vendredi 19 septembre 2014

J'ai vieilli


Hier, alors que nous étions assises sur un banc – un banc public – avec Valérie, deux personnes sont passées devant nous : un homme d'une quarantaine d'années accompagné de sa femme enceinte et de leur fils de 7-8 ans. Lorsque cet homme a croisé une jeune femme d'une vingtaine d'années, son regard et son sourire m'ont inspiré le texte ci-dessous.


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Il y a quinze ans, j'avais ton âge.

Il y a quinze ans, j'étais seul, comme tu l'es à cet instant.

Il y a quinze ans, comme aujourd'hui, tu ne m'aurais pas regardé.

Il y a quinze ans, pourtant, je me serais retourné. Je t'aurais détaillée, tu m'aurais peut-être souri, d'un sourire que je devine si parfait.

Il y a quinze ans, sans plus voir tes yeux qu'aujourd'hui cachés derrière tes lunettes de soleil, je les aurais imaginés, bleus… non, d'un vert en harmonie avec le miel de tes cheveux.

Il y a quinze ans, j'aurais peut-être osé te parler. Juste te demander l'heure. Tu aurais vu ma montre et tu aurais ri.

Il y a quinze ans, je t'aurais invitée à prendre un café. Là, juste au bar qui fait le coin de la rue.

Il y a quinze ans, tu aurais dis non. Mais toujours souriante.

Il y a quinze ans, je t'aurais demandé un numéro de téléphone, un courriel, quelque chose pour que tu ne sois pas juste ce parfum dans ma mémoire.

Il y a quinze ans, tu aurais hésité. Puis tu aurais pris un morceau de papier, un mail, une arobase, mon cœur qui bat.

Il y a quinze ans, je t'aurais écrit aussitôt, trop vite. Des mots enflammés, des visions de toi dans un bikini vert pomme, sur la plage, la mer derrière toi, ton avenir, moi, devant toi, mais derrière mon écran, mon appareil photo.

Il y a quinze ans, je t'aurais écrit sur nous deux, sur notre amour physique.

Il y a quinze ans, tu aurais osé répondre. Tu aurais voulu d'autres histoires, d'autres « peut-être », « et si… »

Il y a quinze ans, je t'aurais écrit encore, des mots d'amour cachés dans le feu d'une nouvelle érotique où tu aurais été reine d'un soir et d'une nuit.

Il y a quinze ans, tu aurais osé dire oui.

Il y a quinze ans, nous aurions pris un café, nous nous serions embrassés au cinéma devant un film niais.

Il y a quinze ans, j'aurais encore fait le premier pas, la première main sur tes seins. Ton souffle qui s'arrête, ta main qui se pose sur la mienne, pour la retirer, pour la presser plus fort sur ta poitrine. J'aurais dévoré tes lèvres, tu aurais aspiré ma langue, j'aurais guidé ta main sur mon érection, tu aurais serré fort, à m'en faire mal, à m'en faire du bien. Nous aurions couru, ton appartement, le mien, peu importe, le plus proche, le lit, tes vêtements sur le sol, ma bouche sur tout ton corps, sur tes seins, toujours tes seins, longuement tes seins, enfin ton ventre, tes mains sur mes cheveux, appuyant et caressant à la fois, pour que je descende sur ton sexe et en prenne possession de ma langue.

Il y a quinze ans, nous aurions fait l'amour toute la nuit.

Il y a quinze ans, au petit matin, j'aurais eu peur. Peur que tu t'attaches, peur que tu m'attaches.

Il y a quinze ans, je serais parti. Tu aurais pleuré, tu m'aurais maudit.

Il y a quinze ans, tu m'aurais oublié.

Aujourd'hui, tu es une seconde de ma vie. Une seconde qui a duré quinze ans, qui durera quinze ans.

Dans quinze ans, mon fils aura ton âge. Mon fils croisera la route d'une fille comme toi. Puisse-t-il lui dire bonjour et lui demander l'heure, sa montre à la main.

Dans quinze ans, ma fille à venir te ressemblera.

Dans quinze ans, j'aurai vieilli ; peut-être que j'aurais compris.

Auteure : ClaireObscure

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