en lui serrant la main.
Elle me raccompagna à la porte.
Cette fois, j’avais choisi au moment de la quitter un ton plus affable, faisant dévier la conversation sur des sujets plus légers, bien que banals, lui laissant entendre que finalement j’étais attaché à elle et à ses conseils, que je l’avais à la bonne. Elle se laissa gagner par cette ambiance bon enfant, semblant plus détendue, le cœur d’autant plus léger qu’elle pensait avoir remporté la partie et la confiance de son client, et allait bientôt palper son pactole.
C’est moi qui avais gagné : j’avais endormi la méfiance de cette bonne femme austère et âpre au gain, et elle me prenait sans aucun doute pour un mec pas très malin, un parvenu un peu idiot, un pigeon qui préférait se faire plumer dans la petite agence d’une petite banque plutôt que de planquer son magot dans un paradis fiscal et de « l’optimiser » grâce aux conseils de vieux routiers de la finance.
Bien entendu, elle ne manqua pas de m’appeler à la fin de la semaine.
Je lui dis que je m’étais décidé, que j’étais OK pour un nouveau rendez-vous ; mais ne pouvait-elle pas se déplacer à mon domicile car j’étais las de toujours venir à l’agence ? Cela se faisait, n’est-ce pas ; elle pouvait faire cela pour celui qui était certainement son futur plus gros client. Je n’eus pas besoin d’insister : elle acquiesça et nous convînmes d’un rendez-vous chez moi pour le dimanche après-midi, étant donné « mon agenda très chargé ».
Son empressement à accepter me confirma que pour cette bonne femme cupide, ça en valait vraiment le coup !
Le dimanche suivant, elle sonna chez moi, ponctuelle. Bien coiffée, légèrement maquillée, vêtue d’un tailleur strict bleu-pétrole assez moche, d’un chemisier blanc, de chaussures à talons un peu plus élégantes que celles que je lui avais vues jusqu’à présent, et de collants banals. Elle semblait plus détendue que d’habitude.
Je la fis asseoir dans le salon et elle me déballa toute sa documentation ainsi que des formulaires. Je lui dis que je m’étais finalement décidé pour l’un des produits financiers qu’elle m’avait proposés. Elle sourit, l’air satisfait, se réjouissant visiblement d’être sur le point de conclure l’affaire.
— Néanmoins, Madame Mareuil, l’interrompis-je, vous comprendrez que je suis devenu difficile depuis que j’ai accédé à une telle fortune. J’ai pris maintenant des goûts de luxe, et j’avoue que j’ai des petits caprices « de star » ; j’aime bien me faire prier…
Son visage avait changé. Elle me regarda, étonnée :
— Et… ?
— Eh bien, ce n’est pas que je ne veux pas vous prendre ces actions, mais reconnaissez que je suis un client intéressant et que je vais vous faire gagner un bon paquet d’argent, non ?
Elle bredouilla :
— Oui… enfin… un peu… Mais, et alors ?
— Un client comme moi, vous n’avez pas dû en avoir souvent dans votre vie… en termes de gains pour vous, je veux dire. « Et pour ce qu’il va exiger de vous, pensai-je, jubilant intérieurement… »
— Non. Bon, et alors ? demanda-t-elle avec un peu d’agacement dans la voix.
— Ce que je veux dire, c’est que pour vous c’est facile : vous avez votre client, vous lui faites signer des papiers, et le pactole tombe. Avouez que ça ne vous demande pas trop d’efforts.
— Oui… Enfin, c’est mon travail ; je ne vois pas trop où vous voulez en venir…
— Surtout que ce client, vous l’aviez déjà, et depuis quelques années. Vous n’avez pas dû aller le chercher bien loin ; ça n’a pas été trop dur pour vous, d’autant que ce n’est pas grâce à vous qu’il est devenu riche. C’était plutôt une bonne aubaine pour vous… et on peut même dire que vous ne l’avez pas beaucoup aidé quand il était dans la mouise !
— Nous y voilà donc… dit-elle avec un air mi-courroucé mi-dépité.
— Pas du tout. Loin de moi l’idée de me venger de la façon dont vous m’avez traité. « Tu parles ! me dis-je intérieurement, en riant sous cape. » Ne croyez pas que je veuille vous priver maintenant de votre commission après vous l’avoir fait renifler, comme on met un sucre d’orge sous le nez d’un enfant puis qu’on lui retire… Je dis juste que, si je veux bien signer et vous permettre de toucher votre commission – votre grosse galette –, il va vous falloir la mériter !
Un silence. Elle me regarda bizarrement, puis me dit :
— Que voulez-vous ?
— Vous voir vous donner un peu de mal pour l’avoir. Il va falloir donner un peu de votre personne…
— Mais encore ? dit-elle d’une voix blanche.
— Et si, pour commencer, ma banquière préférée se mettait en sous-vêtements pour me faire signer ses papiers… ?
— Quoi ?! Mais pour qui me prenez-vous ?! Je…
— Pour une dame qui va gagner beaucoup d’argent et qui, pour le prix de ce qu’elle va gagner, va se mettre un petit peu en quatre pour son cher client ! la coupai-je.
Mon ton était soudain devenu un peu plus sévère.
— Mais vous n’y pensez pas ? De quoi aurais-je l’air ? Je n’ai jamais fait ça pour quelque client que ce soit. Vous confondez…
— Allez ! Ne discutez pas ! Personne ne vous verra, ça restera entre nous. Je ne vais pas vous prendre en photo. Un moment unique comme cette signature – cet ordre que je vais vous signer – vaut bien un geste unique de votre part.
— Mais enfin…
La confusion commençait à la gagner, à la faire bafouiller. Néanmoins je réalisai que face à ma proposition indécente et humiliante, elle n’avait pas encore plié bagage et ne s’était pas levée pour partir choquée et indignée. L’appât si proche du gain la tiraillait et commençait à être plus fort que sa pudeur et ses valeurs.
Par ailleurs, depuis le temps (plusieurs semaines) que je lui faisais espérer cette grosse galette, je m'imaginais bien qu'elle avait dû compter dessus, prévu déjà comment l’investir, faire des projets, que sais-je, et qu'il était difficile pour elle de tout lâcher maintenant et de s'asseoir sur ces gains.
Et c'est bien sur autre chose qu'elle allait devoir s'asseoir...
— Bon, alors ? On la conclut, cette affaire ? dis-je avec un peu de moquerie dans la voix. Qu’on en finisse !
Elle se leva, très rouge soudain (de honte désormais, et non pas de colère), et tout en bredouillant, sans lever les yeux, elle retira la veste de son tailleur, sembla hésiter un peu, dégrafa sa jupe qu’elle fit tomber à ses pieds, apparut dans des collants assez laids mais révélant des cuisses assez fortes qui me mirent en appétit.
Elle resta ainsi debout une seconde, et s’apprêtait à se rasseoir. Je l’interrompis :
— J’ai dit en sous-vêtements ! Enlevez-moi ce chemisier !
— C’est ridicule… bredouilla-t-elle dans sa lippe en déboutonnant nerveusement le petit chemisier blanc.
Elle se rassit sur sa chaise, près de moi, puis se pencha à nouveau sur les papiers pour se donner une contenance. Mes yeux étaient fixés sur ses seins que révélait un joli soutien-doudounes blanc et assez pigeonnant.
Elle avait beau avoir un look « mémère de province », elle avait de beaux seins, bien développés.
— Bon, dit-elle en essayant de ne plus me regarder et de se concentrer sur autre chose que son humiliation, combien avez-vous dit que vous mettiez sur ce contrat ?
— Je n’ai encore rien dit, chère Madame…
— On avait parlé de 5 millions d’euros, il me semble…
— Je n’avais donné aucun chiffre, Madame Mareuil. N’essayez pas de me prendre pour une bille, et ne prenez pas vos désirs pour des réalités.
— Mais… combien ?
— Cela dépend de vous.
— Comment ça ?
Puis, après un bref silence :
— Quoi ? Que voulez-vous de plus ?!
— Disons que dans l’état actuel des choses, ou – pour être plus juste – dans l’état vestimentaire où vous êtes là, tout de suite je ne me verrais pas mettre plus de 20 000 €.
Elle leva enfin les yeux sur moi. J’y vis de la colère, de l’indignation, mais peut-être aussi un désespoir, et une grande lassitude proche de la résignation.
Je continuai :
— D’autant qu’en termes d’habillement, vous n’avez vraiment pas de goût : je vous trouve assez ridicule avec vos chaussures et ces collants à empiècement. Je sais bien que vous étiez loin d’imaginer en venant ici que vous vous retrouveriez dans mon salon dans cette tenue… Peut-être aurais-je dû vous prévenir ? » dis-je avec un large sourire. Dans ce cas, peut-être auriez-vous mis un collant sexy, sans slip, ou bien des bas autofixants, un string et un soutien-gorge à balconnets ? Vous pensez peut-être que ce look ringard qui est le vôtre me rebute ? Je l’avoue : un peu… Mais alors, je vais vous dire une chose : puisque cette tenue est quasiment une agression pour mes yeux, vous allez devoir vous foutre à poil !
— Comment ?! Mais… Enfin…
— Allez, ne discutez pas ! C’est pour vous le prix à payer si vous voulez que je consente à vous faire gagner un peu d’argent.
Elle se leva, et je crus une nouvelle fois qu’elle aller se rhabiller et s’en aller. Mais presque pleurnichante, la tête basse, honteuse, elle se mit à dégrafer son soutien-gorge, reniflant, murmurant :
— Je ne suis pas une pute…
— Non, je ne dis pas ça. Je dis juste que ce que vous allez palper mérite bien de petits efforts de votre part. Et que vous allez devoir payer de votre personne.
— Je vous en prie… marmonna-t-elle.
Auteur : Docsevere
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