jeudi 14 août 2014

[Feuilleton] Double vie (20)

Relisez le chapitre 19

— Et ça ne correspond à aucune disparition dans les environs ? C’est quoi ce truc ? Vous avez une théorie de départ ? Sylvia ?… Fabrice ?
— À ce stade, répondit Fabrice, je pense que c’est un groupe de jeunes qui est venu faire la fête dans cet immeuble en construction, ou bien deux amoureux, parce qu’elle était en petite tenue, et la pauvre fille est tombée dans cette tranchée, en bas, du deuxième étage d’après les traces de squat qu’on a trouvées… Après, soit elle était bourrée ou droguée, soit on l’a poussée. Les analyses nous permettront d’en sav…


— Ça me débecte, lança Ruth, amère et de mauvaise humeur. On la pousse ou elle tombe, mais personne ne vient signaler sa disparition : copains, amant, parents… personne ! Le cadavre d’une jeune fille de dix-huit ou vingt ans reste là à pourrir deux ou trois mois, les fameuses analyses nous permettront d’en savoir plus, comme tu dis, et la presse va titrer, je vois ça d’ici : « Macabre découverte sur un chantier d’immeuble abandonné, mais personne n’a levé le petit doigt pour signaler qu’elle avait disparu. »
— Ou alors c’est une étrangère, proposa Sylvia pour adoucir la mauvaise humeur de sa patronne, ou une fille qui débarquait de province, on fera peut-être le lien avec un signalement de disparition…
— Peut-être, effectivement, admit Ruth avec un sourire plein de volontarisme professionnel.


Elle était dans une phase que connaissent par cœur tous les flics, où le métier même semble vain, et insupportable en ce qu’il charrie de misère et de mort. Ça passerait sans doute prochainement.
Rien ne valait dans ce cas être sur le terrain, c’était ce qu’elle aimait, pour contrecarrer les impératifs administratifs de sa charge de commissaire. Elle indiqua donc à son équipe qu’elle se rendrait sur ce chantier dans la journée pour se rendre compte elle-même des lieux, même si elle avait toutes les photos dans le dossier, y compris celle du cadavre en si mauvais état qu’elle sentait son petit déjeuner qui commençait à émettre l’hypothèse d’éventuellement se rebeller.
— Quoi d’autre ? demanda Ruth quand ils eurent fini de faire le point sur cette affaire de la morte du chantier, comme elle venait de la baptiser sur son petit carnet de notes.
— Ah oui, lança Fabrice, j’ai appris que la banquière dans le coma de la clinique de Nanterre vient de se réveiller…

Ruth se sentit blêmir franchement, mais garda le contrôle de son expression, et jeta un regard tout à fait crédible à son collaborateur, le regard d’une commissaire qui vient d’apprendre une information nouvelle dans l’affaire close d’un collègue abattu dans l’exercice de ses fonctions plus d’un mois avant, pas du tout comme une femme qui repense brutalement à un des suspects de ladite affaire close et qui est devenu à cette occasion un amant imprévu dont elle a gardé un souvenir brûlant et tourmenté depuis plus d’un mois.

— Seulement maintenant ? s’étonna la commissaire. Elle a mis le temps… Si je me souviens bien, d’après les médecins, elle était censée être en phase de réveil, à l’époque de ce bordel. D’autres infos ?
— Non, désolé, fit Fabrice en secouant la tête, on a juste eu un coup de fil au standard du médecin qui la suit, hier en fin d’aprèm’.
— Bon, l’enquête est close, mais il s’agissait de la mort d’un des nôtres, je vais aller y faire un tour en fin de journée. Elle peut recevoir des visites ?
— Chais pas, je vais appeler, je vous dis ça très vite.
— OK, merci. Si on a fait le tour, je vous laisse vaquer, conclut-elle en rassemblant ses papiers et copies de dossiers en cours que l’équipe venait de lui résumer. La réunion du matin prenait fin, et Ruth ne se sentait pas bien.

Carlos.

Cela faisait plus d’un mois, depuis qu’ils avaient fait l’amour chez lui, qu’elle était rongée par ces souvenirs qu’elle aurait bien voulu dompter définitivement, plus d’un mois qu’elle faisait en sorte de passer à autre chose, qu’elle s’évertuait soigneusement à dépasser cela, tourner la page, tout ce qu’on veut comme expression signifiant qu’il faut se débarrasser d’un souvenir encombrant et trop fort, mais plus d’un mois que c’était raté, de pire en pire, épuisant, faut dire que son propre bureau avait été le théâtre d’une séance de baise absolument divine dans le genre parfait.
Et du coup, c’était comme une punition contre laquelle elle luttait, en appliquant la meilleure méthode à sa disposition pour penser à autre chose et entretenir l’illusion qu’elle passait le cap : travailler encore plus.
Elle n’avait aucun moyen d’y changer quoi que ce soit : Carlos n’était pas pour elle, ils n’avaient fait que se croiser.

Il avait quelqu’un, comme on dit, elle essayait de ne pas y penser, de ne pas se dire qu’elle était bien mieux que cette nana avec le visage sans doute refait (il était bizarrement lisse) et qui n’avait plus d’yeux, Ruth évitait d’y penser parce qu’il y avait de quoi déprimer, et nourrir son amertume avec une belle dose de mauvaise foi… car en fait elle savait bien que le charme et l’amour n’a jamais rien eu à voir avec l’accumulation des qualités, des compétences ou des capacités physiques…
Sans quoi elle ne serait pas seule.
Sans quoi s’inscrire sur un site de rencontres et coller son CV dans le profil suffirait à lui assurer un bonheur sentimental sans fin.

Mais non : plein de choses à régler, tout le temps, et elle imaginait bien qu’aux yeux de Carlos cette femme meurtrie avait quelque chose que sans doute elle ne possédait pas, elle savait aussi que les circonstances en avaient décidé ainsi.
Pourquoi lutter ?
Alors Ruth tenait bon, essayant plus ou moins de considérer que c’était déjà une chance immense d’avoir croisé un mec pareil et d’avoir vécu cela, d’avoir pris avec lui un tel plaisir. « Un cadeau de la vie, on appelle ça. »

Mais comment faire taire la petite voix en elle qui voulait Carlos pour elle toute seule, et tout le temps, la petite vibration insatisfaite qui voulait absolument savoir ce que c’était de se réveiller à ses côtés, marcher avec lui dans la rue, faire le marché ensemble, l’écouter quand il racontait sa journée de boulot en se demandant ce qu’on allait faire à dîner ?
Le temps passait, et les occasions de vivre cette douceur partagée allaient se raréfier, puis lentement disparaître.
Sans même parler des espoirs de maternité : tiens, mieux valait ne pas même y penser.

Peut-être s’était-elle fait manœuvrer comme une adolescente par un suspect plein de sex-appeal, mais ce n’était pas grave : elle savait en profondeur que cette rencontre était sans doute un tournant de sa vie amoureuse, même si elle allait devoir se faire une raison et le regretter dans un coin de son cœur (et au fond de sa culotte) pour les années qui lui restaient à vivre.
Elle avait même des bouffées de fantasme éveillé du genre destructeur et cinématographique : elle tue sa rivale, en s’arrangeant bien entendu pour que personne ne la soupçonne (elle savait bien ce qui fonctionnait pour cela), et puis elle consolait Carlos, et puis ils vivaient ensemble, et elle vieillissait avec lui, avec son secret sur le cœur, mais c’est le prix à payer.
Non, c’est pour rigoler…

Arrivée dans son bureau, Ruth fouilla dans les cartons du bas de sa grande armoire, contenant les copies de dossiers d’affaires récentes, et ressortit le dossier de l’affaire.
Elle trouva rapidement une sous-chemise contenant des photos d’Irène Frageau, la banquière qui avait dormi tout le temps.
Elle relut ses notes : le lien entre Carlos et elle était resté plutôt flou. Elle était la banquière du frère et avait fait appel au beau Portugais parce qu’elle se sentait menacée par son beau-frère, mais sans lui avoir révélé, apparemment, la nature de ces menaces ni l’identité du beau-frère en question.
Ce point était resté un peu en suspens, même si le cœur de l’affaire, la tentative de meurtre sur Irène par le beau-frère, et sa mort, abattu par Carlos, ne souffrait pas d’interprétation alternative, tous les éléments trouvés chez le beau-frère prouvant bien qu’il était déséquilibré, et qu’il avait une obsession grandissante pour Irène.

Avait-il couché avec elle ?
Était-ce de la jalousie seule par rapport au garde du corps qui débarque dans le paysage, y avait-il eu en plus tentative de chantage ?
Carlos avait-il couché avec la belle banquière, sa nouvelle cliente ?
La sœur handicapée avait-elle un rôle dans ce jeu compliqué, puisqu’elle était à la fois l’épouse du dingue meurtrier et la maîtresse du garde du corps ?
Est-ce que cette liaison avait débuté avant que Bernard, le dingue, se soit fait abattre par Carlos, et cela avait-il incité ce dernier à supprimer le mari gênant ?

Beaucoup de questions, de zones d’ombre, qui déplaisaient à Ruth, qui voulait avoir tout éclairci avant de boucler un dossier et considérer que c’était terminé. Mais un flic était mort, un autre grièvement blessé par un mec qui avait été abattu : la machine policière s’était emballée aussi vite qu’elle avait tourné la page quand toutes les preuves avaient démontré que Carlos avait abattu un taré tueur de flic.
La machine avait ce qu’elle voulait.
Point.
Et bien entendu, Ruth ne réagissait pas qu’en tant que commissaire, même si elle détestait que des sentiments de n’importe quelle nature, mais des sentiments personnels, ne viennent parasiter son jugement et donc possiblement son comportement.
Mais elle avait couché avec le type qui avait abattu le tueur de flic. Ici, dans son bureau, au petit matin, et plus tard, chez lui.

Et une chose la frappait : le charme et la beauté attirante (pas simplement plastique) de tous les acteurs de ce drame qui demeurait pour une part obscur : Carlos, bien sûr, Clara la sœur aveugle, qui dégageait vraiment quelque chose, et puis Irène, la Belle au Bois Dormant. Les photos qu’elle avait sous les yeux le lui rappelaient : c’était une belle femme, attirante et sexy.
Ça avait dû énerver Bernard, tout ça : lui aussi avait du charme, d’après les témoignages, mais pas de même nature, pas aussi indéniable que ces trois-là.

La belle blonde, l’executive woman, s’était finalement réveillée.
Elle revenait dans le jeu, et ce n’était pas une bonne chose pour Ruth d’avoir ce qui était assimilable à une rivale potentielle de plus, même si elle n’avait pas de raisons valables de prétendre à Carlos : jamais la compétition n’avait été ouverte, Carlos l’avait juste sautée deux fois.
Mais la commissaire regardait les quelques photos d’Irène, dans le dossier étalé sur le bureau.

Et puis elle rangea tout dans les chemises, et laissa le carton sur un coin de son bureau déjà encombré, mais bien ordonné malgré tout : elle détestait chercher ses affaires. Elle enfila sa veste, prit son arme et rejoignit ses officiers de police.
Mathieu l’accompagna sur le chantier abandonné de l’immeuble en construction, devenu zone interdite, avec un flic en uniforme qui gardait les lieux.
Ils allèrent voir la tranchée envahie d’herbe où la malheureuse jeune fille avait atterri, avant qu’un zonard ne trouve son cadavre détérioré et ne téléphone à la police, prouvant ainsi qu’il était plus qu’un simple zonard, puis grimpèrent dans le squelette en béton de l’immeuble dont la construction avait été interrompue il y avait près d’un an pour d’obscures raisons de magouilles financières « spécial Hauts-de-Seine ».
Il n’y avait que le gros-œuvre, ce machin était le fantôme gris et décharné du petit collectif qu’il aurait dû devenir.

Ruth alla au bord de la plate-forme de béton d’où les analyses avaient établi que la jeune fille avait chuté, accidentellement ou non.
On distinguait bien la tranchée en dessous.
Que tout cela était triste, moche.

Elle se remit au boulot dans sa tête, et explora soigneusement les lieux avec Mathieu, qui notait leurs idées, leurs questions, pendant une heure.
Ruth était appréciée par ses collègues pour cela : elle mettait les mains dedans, arpentait le terrain dès que possible, et connaissait parfaitement la réalité du métier et de ses difficultés.
C’était sans doute pour cela que jamais ses décisions n’étaient discutées, même si Ruth pouvait être dure, régulièrement de mauvaise humeur, mais très rarement fermée aux remarques qui allaient dans le bon sens, c’est-à-dire dans le cas présent découvrir pourquoi une jeune fille en culotte et soutien-gorge était allée mourir et pourrir dans un fossé caché de cette si grande ville.

Ils allèrent boire un café à côté, continuant à discuter, et puis Ruth consulta ses messages sur son mobile : Fabrice lui apprenait qu’en définitive, Irène Frageau était réveillée depuis cinq jours, qu’elle avait fini sa rééducation fonctionnelle, et qu’elle était partie de la clinique. Fabrice, toujours concret et efficace, lui redonnait le numéro de fixe et de mobile d’Irène, et son adresse personnelle, si besoin.
Elle soupira et expliqua à Mathieu que le médecin de la clinique les avait prévenus trop tard.
— Je vais aller y faire un tour entre midi et deux, si elle est chez elle…

C’est finalement un peu avant midi moins le quart que Ruth trouva une place dans la rue de la maison d’Irène.
Elle se sentait bizarre : pendant ces dernières semaines, elle avait tenu toute cette histoire soigneusement éloignée de son esprit, et là elle se rapprochait physiquement du cœur de son problème, elle entrait dans une zone géographique qui recoupait celle de Carlos : à tout moment elle allait pouvoir le croiser, et rien que d’y penser, son rythme cardiaque grimpait.
Elle détestait dépendre de ses sensations, frousses, sentiments, retenue, jalousie, doutes, tout ce genre de trucs qui ralentissent et bloquent la machine et font immanquablement dévier de l’objectif fixé à l’avance.
Mais autant se mettre au pied du mur et lever la tête, faire face.

Elle sonna à la porte, elle avait préféré ne pas téléphoner à l’avance, quitte à se casser le nez.
Après trois ou quatre minutes, une femme blonde, coiffée au carré, lui ouvrit la porte, d’un air intrigué. Ruth reconnut aussitôt Irène, qui avait des cernes bleutés, le visage éteint, elle paraissait fatiguée, et elle était enroulée dans un peignoir blanc épais.
Elle venait peut-être de se lever, Ruth lui présenta sa carte de police, que la jeune femme considéra tandis que la commissaire lui expliquait qu’elle avait suivi tout ce qui s’était déroulé à la clinique (elle n’avait pas besoin de préciser les choses, sans doute).

— Entrez, murmura Irène. Mais tout cela n’est pas fini, classé ? On m’a dit que tout ça était terminé…
— Pour la Justice, oui Madame, je vous rassure. Et je ne veux pas vous déranger, je suis bien consciente que vous avez traversé une période très particulière… J’aurais juste quelque petites questions à vous poser, si vous voulez bien.
— … «  très particulière », c’est le mot, releva Irène avec un sourire épuisé, triste. C’est vraiment nécessaire, ces questions ?
— Je n’aime pas refermer un dossier et l’envoyer aux archives sans avoir fait le tour une dernière fois des questions sans réponses, précisa Ruth avec son sourire léger destiné à rassurer les témoins inquiets, et j’en ai quelques-unes, si vous permettez…

Irène lui proposa un café, revint de la cuisine, et Ruth, forcément très attentive aux signes dont elle maîtrisait plutôt très bien l’interprétation, la trouva très fatiguée, physiquement et psychologiquement, très ralentie et pas du tout sur la défensive : elle s’en foutait, de cette discussion et des questions à venir. Soit elle n’avait rien à se reprocher du tout, soit les conséquences possibles de ce qu’elle avait à cacher ne l’intéressaient pas le moins du monde.
Elle n’était pas concernée.
Ruth nota également qu’elle était belle, sa beauté naturelle devait être celle d’une femme au top, d’une femme d’action, mais dans cet état, elle avait une beauté lasse tout à fait charmante, le genre de charme tendre et désenchanté qui devait donner aux hommes envie de réconforter, de protéger, de s’occuper de tout pour que le sourire revienne.
Et Carlos était un champion, dans cette catégorie, il allait sans doute craquer si ce n’était déjà fait…

L’interrogatoire soft commença donc, mais comme Ruth l’avait déjà plus ou moins deviné, les réponses qu’apporta Irène aux questions qu’elle posa avec toute l’habileté nécessaire ne furent pas déterminantes pour faire concrètement avancer les choses, sauf sur un point très important : Irène avait eu une liaison d’un soir avec Bernard, à la fin d’une soirée, Bernard l’avait ensuite poursuivie de ses avances en vain, et avait voulu la faire chanter. Elle avait pris peur.
Mais malgré cela, elle ne se souvenait pas de ce qui précédait sa perte de connaissance, il lui semblait avoir demandé conseil à Carlos, mais elle était incapable de dire quand et dans quelles circonstances, et il lui semblait qu’elle s’était demandé si elle devait se résoudre à en parler à sa sœur. « Mais je ne voulais pas lui faire du mal » précisa-t-elle à Ruth en baissant les yeux.

Ruth fit preuve de la plus grande diplomatie pour amener Irène à lui en dire plus sur Carlos et elle, et Irène, au bout d’un moment, eut une sorte de ricanement :
— Si ce que vous voulez savoir c’est si on a couché ensemble, je peux vous dire que je ne m’en souviens pas : je ne sais pas. Et d’ordinaire, sans être tombée dans le coma, il y a des fois où je ne me souviens pas des amants que j’ai pu avoir, tellement ma vie personnelle c’est n’importe quoi depuis que je suis veuve et sans enfant. Je suis ce qu’on appelle une célibataire émancipée, vous voyez ?
— Je vois, répondit Ruth, moi aussi je suis ça, une célibataire émancipée. Mais dans ce genre-là, je suis plutôt ce qu’on appelle une solitaire.

À la fin de la conversation, Ruth demanda :
— Je me permets de vous poser la question franchement : y a-t-il à vos yeux une possibilité que Carlos ait pu profiter de ce qui s’est passé à la clinique pour éliminer un rival en tuant Bernard, le mari de Clara ?
— Hein ?? s’exclama Irène en ouvrant des yeux ronds avant d’éclater de rire. La bonne blague !… Bernard était un malade arrogant, qui faisait tout supporter à ma sœur après cet accident. Elle est aveugle, meurtrie, et il n’a pas eu les couilles de la laisser tomber, alors en plus elle devait payer le fait que LUI aurait dû avoir une vie normale, avec une femme normale, pour lui elle avait ruiné sa vie à lui, vous voyez ? Non, c’est des conneries, et je suis ravie que ce cinglé soit mort et que Clara ait rencontré Carlos. Vous le connaissez un peu Carlos ?
— Oui…
— Depuis cinq jours, je le vois avec Clara, et c’est un sacré mec, prévenant, gentil, sexy : non, il n’aurait rien eu à craindre de Bernard, qui lui, était un pauvre mec, un point c’est tout, et pas un rival en quoi que ce soit. J’ai toujours rêvé que Clara le quitte, le laisse tomber, mais… elle n’en avait pas le courage, et je la comprends. Mais Carlos est là, et c’est une si belle chose pour Clara, une espèce de revanche sur la vie, voyez ?

Ruth encaissa sans broncher ce que tout cela signifiait pour elle-même.
Oui, c’était un sacré mec, et beaucoup de sacrées nanas de son entourage le savaient bien !
Plus professionnelle, elle se fit également la réflexion qu’aux yeux de Bernard, celle qui avait ruiné sa vie à lui, c’était aussi, peut-être surtout, Irène, qui conduisait cette fameuse voiture ce jour-là.

Irène avait les larmes aux yeux quand elle raccompagna Ruth qui venait de la remercier très sincèrement de ces réponses et du temps qu’elle lui avait consacré.

Et quand Ruth fut sortie et marcha vers sa voiture banalisée, elle pleurait doucement sans même essayer de retenir ou d’essuyer ses grosses larmes de midinette blessée : espérer (même pas s’accrocher : juste espérer) ne servait à rien.
Quand cette belle blonde aurait retrouvé le moral, ou même avant, Carlos tomberait tout naturellement dans ses bras, quel que soit le respect et l’amour qu’ils pouvaient chacun éprouver pour la malheureuse aveugle de l’histoire.

Une chose était sûre : il n’y avait plus de place pour elle dans cette histoire-là.

En rentrant chez elle ce soir, elle allait se saouler bien comme il faut, ou bien se branler bien comme il faut, ou bouffer trois tablettes de chocolat à la suite.
Ou les trois à la fois, sans doute.


Auteur : Riga
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2 commentaires:

  1. Voilà, à chaque fois qu'on change de narrateur on regrette de quitter le précédent, puis on lit la deuxième ligne du nouvel épisode et on est bien content de se retrouver dans la peau du suivant!

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