La bouche pâteuse et une grosse migraine accompagnèrent son difficile
réveil ; dans sa tête résonnait encore le tambour de la savane. Elle
avait bu, sans doute un peu trop, dansé comme jamais ; qu'avait-elle
fait d'autre ? Le souvenir diffus de moments d'intenses plaisirs restait
imprimé dans sa mémoire, mais elle se sentait bien incapable de dire où
? Quand ? Comment ? Seules les taches suspectes éparpillées çà et là
sur sa robe blanche témoignaient d'une intense activité. Elle se sentait
délicieusement remplie, et fut bien étonnée de voir le phallus d'ébène
bien en place dans son corps. Se sentir ainsi possédée – certainement
depuis de longues heures – fit monter en elle une excitation nouvelle
qu'elle parvint à apaiser en se triturant longuement le bouton.
Alice
finit par se lever et prendre une douche tonifiante. Lorsqu'elle
s'installa pour prendre le petit déjeuner, qui lui avait été porté
tandis qu'elle se lavait, elle vit une nouvelle robe blanche bien propre
posée sur son lit auprès du plateau, tandis que celle qu'elle portait
la veille avait disparu. Le café était fort, bien chaud ; cela lui fit
du bien et, pour se remettre complètement de sa folle soirée aux relents
orgiaques, elle s'offrit une douce grasse matinée.
Dans
l'après-midi, alors qu'elle avait revêtu sa jolie robe de lin, Kouakou
vint lui rendre visite. Elle se sentait beaucoup plus sûre d'elle, et
dès son entrée dans la cabine, elle lui demanda sèchement si c'était lui
qui avait placé le phallus d'ébène en elle pendant son sommeil.
Nullement gêné par cette question il lui répondit par l'affirmative, lui
recommandant même de renouveler cette opération chaque soir, jusqu'à
son débarquement. Le visage du marabout exprimait une certaine
satisfaction, celle du travail bien fait ; le bounga (*) commençait à
faire son œuvre. Peu à peu, la reine s'africanisait et commençait à
affirmer son autorité souveraine. Avec un large sourire découvrant de
belles dents blanches, Kouakou, fier de lui, lui indiqua que cet objet
était quelque peu magique et lui transmettait le pouvoir des reines
depuis bien des lunes ; quoi de plus normal que la reine devienne une
vraie Baoulé dans sa façon de penser agrémentée de sa culture européenne
?
Petit à petit, Kouakou lui apprenait à connaître le navire ;
l'accompagnant jusqu'à la passerelle, il était fier de lui faire
découvrir les différentes fonctions des instruments de navigation. Les
matelots de quart regardaient avec envie cette belle femme, leur reine,
avec certainement quelques réminiscences de la soirée donnée en son
honneur ; mais aucun n'y faisait référence, se contentant de la saluer
avec beaucoup de respect.
Alice appréciait particulièrement ces
moments où elle pouvait longuement admirer les dauphins qui, sautant au
devant de l'étrave, accompagnaient le navire durant quelques milles.
Elle fut aussi toute émerveillée de voir, défilant lentement sur bâbord,
les îles Canaries. Il faisait un temps magnifique, et la chaleur
tropicale qui peu à peu s'installait à bord, était agréablement
rafraîchie par une douce brise.
Les journées s'écoulaient
lentement au rythme de la vie à bord, elle avait perdu la notion du
temps et aurait été bien incapable de dire depuis combien de temps elle
avait quitté Paris ; d'ailleurs cette notion du temps qui passe n'avait
plus aucune importance pour elle.
Un matin, elle fut réveillée
par des bruits de moteurs, de grincements de chaînes ; alors elle sortit
de sa cabine pour voir ce qui se passait et découvrit que le cargo
était amarré dans un port : c'était Dakar, la première escale africaine.
Elle demanda à visiter la ville ; Kouakou lui expliqua que comme
l'escale serait brève, elle pourrait faire un petit tour à terre sans
trop s'éloigner du port. Et afin de lui éviter tout désagrément, elle
serait accompagnée par deux membres de l'équipage qui connaissaient bien
la ville.
Ce furent donc ses premiers pas sur la terre ferme,
son premier contact avec l'Afrique ; elle en profita pour faire une
longue promenade à travers les rues sous un chaud soleil. Sa « garde
royale », attentive, la protégeait de la foule et des marchands à la
sauvette qui essayaient de lui vendre des colifichets aussi chers
qu'inutiles. Alice s'était beaucoup amusée dans le vaste marché où l'on
trouvait de tout : beaucoup de fruits, de la viande, du poisson, mais
aussi toutes sortes de coupons de tissus multicolores ainsi que des
vêtements très couleur locale cohabitant avec des habits européens à la
coupe beaucoup plus stricte. Lorsqu'elle retourna à bord du Tabou, elle
était fatiguée, mais avait la tête remplie d'images colorées.
En
soirée, le cargo quitta Dakar et effectua presque chaque jour une
nouvelle escale, passant par Monrovia, Freetown, Conakry, San Pedro,
Abidjan, Takoradi, Lomé et enfin Cotonou. Parfois, il n'y avait pas de
port et les opérations de chargement et de déchargement s'effectuaient
sur une rade foraine. Le bateau jetait l'ancre, restait au mouillage, et
des chalands venaient le long du bord pour effectuer le transfert des
marchandises, épaulés par une armée bruyante de dockers qui
travaillaient dans la bonne humeur.
Elle put visiter plus
longuement Abidjan, car cette escale dura plusieurs jours. Cela lui
permit de découvrir les quartiers chic du Plateau et de Cocody où
beaucoup de magasins n'étaient guère différents de ceux que l'on trouve
dans les grandes métropoles européennes. Par contre elle avait un bon
contact avec la population notamment dans le très populaire et
animé, quartier de Treichville. Elle s'y déplaçait en toute confiance
avec les matelots qui l'escortaient. Ceux-ci s'arrêtaient parfois pour
parler longuement avec des gens croisés dans la rue. Alice ne comprenait
rien de ce qu'il pouvaient se raconter, dans leur dialecte, mais aux
regards échangés, voyait bien qu'on parlait d'elle. Souvent, à l'issue
de ces longues conversations, ponctuées par de grands éclats de rire,
des autochtones s'adressaient en français à la jeune femme, la saluant
avec beaucoup de respect et formulant une sorte de bénédiction et de
souhaits simples et sincères pour leur nouvelle reine. Il y a aussi
beaucoup de Baoulés qui vivent en Abidjan.
À l'escale de Cotonou,
une partie de l'équipage débarqua pour prendre des congés et retrouver
le pays Baoulé. C'était le terme de la partie maritime du voyage de la
reine Alice. La petite troupe s'entassa dans un car ; Kouadio, assis à
côté de sa reine, lui indiquait la suite de son long et initiatique
trajet jusqu'à son royaume.
Après quelques heures de route, le
car s'arrêta au bord d'une vaste lagune, devant une sorte d'embarcadère
où étaient amarrées plusieurs grandes pirogues. Les bagages furent
chargés sur l'une d'elles tandis qu'Alice et ses joyeux compagnons
s'installèrent dans ces embarcations. Les pagaies commencèrent à
s'activer au rythme d'un chant repris en chœur, tandis qu'ils avançaient
lentement sur le miroir d'argent.
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