mardi 12 août 2014

[Feuilleton] Double vie (19)

Relisez le chapitre 18

Quarante-quatre jours avaient passé depuis la fusillade de la clinique, et ce matin-là, Clara reçut un coup de fil.
— Votre sœur Irène est totalement sortie du coma hier après-midi, nous avons attendu d’avoir pratiqué tous nos tests avant de vous prévenir…


— Oh mon Dieu, murmura-t-elle. Com… Comment va-t-elle ? Que donnent ces tests ? Dites-moi !
— Tout va bien, Madame ! lui répondit son interlocutrice. Vous pouvez venir la voir, si vous le souhaitez… Il faut simplement la ménager, vous comprenez…
— Oh oui, oui bien entendu ! Oh mon Dieu, répéta Clara. J’arrive !

Elle raccrocha son téléphone fixe sans fil, et resta immobile.
Voilà, ça y était : sa sœur était à nouveau là.


Quelque chose en elle, et c’était honteux, avait espéré que ce sommeil dure éternellement, mais comment se l’avouer, et encore moins l’avouer ?
Sa sœur revenait à la vie, et sa sœur était… complète, en quelque sorte, complète et attirante, et elle, Clara, savait bien que sans ce coma étrange et inattendu, elle n’aurait jamais connu Carlos, ni perdu son mari, rien n’aurait été révélé.
Depuis qu’il avait été mis hors de cause, elle avait vécu avec Carlos des semaines de vrai bonheur, des semaines d’un couple qui se découvre, se crée et se donne des chances d’aller plus loin pour construire une aventure peut-être durable, qui sait ?
Et sur le plan du sexe, c’était absolument formidable ! Elle lui avait finalement montré son ventre avec la cicatrice, mais cela n’avait en rien entamé son désir, elle avait pu le constater, à son plus grand plaisir.
La seule chose qu’elle ne lui montrerait jamais, c’était ses orbites vides, que les chirurgiens avaient clos sur des petites prothèses rondes qui donnaient, à ce qu’ils lui avaient dit, l’impression qu’elle fermait les yeux.

Avec Carlos, elle se sentait forte, elle se sentait femme, une femme et pas une ravagée, une blessée perpétuelle, pas une maudite de la vie, pas une moins que rien qui attend la mort en cherchant à occuper ses journées pensionnées.

Irène, blonde, rescapée, avec ses beaux yeux, son joli cul qu’elle donnait facilement…
Carlos lui avait proposé de voir le tas de DVD de son journal intime, où elle s’était filmée en train de tout raconter, le journal de sa double vie. C’était la première fois qu’il le regardait en intégralité. Et il regretta amèrement d’avoir attendu. S’il avait su, il aurait tout compris, aurait pu… intervenir ?
Elle y parlait en effet de Bernard, elle témoignait de tout ce qui avait été une relation pourrie, hautement nocive et glauque, le chantage, c’était effrayant !
Clara ne pouvait pas pleurer, mais elle avait écouté, ressenti, et en fin de compte, elle avait été anéantie non par la trahison de son mari, abject obsédé, mais par la détresse de sa sœur prise dans les mailles du filet : les témoignages d’Irène à ce sujet étaient bouleversants…

Et puis… ces DVD, qu’elle avait appelés JIDMO « Journal Intime De Mes Orifices » étaient remplis de désespoirs qui prenaient souvent la forme équivoque de trésors torrides, quand Irène racontait ses soirées pleines de sexe et de jouissances avec tellement d’hommes et de femmes différents qu’ils en seraient devenus indifférenciés si elle n’avait pas tenus ce journal vidéo.
Et Carlos, en écoutant ces récits parfois très détaillés, avait été excité, Clara avait senti sa respiration s’accélérer, sa chaleur monter dans le salon, avait ressenti son trouble, qui était venu nourrir le sien.
Elle s’était approchée de Carlos, avait posé la main sur la bosse de son jean, et avait libéré son membre. En écoutant sa sœur raconter ses soirées, elle avait longuement sucé son amant, en sachant parfaitement que cette séance était très limite, équivoque, tout à fait incorrecte… mais elle avait eu un grand plaisir à être celle qui vivait cela d’unique alors qu’en fond sonore elle entendait la sombre accumulation désenchantée des amants d’Irène.

Et puis Carlos avait joui dans sa bouche, elle avait continué à sucer jusqu’à ce que la vigueur de cette queue se réaffirme entre ses lèvres, puis s’était relevée pour l’enjamber, ils avaient lentement fait l’amour tandis que les billets de ce journal continuaient de se superposer.
Il avait joui à nouveau, en elle, en criant.
Carlos et Clara avaient alors fait une pause, avaient déjeuné, et puis avaient décidé de continuer le visionnage.
Clara avait attendu que l’excitation revienne, et ils avaient à nouveau fait l’amour, lentement, elle à quatre pattes sur le canapé, Carlos lui bloquant tendrement les hanches pour pouvoir l’enfiler à sa guise…

Cette séance salée et équivoque en avait entraîné d’autres : trois jours à écouter Irène – que Carlos voyait, lui – témoigner et parfois se branler devant la caméra, et trois jours à baiser en circuit fermé, jusqu’à une sorte d’abstraction de l’excitation, l’air était empli de parfum de sperme, de mouille, et de la voix d’Irène, ponctuée des grognements de Carlos et des gémissements de Clara, trois jours nus à baiser, manger, baiser, se laver, jouir encore, manger, dormir, se réveiller et baiser, une étrange folie partagée à deux plus le fantôme d’Irène, qui était si présent et tellement absent !

Parfois, dans ses témoignages, Irène citait le nom de personnages connus, hommes et femmes, des people comme on dit, des gens diversement célèbres que parfois on n’aurait jamais imaginé faire partie des soirées chaudes, clandestines et totalement dévergondées que fréquentait Irène.
Politique, rock, cinéma, télé, sport, littérature, finance et entreprise, le monde est petit dans l’univers du cul, et ces témoignages vidéos extrêmement précis, que Carlos et Clara réécoutaient en détail après s’être calmés, étaient une mine de scandales potentiels particulièrement explosifs.

Et voilà qu’Irène se réveillait, était là. Depuis le début, Clara avait cette peur en arrière-plan.
Cette peur était sur le devant de la scène.
Clara sentait le froid l’envahir : sa sœur vivante, présente, charnelle, allait tout ré-envahir.

Comment douter que Carlos n’allait pas aller vers elle pour revivre une autre fois, pour lui tout seul et en pleine possession de son désir, ce qu’il avait vécu brièvement sur un parking de nuit avec celle qu’il ne savait pas encore être sa future banquière, ni celle qui l’entraînerait si loin en étant si absente ?

Clara eut envie de tout laisser tomber, elle n’était pas de taille.
Elle eut de sombres rêveries, cherchant le courage de prévenir Carlos, la volonté d’agir, la nécessité de se lever, le courage de reprendre le fil de sa vie là où ce coup de fil l’avait suspendu.
Elle entendit du bruit dans l’entrée, Carlos entra sans la pièce et elle lui apprit qu’Irène était réveillée depuis hier, et que tout allait bien.

— Je devrais être si heureuse, soupira-t-elle d’une voix émue, je devrais sauter de joie, n’avoir qu’une envie, la revoir… Mais j’ai peur, Chéri. Peur de te perdre, de tout perdre…
— Non, Clara, pourquoi aurais-tu peur ?
— Elle est si belle, si… accomplie ! Elle se réveille, et c’est comme si je me souvenais que je suis… que je suis… toute abîmée, sans yeux…
— Tu es Clara et je t’aime, et tu es belle, tendrement belle, et quand on fait l’amour, c’est extraordinaire… !
Clara se passa une main dans les cheveux.
— Pardonne-moi, mais je suis si fragile, en cet instant…
— Arrête, Chérie : prépare-toi, on y va, cesse de douter. Je t’aime, je suis ton homme.
— Oh, murmura Clara. C’est vrai ?
— Oui. Tu le sais. Allons-y, sourit-il.

À la clinique, le médecin fut prévenu de leur arrivée et les rejoignit pour les accompagner dans la nouvelle chambre d’Irène, qui tourna la tête vers eux quand ils entrèrent, et les examina d’un regard perplexe et fatigué, allant de l’un à l’autre.
Elle avait maigri durant cette parenthèse imprévue, et elle eut un pâle sourire.
— Tu es là, Clara…
— Oh que j’attendais ce moment ! murmura sa sœur, sans ajouter qu’elle l’avait également redouté.

Ils s’installèrent sur des chaises devant son lit, et le médecin dressa brièvement un bilan de santé, leur apprit qu’Irène allait avoir une courte rééducation fonctionnelle pour marcher à nouveau, durant quatre ou cinq jours, puis allait pouvoir sortir, il répondit à quelques questions de Clara et les salua avant de quitter la chambre.

Le silence s’installa.

Carlos regardait Irène, qui observait ses deux visiteurs, puis elle se décida à demander :
— Qu’est-ce qui s’est passé depuis… que j’ai perdu connaissance ? Je ne me souviens pas d’ailleurs… pas vraiment, c’était à la banque… Je ne me souviens pas, et puis après… rien… Je suis restée si longtemps… dans le coma.

Alors Clara commença à raconter, avec l’aide de Carlos, tous les événements qui s’étaient succédés pendant les jours qui avaient suivi cette perte de connaissance qui était restée inexpliquée.
Carlos tut un certain nombre de choses, notamment sa première visite dans la maison d’Irène dont il avait piqué les clefs : il parla du journal intime en vidéo, mais prétendit l’avoir découvert au moment de leur visite juste après le cambriolage.
Ils firent également et en parallèle le récit étape par étape de leur relation amoureuse, Carlos raconta la tentative de Bernard de l’assassiner elle, et comment il l’avait abattu dans un escalier de secours de la clinique, et l’enquête qui avait suivi.

Irène, pâle et catastrophée, resta silencieuse, calée dans son oreiller.
Sans dire un mot, en plaçant parfois lentement la main sur sa bouche, ou ses mains sur ses joues, elle écouta l’histoire incroyable de tout ce qui s’était passé depuis sa perte de conscience.

Puis le silence retomba sur son effarement, et au bout de quelques minutes elle bredouilla :
— C’est affreux… Je… je m’évanouis, et toute ma vie… toute ma vie secrète remonte à la surface, l’accident… l’accident, et ma double vie de… de sexe, et le chantage de Bernard, tout apparaît, c’est affreux, j’ai juste… dormi, et tout est là à mon ré… à mon réveil, mon Dieu !
— Non ma Chérie, murmure Clara. Tout n’est pas au grand jour. Ta vie… nocturne, ta double vie, est restée dans l’ombre et ta réputation est intacte, précisa-t-elle. Rien n’est sorti, malgré la mort de Bernard, malgré la présence de Carlos, et surtout grâce à lui, il a été parfait, tu sais, pour garder secret ce qui devait l’être… et ne pas te faire de mal au grand jour, ne pas te salir.
— Mais JE SUIS sale, Clara ! s’exclama Irène, le visage tordu par une grimace de détestation. Vous… Mon Dieu, vous avez visionné… mon journal vidéo, vous savez ! Vous avez entendu ! Je suis une folle, vous le savez, ça ? Vous avez vu ce que je vis la nuit, l’ampleur de tout ça ? Vous le savez, que je suis sale !!
— Irène… murmura Carlos, je peux vous parler ?
— Oui.
— Il s’est passé une sorte de révolution, pendant votre coma, commença t-il. Oui, tout est remonté à la surface, je ne sais pas pourquoi, ni pourquoi ça a été tellement fort et anarchique : Bernard, votre vie nocturne, tous ces excès, tout votre désespoir, l’accident, la mort de votre fille et de votre mari, tout est là sous nos yeux. Mais nous sommes les seuls au courant, Irène. Nous avons sauvegardé l’essentiel pour la suite, pour vous. Et puis il y a aussi des choses qui ont bougé, et aussi qui ont disparu, dans cette révolution. Bernard, et son chantage, Bernard est mort, vous en êtes libérée, et… Clara également.
— Et j’ai rencontré Carlos, poursuivit Clara, avec un sourire fragile. Ce mec est la plus grande chance que j’aie eue, qui s’est présentée à moi depuis l’accident.
— Et ce journal intime en vidéo… commença Carlos avant d’hésiter.
— Oui ? demanda Irène.
— Vous l’avez tenu et enregistré pour que quelqu’un le voie, pour que ça sorte, j’en suis persuadé. Nous l’avons vu, votre… votre vie secrète ne l’est plus, c’est peut-être l’occasion pour vous de franchir une étape…
— Pour arrêter d’être folle ? ricana Irène, soudain très agressive. Pour me soigner, c’est ça ? Mais ça me plaît peut-être, à moi, de me faire baiser par le plus de mecs possible ! J’adore peut-être ça, être une folle du cul !! Hein ? Vous voulez que des putains de psys s’occupent de mon cas, du cas de la putain, pour qu’elle soit convenable, la putain, et qu’elle dorme la nuit au lieu de baiser avec le premier venu, hein ??

Son visage resta crispé quelques secondes pénibles dans une grimace de sourire, puis se décomposa, et elle éclata en sanglot dans ses mains avant de se tourner vers le mur.
Carlos bredouilla d’une voix presque inaudible :
— Oh… je suis désolé, je ne voulais pas…
Clara se leva lentement et tendit la main, caressa le front de sa sœur avec une tendresse maternelle, et Carlos sortit alors de la chambre, la mort dans l’âme, avec la certitude d’avoir voulu brûler les étapes, il se sentait con et maladroit.

Il descendit dans le hall, acheta des confiseries sucrées à la machine à cochonneries, qu’il engloutit avec un café trop chaud pour noyer son amertume.
Puis il s’assit dans un espace d’attente et s’abîma dans la lecture forcenée d’articles de vieux hebdomadaires obsolètes.

Au bout d’une heure quarante-cinq, Clara sortit de l’ascenseur et resta devant les portes, aveugle attendant que l’on vienne à elle, Carlos rejeta sa revue et bondit, elle sourit en l’entendant se précipiter vers elle.
— Je suis désolé, lança t-il. Je ne voul…
— Chut, ne t’inquiète pas, répondit Clara. Elle dort. On rentre ? Je te raconte dans la voiture…

En route pour chez lui, Clara lui expliqua de sa voix douce :
— Tu as sans doute été un peu vite, elle est fragile et elle a été franchement déstabilisée par tout ce qu’on lui a raconté. Elle s’est effondrée, mais on a parlé, elle et moi, et elle s’en voulait d’avoir craqué et de t’avoir envoyé chier comme ça. Tu voulais bien faire, elle le sait, et puis… Elle s’est rendu compte, pleinement compte, sans que j’insiste, qu’on a fait tout ce qu’il fallait pour l’épargner, toi en particulier… On a été ses chiens de garde, comme elle dit. Elle est sous le choc, c’est trop de choses d’un seul coup, il faut qu’elle se remette, de ce coma et de ces révélations. Plus tard, elle… Elle… cherchera à aller mieux. Oh mon Dieu, ne plus pouvoir pleurer, Chéri, c’est… affreux, je crois que c’est la blessure la plus sournoise de cet accident.
Carlos, les yeux humides, jeta un regard vers elle, et posa tendrement la main sur sa cuisse, elle prit cette main dans ses mains et ne bougea plus.

Le soir, ils parlèrent dans le noir, et puis Clara murmura :
— Aime-moi.

Elle caressa son sexe au repos sur son ventre, le fit gonfler, se redresser, et Carlos bascula doucement sur elle, dans ses bras.
Clara n’était pas suffisamment excitée et humide pour qu’il la pénètre facilement, alors il se tint en appui sur un bras au-dessus d’elle qui écarta les cuisses et caressait ses épaules, et tenant son membre tendu d’une main, il promena le gland entre les lèvres de cette chatte qui s’ouvrit lentement, il joua à effleurer et frotter les plis de chair sous lesquels son clitoris gonfla lentement, la respiration de Clara s’affola peu à peu tandis que sa vulve devenait mouillée, impatiente, gluante de mouille et de désir.
Alors il la pénétra, et quand il glissa en elle vers le fond de son ventre qui palpitait, elle lui murmura « Je t’aime ! » à l’oreille, ce qui le fit bander encore plus.


Auteur : Riga
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