Relisez le chapitre 2
Après quelques
heures de navigation sur la lagune, on distinguait à peine à l'horizon
une sorte de petit village. De nombreuses pirogues venaient à leur rencontre ; toutes étaient abondamment fleuries. Leurs passagers en
costume traditionnel de fête hélaient les pagayeurs du cortège royal.
Cette multitude de petites embarcations vint se placer de part et
d'autre, dans une joyeuse cacophonie de rires et de chants, mais toutes
voulaient être plus proches du bateau de la souveraine. Après quelque
temps, tous se remirent en ordre, et les navires reprirent leur route,
accompagnés d'une odorante escorte fleurie pour arriver à la cité
lacustre de Ganvié.
La découverte de ce village, où les cases étaient bâties sur pilotis, était pour Alice quelque chose d'étrange. Elle n'avait jamais pu imaginer qu'un tel lieu, aussi ancien, puisse exister, bien loin de ce que peuvent créer les voyagistes pour touristes en mal d'exotisme.
Dès son débarquement, les villageois se pressèrent autour d'elle, voulant tous être au plus près de cette reine blanche. Des femmes n'hésitaient pas à palper certaines parties de son corps à travers la fine étoffe de lin ; elle se laissait faire, frissonnant voluptueusement sous les caresses plus ou moins appuyées de ces nouvelles admiratrices.
Kouakou eut bien du mal à lui frayer un passage jusqu'à l'entrée de la case du chef du village ; il était obligé de faire avancer sa reine envahie par une douce torpeur. Alice eut un long entretien avec ce chef qui s'exprimait dans un français parfait, lui expliquant que, dans cette contrée, c'était la seule enclave Baoulé, qui pour résister aux tribus hostiles avait dû s'installer au beau milieu du lac Nokoué.
Le soir, un repas africain fut donné en son honneur, et la fête dura une bonne partie de la nuit. À cette occasion on lui offrit deux magnifiques et lourds anneaux d'or qui encadraient sont visage pâle. Elle découvrit même que son père, malgré ses turpitudes, avait laissé de bons souvenirs dans ce village. Certains en parlaient encore avec beaucoup d'émotion et avaient même ressorti de vieilles photos, jaunies par le temps, dont elle ignorait l'existence. Elle sentait chez ces villageois une immense fierté de voir que c'était la fille de leur ami blanc, leur nouvelle reine.
Après les quelques journées passées à Ganvié, le marabout expliqua à la jeune femme qu'il fallait reprendre la route afin de rejoindre le royaume. Le cœur serré, les larmes aux yeux, elle fit longuement ses adieux à la population. Des provisions furent chargées sur les pirogues, et juste avant de repartir le chef du village, après un long discours, lui indiqua qu'elle aurait une accompagnatrice, une servante, qui serait à ses côtés pour l'aider et pour lui conserver un bon souvenir de Ganvié.
N'Guatta, une sculpturale jeune femme d'une trentaine d'années, prit place avec ses compagnons de voyage dans les embarcations qui repartirent vers le nord, accompagnées pendant quelque temps par de nombreuses pirogues du village. La tête remplie d'images, Alice s'endormit, bercée par le doux clapot et les chants rythmant la cadence des pagayeurs.
Parvenue sur la rive de la lagune, N'Guatta réveilla doucement sa reine avec des gestes maternels. La route était encore longue, il y avait encore beaucoup de chemin a faire avant d'arriver à destination. Le voyage se poursuivit en taxi brousse, un petit convoi de sept véhicules bien chargés, comme on ne le voit que dans ces régions. Parfois au détour de la piste, dans la forêt équatoriale, il fallait s'arrêter pour laisser passer quelques éléphants.
C'est au cours de ces longs trajets que Kouakou lui raconta cette histoire qui se serait déroulée aux alentours du 17ème ou du 18ème siècle (NB : j'ai emprunté ce passage à Wikipedia ; je n'aurais certainement pas été capable de raconter cette belle histoire d'une façon aussi magistrale).
« La légende des Baoulés :
Il y a longtemps, très longtemps, vivait au bord d’une lagune calme une tribu paisible de nos frères. Ses jeunes hommes étaient nombreux, nobles et courageux ; ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine Pokou, était la plus belle parmi les plus belles. Depuis longtemps, très longtemps, la paix était sur eux et les esclaves mêmes, fils des captifs des temps révolus, étaient heureux auprès de leurs heureux maîtres. Un jour, les ennemis vinrent nombreux comme des magnans. Il fallut quitter les paillotes, les plantations, la lagune poissonneuse, laisser les filets, tout abandonner pour fuir. Ils partirent dans la forêt. Ils laissèrent aux épines leurs pagnes, puis leur chair. Il fallait fuir toujours, sans repos, sans trêve, talonné par l’ennemi féroce. Et leur reine, la reine Pokou, marchait la dernière, portant au dos son enfant. À leur passage, la hyène ricanait, l’éléphant et le sanglier fuyaient, le chimpanzé grognait et le lion étonné s’écartait du chemin. Enfin les broussailles apparurent, puis la savane et les rôniers et, encore une fois, la horde entonna son chant d’exil :
Mi houn Ano, Mi houn Ano, blâ ô
Ebolo nigué, mo ba gnan min
(Mon mari Ano, mon mari Ano, viens,
Les génies de la brousse m’emportent)
Harassés, exténués, amaigris, ils arrivèrent sur le soir au bord d’un grand fleuve dont la course se brisait sur d’énormes rochers. Et le fleuve mugissait, les flots montaient jusqu’aux cimes des arbres et retombaient, et les fugitifs étaient glacés d’effroi. Consternés, ils se regardaient. Était-ce là l’Eau qui les faisait vivre naguère, l’Eau, leur grande amie ? Il avait fallu qu’un mauvais génie l’excitât contre eux.
Et les conquérants devenaient plus proches. Et pour la première fois, le sorcier parla : « L’eau est devenue mauvaise, dit-il, et elle ne s’apaisera que quand nous lui aurons donné ce que nous avons de plus cher. » Et le chant d’espoir retentit :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
(Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront)
Et chacun donna ses bracelets d’or et d’ivoire, et tout ce qu’il avait pu sauver. Mais le sorcier les repoussa du pied et montra le jeune prince, le bébé de six mois : « Voilà, dit-il, ce que nous avons de plus précieux. » Et la mère, effrayée, serra son enfant sur son cœur.
Mais la mère était aussi la reine et, droite au bord de l’abîme, elle leva l’enfant souriant au-dessus de sa tête et le lança dans l’eau mugissante. Alors les hippopotames, d’énormes hippopotames émergèrent et, se plaçant les uns à la suite des autres, formèrent un pont et sur ce pont miraculeux le peuple en fuite passa en chantant :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
(Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront)
Et la reine Pokou passa la dernière et trouva sur la rive son peuple prosterné. Mais la reine était aussi la mère, et elle put dire seulement « Baouli », ce qui veut dire : l’enfant est mort.
Et c’est grâce à la reine Pokou que le peuple garda le nom de Baoulé… »
Lorsque Kouakou lui racontait ces histoires, Alice était transportée dans un autre monde, oubliant les secousses du taxi-brousse qui poursuivait sa route vers le nord-ouest. Ainsi ils traversèrent le Togo et entrèrent au Ghana. Le convoi s'arrêta devant un nouveau vaste miroir : le lac Volta. Ils empruntèrent une sorte de ferry-boat ressemblant à ces bateaux à aubes du Mississippi, où passagers et animaux voyageaient ensemble. Elle était reine, certes, mais dans la foule bigarrée rien ne la différenciait des autres passagers hormis sa peau blanche d'Européenne. Elle se sentait en sécurité, Kouakou et N'Guatta restant toujours très proches d'elle tandis que sa discrète garde restait attentive.
Après avoir traversé le lac Volta, le petit convoi de taxis-brousse mis le cap à l'ouest ; ils étaient dans le pays Akan, région que les ancêtres des Baoulés avaient dû fuir au dix-septième siècle. Alice sentait bien, parmi ses compagnons, cette ferveur, cette sorte de retour vers leurs racines. Parallèlement, au fond d'elle-même, un sentiment diffus l'envahissait : elle se doutait qu'elle suivait le même itinéraire que son père.
Le voyage était entrecoupé d'arrêts dans certains villages pour s'y reposer. Cette petite troupe était bien accueillie, les rivalités tribales n'existant plus. C'était souvent l'occasion de faire la fête autour d'un grand feu. De longs palabres agrémentaient ces soirées entrecoupées de danses traditionnelles. Bien que les rythmes et la chaleur ambiante soient totalement différents, ces soirées lui rappelaient les fest-noz auxquels elle participait quand, adolescente, elle passait des vacances chez sa grand-mère en Bretagne.
La découverte de ce village, où les cases étaient bâties sur pilotis, était pour Alice quelque chose d'étrange. Elle n'avait jamais pu imaginer qu'un tel lieu, aussi ancien, puisse exister, bien loin de ce que peuvent créer les voyagistes pour touristes en mal d'exotisme.
Dès son débarquement, les villageois se pressèrent autour d'elle, voulant tous être au plus près de cette reine blanche. Des femmes n'hésitaient pas à palper certaines parties de son corps à travers la fine étoffe de lin ; elle se laissait faire, frissonnant voluptueusement sous les caresses plus ou moins appuyées de ces nouvelles admiratrices.
Kouakou eut bien du mal à lui frayer un passage jusqu'à l'entrée de la case du chef du village ; il était obligé de faire avancer sa reine envahie par une douce torpeur. Alice eut un long entretien avec ce chef qui s'exprimait dans un français parfait, lui expliquant que, dans cette contrée, c'était la seule enclave Baoulé, qui pour résister aux tribus hostiles avait dû s'installer au beau milieu du lac Nokoué.
Le soir, un repas africain fut donné en son honneur, et la fête dura une bonne partie de la nuit. À cette occasion on lui offrit deux magnifiques et lourds anneaux d'or qui encadraient sont visage pâle. Elle découvrit même que son père, malgré ses turpitudes, avait laissé de bons souvenirs dans ce village. Certains en parlaient encore avec beaucoup d'émotion et avaient même ressorti de vieilles photos, jaunies par le temps, dont elle ignorait l'existence. Elle sentait chez ces villageois une immense fierté de voir que c'était la fille de leur ami blanc, leur nouvelle reine.
Après les quelques journées passées à Ganvié, le marabout expliqua à la jeune femme qu'il fallait reprendre la route afin de rejoindre le royaume. Le cœur serré, les larmes aux yeux, elle fit longuement ses adieux à la population. Des provisions furent chargées sur les pirogues, et juste avant de repartir le chef du village, après un long discours, lui indiqua qu'elle aurait une accompagnatrice, une servante, qui serait à ses côtés pour l'aider et pour lui conserver un bon souvenir de Ganvié.
N'Guatta, une sculpturale jeune femme d'une trentaine d'années, prit place avec ses compagnons de voyage dans les embarcations qui repartirent vers le nord, accompagnées pendant quelque temps par de nombreuses pirogues du village. La tête remplie d'images, Alice s'endormit, bercée par le doux clapot et les chants rythmant la cadence des pagayeurs.
Parvenue sur la rive de la lagune, N'Guatta réveilla doucement sa reine avec des gestes maternels. La route était encore longue, il y avait encore beaucoup de chemin a faire avant d'arriver à destination. Le voyage se poursuivit en taxi brousse, un petit convoi de sept véhicules bien chargés, comme on ne le voit que dans ces régions. Parfois au détour de la piste, dans la forêt équatoriale, il fallait s'arrêter pour laisser passer quelques éléphants.
C'est au cours de ces longs trajets que Kouakou lui raconta cette histoire qui se serait déroulée aux alentours du 17ème ou du 18ème siècle (NB : j'ai emprunté ce passage à Wikipedia ; je n'aurais certainement pas été capable de raconter cette belle histoire d'une façon aussi magistrale).
« La légende des Baoulés :
Il y a longtemps, très longtemps, vivait au bord d’une lagune calme une tribu paisible de nos frères. Ses jeunes hommes étaient nombreux, nobles et courageux ; ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine Pokou, était la plus belle parmi les plus belles. Depuis longtemps, très longtemps, la paix était sur eux et les esclaves mêmes, fils des captifs des temps révolus, étaient heureux auprès de leurs heureux maîtres. Un jour, les ennemis vinrent nombreux comme des magnans. Il fallut quitter les paillotes, les plantations, la lagune poissonneuse, laisser les filets, tout abandonner pour fuir. Ils partirent dans la forêt. Ils laissèrent aux épines leurs pagnes, puis leur chair. Il fallait fuir toujours, sans repos, sans trêve, talonné par l’ennemi féroce. Et leur reine, la reine Pokou, marchait la dernière, portant au dos son enfant. À leur passage, la hyène ricanait, l’éléphant et le sanglier fuyaient, le chimpanzé grognait et le lion étonné s’écartait du chemin. Enfin les broussailles apparurent, puis la savane et les rôniers et, encore une fois, la horde entonna son chant d’exil :
Mi houn Ano, Mi houn Ano, blâ ô
Ebolo nigué, mo ba gnan min
(Mon mari Ano, mon mari Ano, viens,
Les génies de la brousse m’emportent)
Harassés, exténués, amaigris, ils arrivèrent sur le soir au bord d’un grand fleuve dont la course se brisait sur d’énormes rochers. Et le fleuve mugissait, les flots montaient jusqu’aux cimes des arbres et retombaient, et les fugitifs étaient glacés d’effroi. Consternés, ils se regardaient. Était-ce là l’Eau qui les faisait vivre naguère, l’Eau, leur grande amie ? Il avait fallu qu’un mauvais génie l’excitât contre eux.
Et les conquérants devenaient plus proches. Et pour la première fois, le sorcier parla : « L’eau est devenue mauvaise, dit-il, et elle ne s’apaisera que quand nous lui aurons donné ce que nous avons de plus cher. » Et le chant d’espoir retentit :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
(Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront)
Et chacun donna ses bracelets d’or et d’ivoire, et tout ce qu’il avait pu sauver. Mais le sorcier les repoussa du pied et montra le jeune prince, le bébé de six mois : « Voilà, dit-il, ce que nous avons de plus précieux. » Et la mère, effrayée, serra son enfant sur son cœur.
Mais la mère était aussi la reine et, droite au bord de l’abîme, elle leva l’enfant souriant au-dessus de sa tête et le lança dans l’eau mugissante. Alors les hippopotames, d’énormes hippopotames émergèrent et, se plaçant les uns à la suite des autres, formèrent un pont et sur ce pont miraculeux le peuple en fuite passa en chantant :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
(Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront)
Et la reine Pokou passa la dernière et trouva sur la rive son peuple prosterné. Mais la reine était aussi la mère, et elle put dire seulement « Baouli », ce qui veut dire : l’enfant est mort.
Et c’est grâce à la reine Pokou que le peuple garda le nom de Baoulé… »
Lorsque Kouakou lui racontait ces histoires, Alice était transportée dans un autre monde, oubliant les secousses du taxi-brousse qui poursuivait sa route vers le nord-ouest. Ainsi ils traversèrent le Togo et entrèrent au Ghana. Le convoi s'arrêta devant un nouveau vaste miroir : le lac Volta. Ils empruntèrent une sorte de ferry-boat ressemblant à ces bateaux à aubes du Mississippi, où passagers et animaux voyageaient ensemble. Elle était reine, certes, mais dans la foule bigarrée rien ne la différenciait des autres passagers hormis sa peau blanche d'Européenne. Elle se sentait en sécurité, Kouakou et N'Guatta restant toujours très proches d'elle tandis que sa discrète garde restait attentive.
Après avoir traversé le lac Volta, le petit convoi de taxis-brousse mis le cap à l'ouest ; ils étaient dans le pays Akan, région que les ancêtres des Baoulés avaient dû fuir au dix-septième siècle. Alice sentait bien, parmi ses compagnons, cette ferveur, cette sorte de retour vers leurs racines. Parallèlement, au fond d'elle-même, un sentiment diffus l'envahissait : elle se doutait qu'elle suivait le même itinéraire que son père.
Le voyage était entrecoupé d'arrêts dans certains villages pour s'y reposer. Cette petite troupe était bien accueillie, les rivalités tribales n'existant plus. C'était souvent l'occasion de faire la fête autour d'un grand feu. De longs palabres agrémentaient ces soirées entrecoupées de danses traditionnelles. Bien que les rythmes et la chaleur ambiante soient totalement différents, ces soirées lui rappelaient les fest-noz auxquels elle participait quand, adolescente, elle passait des vacances chez sa grand-mère en Bretagne.
Auteur : Pierheim
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