Lundi 21 janvier 2008
« Je mapel Manon. Jé mal. Jé mal. »
Rapport préliminaire, extrait :
Le choix du cobaye pour le projet Délivrance 4 s’est porté sur une néo patiente du service de traumatologie du Massachusetts General Hospital.
Le sujet choisi est Manon Lestrade, née le 12 octobre 1990 à Paris, France. Père français, mère américaine, habitant à Cambridge, tous deux professeurs à Harvard. Tous deux décédés dans un accident de voiture le 7 janvier 2008. Manon est la seule survivante mais son cerveau a subi une forte compression qui l’a endommagé irréversiblement. Elle présente actuellement un QI proche de 60. Les Lestrade n’ont pas de famille aux USA, ni aucune connue par l’université ailleurs.
Les dégâts physiques sont par ailleurs limités : une épaule luxée, quatre côtes fêlées, des traumatismes faciaux, le tout en bonne voie de guérison. Un aide soignant de notre équipe est avec elle depuis la première heure et confirme le bon état physique du sujet. Les injections du composé pourront commencer dès que la direction aura donné son feu vert.
« Jé cho, jé mal. Jé peur. »
Rapport de Clive Jones, extraits :
Mardi 22 janvier 2008
Manon obéit aux ordres les plus simples : assis, debout. Elle ne développe pas d’agressivité mais pousse des cris de colère régulièrement, même en dormant. Elle mange à peu près normalement, à l’aide d’une cuillère uniquement ; elle ne maîtrise pas l’usage d’un couteau ni d’une fourchette. Pour ses besoins, elle doit porter des couches en permanence.
Je lui fais faire un peu d’exercice, elle marche une heure par jour dans les couloirs avec moi. Ses yeux sont dégonflés mais son regard reste vague et éprouve des difficultés à se fixer. Elle paraît apte physiquement à recevoir les injections.
Mercredi 23 janvier 2008
À 9 h 32’, une dose de 4cc de sérum a été injectée. Le sujet n’a pas réagi particulièrement.
« Jé mal la tête, jé mal le ventre. »
Jeudi 24 janvier 2008
À 9 h 29’, une dose de 4cc a été injectée. Le sujet n’a pas réagi particulièrement.
« J’ai chaud. Mal à la tête. La voiture. Papa. Maman. »
14 h 16’. Manon rejette le drap et s’assied difficilement au bord du lit ; elle regarde les murs, blancs et nus, la fenêtre avec des barreaux, le sol carrelé blanc. Elle se laisse glisser du lit et se retrouve debout, touche ses vêtements : un pantalon vert informe et un chemisier du même vert ; elle touche son ventre et sent la présence d’une épaisseur, sur ses hanches aussi, ses fesses. Des couches. Ses yeux s’emplissent de larmes.
« Que s’est-il passé ? Où sont mes parents ? Je ne me souviens de rien. De rien ? Le soir, dans la voiture, j’écoutais de la musique à l’arrière, les écouteurs sur les oreilles. Maman qui crie. Fort. Plus rien. »
Clive entre dans la chambre et trouve Manon qui pleure, debout à côté du lit, l’air misérable. Il la considère prudemment.
— Que se passe-t-il ?
— Où sont mes parents ? Je veux voir mes parents.
— Calmez-vous, asseyez-vous, je vais vous expliquer… Vous me reconnaissez ?
— Non. Oui, je pense. C’est flou, mais vous… vous prenez soin de moi ? Ces putains de couches, c’est pour quoi ?
Marion s’est relevée, elle crie, sa voix se brise, elle se laisse retomber sur le lit, soudain trop faible. Clive va chercher une chaise et s’assied près du lit, il parle, Manon pleure. Plus tard, après que Manon a enlevé les couches et pris une douche, elle s’examine dans un miroir. Elle découvre une étrangère, le crâne rasé et lisse, les yeux trop brillants, la bouche trop grande et les lèvres sèches. Elle revient dans sa chambre en même temps que Clive qui est allé lui acheter des vêtements.
« Il est sympa, Clive, avec sa mine de nounours, ses cheveux en bataille. Il doit approcher de 30 ans, et il a une mine d’éternel adolescent, un peu perdu. Comme moi. Orpheline. Vivante par miracle. Accroche-toi, Manon. Maman aurait voulu que tu te tiennes droite. Papa aurait voulu que tu te battes... »
— Clive, tu peux me laisser m’habiller ? Merci.
— Je sors. Tu m’appelles et tu me dis si ça va ?
Il lui a choisi de la lingerie fine, un tanga en dentelle noire si fine que son pubis lisse se distingue en transparence ; ils l’ont rasée complètement, pour des raisons d’hygiène. Le soutien-gorge assorti comprime un peu sa poitrine. Un peu juste pour ses volumineux seins en poire. Et une robe noire descendant aux genoux, serrée à la taille, qui lui va parfaitement. Des chaussures noires en cuir à talons modestes, mais qui cambrent agréablement ses mollets. Elle appelle Clive qui reste bouche bée devant elle, lui rendant un hommage discret qui lui chauffe le cœur.
— Tu crois que je peux sortir, maintenant ? Je ne risque plus rien ?
— Je ne sais pas, je ne suis qu’aide-soignant. Des professeurs vont venir te voir.
— Je peux avoir de la musique ? J’ai le moral à zéro.
Vendredi 25 janvier 2008
Rapport de suivi : l’évolution a été plus rapide que prévu, et plus importante. Le sujet a récupéré son QI initial, estimé à 147. Les tests de ce matin le prouvent. Il demande à sortir de l’environnement actuel. Clive Jones a accepté de suivre le sujet, qui est d’accord. Un budget de suivi lui est attribué. Le sujet souhaite revenir à sa résidence de Cambridge, qui lui appartient. Étant mineur, le sujet se voit attribuer Mr Jones comme tuteur provisoire.
15 h. Manon fait le tour de la petite maison près du campus ; elle pleure silencieusement en marchant. Clive l’attend dans le salon, debout, immobile. Elle revient sans bruit, pieds nus sur le parquet, et se blottit dans ses bras. C’est la première fois qu’elle fait ça et il est ému ; ses mains se posent doucement sur ses hanches et la serrent contre lui. Longtemps après, elle se recule en s’excusant, les yeux rouges et gonflés.
— Excuse-moi. Je dois être horrible comme ça.
— Ce n’est rien, c’est normal. Et tu n’es pas horrible ; tu es très belle.
— Merci, mais je sais que pour le moment… Il faut que je me batte, pour mes parents, qu’ils n’aient pas honte de leur fille.
« Clive me regarde comme si j’étais une déesse, une icône. Il est craquant, ce garçon ; il n’a que 24 ans, je lui ai demandé. Il est célibataire, séparé, libre. Comme moi, seule, en ruines. Accroche-toi, bats-toi. »
— Tu vas dormir ici ?
— Oui, mais je ne sais pas où ; dans ce canapé ?
— Pas dans la chambre de mes parents, je ne pourrais pas.
— Je comprends, mais ne t’en fais pas, ici sera bien.
— Tu crois qu’il faut faire des courses pour ce soir ?
— Ou on peut sortir manger une pizza, si tu le souhaites.
— Non, mais on peut en commander une, maman le faisait souvent.
Manon s’est tue, submergée de chagrin ; sa maman était morte, incinérée, les cendres mélangées avec celles de papa. Clive commande deux pizzas, Manon choisit une chaîne musicale puis s’assied en ramenant les chevilles sous ses fesses. Comme il reste debout, incertain, elle lui fait signe de s’asseoir à côté d’elle. Et elle se laisse tomber contre lui, qui la serre sous son bras, la main sagement posée sur la hanche.
— Merci d’être là, je ne sais pas comment je serais autrement.
— Je suis heureux que tu sois comme ça, tu étais si mal quand je t’ai vue ; le traitement t’a métamorphosée, vraiment.
— Quel traitement ? Je ne suis pas au courant.
— Ton cerveau a été touché dans l’accident. Et tu reçois une injection d’un sérum expérimental tous les jours, ce qui t’a permis de retrouver tes capacités intellectuelles. Je n’étais pas censé te le dire, tu sais.
— C’est dément ; et personne ne devait me le dire ? Il dure combien, ce traitement, c’est définitif ?
— Je ne sais pas, je ne suis qu’un sous-fifre ; tu comprends, on ne me dit pas grand-chose. Je vais me renseigner, et tu vas aussi leur demander de t’expliquer.
Manon est songeuse. Elle a posé une main sur la cuisse de Clive ; elle est bien comme ça, au chaud, décontractée. Et en même temps, elle s’inquiète ; elle sait que le lendemain elle doit avoir une nouvelle injection de ce produit miracle. Elle se rappelle sa rage, son impuissance d’être enfermée dans ce corps sain ; elle se rappelle son incontinence, les gens qui la lavaient et la faisaient manger. Elle relève la tête et regarde Clive, ses yeux graves mais chaleureux. Plus tard, elle mange un peu de pizza, repliée sur elle-même, mais elle quémande la main de Clive quand son estomac noué refuse d’ingurgiter plus.
— Je monte me changer, je te rejoins ici. Tu m’attends ?
— Je ne bouge pas : prends ton temps, Manon, ma belle…
— Ne me dis pas ça, je ne suis pas belle. En plus, avec mon crâne rasé…
— Regarde-toi dans un miroir, Manon : tu es belle, vraiment ; tes yeux sont magnifiques, ta bouche est sublime, et ton cou… fin, gracile, délicat… File, ma belle.
— Merci.
Elle grimpe les marches, le cœur battant, émue et troublée. Dans sa chambre, elle se déshabille entièrement et examine son corps : taille fine et hanches pleines, poitrine arrogante. Elle sait qu’elle a de jolies formes, mais Clive voudra-t-il d’elle ? Elle veut se donner à lui ; elle a failli mourir, elle sait qu’elle est passée très près de la fin. Elle prend une douche rapide, met ce qu’elle a de plus beau comme lingerie : un string blanc au triangle si étroit qu’il ne couvre pas tout le pubis, et son joli soutien-gorge assorti. Un peu de rouge à lèvres rose, du parfum, un kimono en soie bordeaux, des escarpins noirs, et elle descend rejoindre Clive.
Quand il la voit dans l’escalier, il s’approche et la rejoint, arrêtée sur la première marche. C’est parfait : il est plus grand qu’elle pile de la hauteur d’une marche. Il sourit ; pas seulement sa bouche, mais ses yeux, tout son visage. Ils s’embrassent, d’abord doucement, chastement, puis les bouches s’ouvrent, les langues se touchent, hésitantes, incertaines ; les salives se mélangent, les corps se touchent, se cognent. Puis elle se recule, un peu essoufflée.
— Je veux que tu me fasses l’amour, que tu fasses de moi une femme. Je suis vierge et j’ai failli mourir : je ne veux pas passer à côté de ça. Tu veux bien ?
— Ma chérie, rien ne me ferait plus plaisir. Tu mérites du bonheur.
— Viens, on va dans ma chambre. Et sois tendre, je t’en prie.
Ils sont montés lentement, enlacés. Se sont embrassés en se déshabillant. Curieuse, Manon a examiné la verge de Clive à la dérobée d’abord, paralysée par une retenue pudibonde. Puis elle s’est baissée, s’agenouillant devant lui ; elle a caressé la tige de chair rose et congestionnée émergeant d’une toison brune qui recouvrait aussi les testicules. Encouragée par Clive, elle a commencé à la lécher avant d’oser gober le gland.
— Continue, ma belle, pompe bien ma queue, essaie d’avaler plus loin... Bien, continue... Bon, arrête, je vais te faire un cuni. Allonge-toi, écarte bien, montre ton petit minou tout lisse.
— Oh ! C’est trop bon, mon Dieu, c’est trop !
Manon jouit presque aussitôt sous la langue habile de Clive ; elle mouille beaucoup et pousse des cris quand elle jouit une deuxième fois, puis Clive vient présenter son gland devant la vulve rose.
— Tu es prête ?
— Oui, je n’ai pas peur ; je t’aime, Clive.
— Moi aussi, ma chérie !
Il s’enfonce doucement, sa verge bien raide glissant facilement jusqu’à buter contre l’hymen – petite résistance qu’il a sentie – avant de donner un coup de reins qui raidit le corps de Manon. Sous la douleur, il voit deux larmes jaillir, le beau visage se crisper puis se relâcher. Puis Manon lui sourit et relève les jambes pour s’offrir mieux, signe d’encouragement que Clive comprend, bien sûr ; il commence à se mouvoir comme un piston, lentement, profondément, avant d’accélérer, encouragé par Manon qui se tord de plaisir.
Il éjacule directement dans la matrice ; elle jouit encore en sentant la semence se répandre en saccades. Il est tombé sur elle, respirant fort, et elle le serre dans ses bras en lui murmurant des mots d’amour. Cette nuit-là, ils font l’amour deux fois encore, et chaque fois est un aboutissement, une entente ; bien sûr, Manon est inexpérimentée, mais sa bonne volonté, sa complicité et sa fraîcheur font merveille.
Samedi 26 janvier 2008
8h 10. Manon se réveille, elle est blottie contre Clive. Elle file se doucher, et Clive la rejoint ; leur câlin prolonge la nuit de plaisir.
9 h 20. Clive fait entrer le professeur Sergueï Lioubovitch, responsable technique du projet Délivrance 4, accompagné de l’infirmière habituelle. Il est immédiatement gêné quand Manon lui demande la suite des opérations et son devenir.
— Je ne... Je n’ai pas le droit.
— Professeur, vous êtes le chef du projet, vous devez expliquer à Manon ; c’est sa vie qui est en jeu : elle a le droit de savoir !
— Techniquement, elle est mineure encore.
— Parlons-en ; c’est moi le tuteur. Alors vous nous expliquez clairement, ou on va directement au Centre de Police, ou au Boston Globe.
— Pas les journalistes, vous êtes fou : c’est un projet ultra secret !
— Vous savez ce qui reste à faire.
— Vous l’aurez voulu. Manon Lestrade devrait revenir à l’hôpital d’ici demain matin. Cette injection est la dernière. De toute manière, le sérum est en train de dégrader le cerveau, et l’effet positif doit s’estomper d’ici 12 à 15 heures. Définitivement. Toute autre injection serait sans effet. Je suis désolé, Mademoiselle.
Manon est debout, le visage blafard jusqu’en haut du crâne, les yeux secs, le corps tétanisé. Son monde vient de s’écrouler une deuxième fois. Ne restent que des cendres. Elle tourne la tête vers Clive ; il la regarde, le teint terreux, les yeux pleins de larmes. Il la serre dans ses bras et caresse son crâne lisse. Après la piqûre, quand ils se retrouvent seuls, Manon sourit bravement et lance :
— Au moins, je suis fixée, il me reste... Il est 10 heures ; jusqu’à minuit à vivre, environ. Ne dis rien ; tu ne crois pas que je vais vouloir vivre à l’état de légume comme j’étais avant, avec des couches et cette douleur dans ma tête qui n’arrête pas ?
— Non, ma chérie, je sais. Sainte merde ! Je ne sais plus quoi dire...
— Ne dis rien. Aujourd’hui il fait froid et sec, je veux me promener, revoir mon lycée, la Trinity Church où j’ai été baptisée, manger au Mac Do. Je ne risque plus rien. Non, pas ça : on trouvera un vrai restaurant. Puis il faut trouver du poison pour ce soir. Je suis désolée, mon chéri. Je t’abandonne si vite...
La journée est passée, vite et lentement à la fois ; Manon et Clive se sont promenés au gré des envies de la jeune fille. À 20 heures, de retour dans le salon, Manon doit se rendre à l’évidence : ce n’est pas si facile de se procurer du poison ou une arme à feu. Et là, sa vision se trouble ; elle regarde autour d’elle, ne reconnaît pas la pièce, crie.
— Clive ! Clive ! Je crois que ça commence. Mon Dieu, non ! Un couteau, vite, trouve un couteau ! J’ai mal à la tête, pitié !
— Mon amour, je suis là. Je ne te laisserai pas redevenir comme avant, je te le promets. Calme-toi, viens dans mes bras.
Elle se serre contre lui et se calme. Il sent sa respiration s’apaiser alors qu’il murmure des mots doux ; mais quand il s’écarte, elle reste immobile, les yeux vides. Doucement, il lui prend la main et monte l’escalier. Elle le suit sagement. Il pleure en la faisant s’allonger sur le grand lit où ils ont fait l’amour.
« J’ai mal. Il fait chaud. Clive. Amour. Jé maaal. »
Clive s’approche, un gros coussin dans les mains ; il embrasse Manon sur la bouche sans qu’elle réagisse, puis applique le coussin sur le visage aimé et le maintient fermement. Il s’attend à une réaction violente de survie, mais rien. Une main douce se pose sur la sienne et reste à son contact longtemps, puis retombe inerte. Il enlève le coussin et contemple le visage rougi mais serein, ferme les yeux voilés, embrasse le front sans se rendre compte qu’il l’inonde de ses larmes. Puis il compose le 911.
Dimanche 26 janvier 2014
15 h. Boston. Bravant le froid et la pluie, un couple avec un enfant s’arrête devant une tombe toute simple dans le cimetière Forest Hill. L’homme a les cheveux prématurément gris et le visage marqué ; il n’a pas été épargné par la vie. Il s’approche et pose un gros bouquet de fleurs sur le gazon devant la croix où est inscrit :
« Je mapel Manon. Jé mal. Jé mal. »
Rapport préliminaire, extrait :
Le choix du cobaye pour le projet Délivrance 4 s’est porté sur une néo patiente du service de traumatologie du Massachusetts General Hospital.
Le sujet choisi est Manon Lestrade, née le 12 octobre 1990 à Paris, France. Père français, mère américaine, habitant à Cambridge, tous deux professeurs à Harvard. Tous deux décédés dans un accident de voiture le 7 janvier 2008. Manon est la seule survivante mais son cerveau a subi une forte compression qui l’a endommagé irréversiblement. Elle présente actuellement un QI proche de 60. Les Lestrade n’ont pas de famille aux USA, ni aucune connue par l’université ailleurs.
Les dégâts physiques sont par ailleurs limités : une épaule luxée, quatre côtes fêlées, des traumatismes faciaux, le tout en bonne voie de guérison. Un aide soignant de notre équipe est avec elle depuis la première heure et confirme le bon état physique du sujet. Les injections du composé pourront commencer dès que la direction aura donné son feu vert.
« Jé cho, jé mal. Jé peur. »
Rapport de Clive Jones, extraits :
Mardi 22 janvier 2008
Manon obéit aux ordres les plus simples : assis, debout. Elle ne développe pas d’agressivité mais pousse des cris de colère régulièrement, même en dormant. Elle mange à peu près normalement, à l’aide d’une cuillère uniquement ; elle ne maîtrise pas l’usage d’un couteau ni d’une fourchette. Pour ses besoins, elle doit porter des couches en permanence.
Je lui fais faire un peu d’exercice, elle marche une heure par jour dans les couloirs avec moi. Ses yeux sont dégonflés mais son regard reste vague et éprouve des difficultés à se fixer. Elle paraît apte physiquement à recevoir les injections.
Mercredi 23 janvier 2008
À 9 h 32’, une dose de 4cc de sérum a été injectée. Le sujet n’a pas réagi particulièrement.
« Jé mal la tête, jé mal le ventre. »
Jeudi 24 janvier 2008
À 9 h 29’, une dose de 4cc a été injectée. Le sujet n’a pas réagi particulièrement.
« J’ai chaud. Mal à la tête. La voiture. Papa. Maman. »
14 h 16’. Manon rejette le drap et s’assied difficilement au bord du lit ; elle regarde les murs, blancs et nus, la fenêtre avec des barreaux, le sol carrelé blanc. Elle se laisse glisser du lit et se retrouve debout, touche ses vêtements : un pantalon vert informe et un chemisier du même vert ; elle touche son ventre et sent la présence d’une épaisseur, sur ses hanches aussi, ses fesses. Des couches. Ses yeux s’emplissent de larmes.
« Que s’est-il passé ? Où sont mes parents ? Je ne me souviens de rien. De rien ? Le soir, dans la voiture, j’écoutais de la musique à l’arrière, les écouteurs sur les oreilles. Maman qui crie. Fort. Plus rien. »
Clive entre dans la chambre et trouve Manon qui pleure, debout à côté du lit, l’air misérable. Il la considère prudemment.
— Que se passe-t-il ?
— Où sont mes parents ? Je veux voir mes parents.
— Calmez-vous, asseyez-vous, je vais vous expliquer… Vous me reconnaissez ?
— Non. Oui, je pense. C’est flou, mais vous… vous prenez soin de moi ? Ces putains de couches, c’est pour quoi ?
Marion s’est relevée, elle crie, sa voix se brise, elle se laisse retomber sur le lit, soudain trop faible. Clive va chercher une chaise et s’assied près du lit, il parle, Manon pleure. Plus tard, après que Manon a enlevé les couches et pris une douche, elle s’examine dans un miroir. Elle découvre une étrangère, le crâne rasé et lisse, les yeux trop brillants, la bouche trop grande et les lèvres sèches. Elle revient dans sa chambre en même temps que Clive qui est allé lui acheter des vêtements.
« Il est sympa, Clive, avec sa mine de nounours, ses cheveux en bataille. Il doit approcher de 30 ans, et il a une mine d’éternel adolescent, un peu perdu. Comme moi. Orpheline. Vivante par miracle. Accroche-toi, Manon. Maman aurait voulu que tu te tiennes droite. Papa aurait voulu que tu te battes... »
— Clive, tu peux me laisser m’habiller ? Merci.
— Je sors. Tu m’appelles et tu me dis si ça va ?
Il lui a choisi de la lingerie fine, un tanga en dentelle noire si fine que son pubis lisse se distingue en transparence ; ils l’ont rasée complètement, pour des raisons d’hygiène. Le soutien-gorge assorti comprime un peu sa poitrine. Un peu juste pour ses volumineux seins en poire. Et une robe noire descendant aux genoux, serrée à la taille, qui lui va parfaitement. Des chaussures noires en cuir à talons modestes, mais qui cambrent agréablement ses mollets. Elle appelle Clive qui reste bouche bée devant elle, lui rendant un hommage discret qui lui chauffe le cœur.
— Tu crois que je peux sortir, maintenant ? Je ne risque plus rien ?
— Je ne sais pas, je ne suis qu’aide-soignant. Des professeurs vont venir te voir.
— Je peux avoir de la musique ? J’ai le moral à zéro.
Vendredi 25 janvier 2008
Rapport de suivi : l’évolution a été plus rapide que prévu, et plus importante. Le sujet a récupéré son QI initial, estimé à 147. Les tests de ce matin le prouvent. Il demande à sortir de l’environnement actuel. Clive Jones a accepté de suivre le sujet, qui est d’accord. Un budget de suivi lui est attribué. Le sujet souhaite revenir à sa résidence de Cambridge, qui lui appartient. Étant mineur, le sujet se voit attribuer Mr Jones comme tuteur provisoire.
15 h. Manon fait le tour de la petite maison près du campus ; elle pleure silencieusement en marchant. Clive l’attend dans le salon, debout, immobile. Elle revient sans bruit, pieds nus sur le parquet, et se blottit dans ses bras. C’est la première fois qu’elle fait ça et il est ému ; ses mains se posent doucement sur ses hanches et la serrent contre lui. Longtemps après, elle se recule en s’excusant, les yeux rouges et gonflés.
— Excuse-moi. Je dois être horrible comme ça.
— Ce n’est rien, c’est normal. Et tu n’es pas horrible ; tu es très belle.
— Merci, mais je sais que pour le moment… Il faut que je me batte, pour mes parents, qu’ils n’aient pas honte de leur fille.
« Clive me regarde comme si j’étais une déesse, une icône. Il est craquant, ce garçon ; il n’a que 24 ans, je lui ai demandé. Il est célibataire, séparé, libre. Comme moi, seule, en ruines. Accroche-toi, bats-toi. »
— Tu vas dormir ici ?
— Oui, mais je ne sais pas où ; dans ce canapé ?
— Pas dans la chambre de mes parents, je ne pourrais pas.
— Je comprends, mais ne t’en fais pas, ici sera bien.
— Tu crois qu’il faut faire des courses pour ce soir ?
— Ou on peut sortir manger une pizza, si tu le souhaites.
— Non, mais on peut en commander une, maman le faisait souvent.
Manon s’est tue, submergée de chagrin ; sa maman était morte, incinérée, les cendres mélangées avec celles de papa. Clive commande deux pizzas, Manon choisit une chaîne musicale puis s’assied en ramenant les chevilles sous ses fesses. Comme il reste debout, incertain, elle lui fait signe de s’asseoir à côté d’elle. Et elle se laisse tomber contre lui, qui la serre sous son bras, la main sagement posée sur la hanche.
— Merci d’être là, je ne sais pas comment je serais autrement.
— Je suis heureux que tu sois comme ça, tu étais si mal quand je t’ai vue ; le traitement t’a métamorphosée, vraiment.
— Quel traitement ? Je ne suis pas au courant.
— Ton cerveau a été touché dans l’accident. Et tu reçois une injection d’un sérum expérimental tous les jours, ce qui t’a permis de retrouver tes capacités intellectuelles. Je n’étais pas censé te le dire, tu sais.
— C’est dément ; et personne ne devait me le dire ? Il dure combien, ce traitement, c’est définitif ?
— Je ne sais pas, je ne suis qu’un sous-fifre ; tu comprends, on ne me dit pas grand-chose. Je vais me renseigner, et tu vas aussi leur demander de t’expliquer.
Manon est songeuse. Elle a posé une main sur la cuisse de Clive ; elle est bien comme ça, au chaud, décontractée. Et en même temps, elle s’inquiète ; elle sait que le lendemain elle doit avoir une nouvelle injection de ce produit miracle. Elle se rappelle sa rage, son impuissance d’être enfermée dans ce corps sain ; elle se rappelle son incontinence, les gens qui la lavaient et la faisaient manger. Elle relève la tête et regarde Clive, ses yeux graves mais chaleureux. Plus tard, elle mange un peu de pizza, repliée sur elle-même, mais elle quémande la main de Clive quand son estomac noué refuse d’ingurgiter plus.
— Je monte me changer, je te rejoins ici. Tu m’attends ?
— Je ne bouge pas : prends ton temps, Manon, ma belle…
— Ne me dis pas ça, je ne suis pas belle. En plus, avec mon crâne rasé…
— Regarde-toi dans un miroir, Manon : tu es belle, vraiment ; tes yeux sont magnifiques, ta bouche est sublime, et ton cou… fin, gracile, délicat… File, ma belle.
— Merci.
Elle grimpe les marches, le cœur battant, émue et troublée. Dans sa chambre, elle se déshabille entièrement et examine son corps : taille fine et hanches pleines, poitrine arrogante. Elle sait qu’elle a de jolies formes, mais Clive voudra-t-il d’elle ? Elle veut se donner à lui ; elle a failli mourir, elle sait qu’elle est passée très près de la fin. Elle prend une douche rapide, met ce qu’elle a de plus beau comme lingerie : un string blanc au triangle si étroit qu’il ne couvre pas tout le pubis, et son joli soutien-gorge assorti. Un peu de rouge à lèvres rose, du parfum, un kimono en soie bordeaux, des escarpins noirs, et elle descend rejoindre Clive.
Quand il la voit dans l’escalier, il s’approche et la rejoint, arrêtée sur la première marche. C’est parfait : il est plus grand qu’elle pile de la hauteur d’une marche. Il sourit ; pas seulement sa bouche, mais ses yeux, tout son visage. Ils s’embrassent, d’abord doucement, chastement, puis les bouches s’ouvrent, les langues se touchent, hésitantes, incertaines ; les salives se mélangent, les corps se touchent, se cognent. Puis elle se recule, un peu essoufflée.
— Je veux que tu me fasses l’amour, que tu fasses de moi une femme. Je suis vierge et j’ai failli mourir : je ne veux pas passer à côté de ça. Tu veux bien ?
— Ma chérie, rien ne me ferait plus plaisir. Tu mérites du bonheur.
— Viens, on va dans ma chambre. Et sois tendre, je t’en prie.
Ils sont montés lentement, enlacés. Se sont embrassés en se déshabillant. Curieuse, Manon a examiné la verge de Clive à la dérobée d’abord, paralysée par une retenue pudibonde. Puis elle s’est baissée, s’agenouillant devant lui ; elle a caressé la tige de chair rose et congestionnée émergeant d’une toison brune qui recouvrait aussi les testicules. Encouragée par Clive, elle a commencé à la lécher avant d’oser gober le gland.
— Continue, ma belle, pompe bien ma queue, essaie d’avaler plus loin... Bien, continue... Bon, arrête, je vais te faire un cuni. Allonge-toi, écarte bien, montre ton petit minou tout lisse.
— Oh ! C’est trop bon, mon Dieu, c’est trop !
Manon jouit presque aussitôt sous la langue habile de Clive ; elle mouille beaucoup et pousse des cris quand elle jouit une deuxième fois, puis Clive vient présenter son gland devant la vulve rose.
— Tu es prête ?
— Oui, je n’ai pas peur ; je t’aime, Clive.
— Moi aussi, ma chérie !
Il s’enfonce doucement, sa verge bien raide glissant facilement jusqu’à buter contre l’hymen – petite résistance qu’il a sentie – avant de donner un coup de reins qui raidit le corps de Manon. Sous la douleur, il voit deux larmes jaillir, le beau visage se crisper puis se relâcher. Puis Manon lui sourit et relève les jambes pour s’offrir mieux, signe d’encouragement que Clive comprend, bien sûr ; il commence à se mouvoir comme un piston, lentement, profondément, avant d’accélérer, encouragé par Manon qui se tord de plaisir.
Il éjacule directement dans la matrice ; elle jouit encore en sentant la semence se répandre en saccades. Il est tombé sur elle, respirant fort, et elle le serre dans ses bras en lui murmurant des mots d’amour. Cette nuit-là, ils font l’amour deux fois encore, et chaque fois est un aboutissement, une entente ; bien sûr, Manon est inexpérimentée, mais sa bonne volonté, sa complicité et sa fraîcheur font merveille.
Samedi 26 janvier 2008
8h 10. Manon se réveille, elle est blottie contre Clive. Elle file se doucher, et Clive la rejoint ; leur câlin prolonge la nuit de plaisir.
9 h 20. Clive fait entrer le professeur Sergueï Lioubovitch, responsable technique du projet Délivrance 4, accompagné de l’infirmière habituelle. Il est immédiatement gêné quand Manon lui demande la suite des opérations et son devenir.
— Je ne... Je n’ai pas le droit.
— Professeur, vous êtes le chef du projet, vous devez expliquer à Manon ; c’est sa vie qui est en jeu : elle a le droit de savoir !
— Techniquement, elle est mineure encore.
— Parlons-en ; c’est moi le tuteur. Alors vous nous expliquez clairement, ou on va directement au Centre de Police, ou au Boston Globe.
— Pas les journalistes, vous êtes fou : c’est un projet ultra secret !
— Vous savez ce qui reste à faire.
— Vous l’aurez voulu. Manon Lestrade devrait revenir à l’hôpital d’ici demain matin. Cette injection est la dernière. De toute manière, le sérum est en train de dégrader le cerveau, et l’effet positif doit s’estomper d’ici 12 à 15 heures. Définitivement. Toute autre injection serait sans effet. Je suis désolé, Mademoiselle.
Manon est debout, le visage blafard jusqu’en haut du crâne, les yeux secs, le corps tétanisé. Son monde vient de s’écrouler une deuxième fois. Ne restent que des cendres. Elle tourne la tête vers Clive ; il la regarde, le teint terreux, les yeux pleins de larmes. Il la serre dans ses bras et caresse son crâne lisse. Après la piqûre, quand ils se retrouvent seuls, Manon sourit bravement et lance :
— Au moins, je suis fixée, il me reste... Il est 10 heures ; jusqu’à minuit à vivre, environ. Ne dis rien ; tu ne crois pas que je vais vouloir vivre à l’état de légume comme j’étais avant, avec des couches et cette douleur dans ma tête qui n’arrête pas ?
— Non, ma chérie, je sais. Sainte merde ! Je ne sais plus quoi dire...
— Ne dis rien. Aujourd’hui il fait froid et sec, je veux me promener, revoir mon lycée, la Trinity Church où j’ai été baptisée, manger au Mac Do. Je ne risque plus rien. Non, pas ça : on trouvera un vrai restaurant. Puis il faut trouver du poison pour ce soir. Je suis désolée, mon chéri. Je t’abandonne si vite...
La journée est passée, vite et lentement à la fois ; Manon et Clive se sont promenés au gré des envies de la jeune fille. À 20 heures, de retour dans le salon, Manon doit se rendre à l’évidence : ce n’est pas si facile de se procurer du poison ou une arme à feu. Et là, sa vision se trouble ; elle regarde autour d’elle, ne reconnaît pas la pièce, crie.
— Clive ! Clive ! Je crois que ça commence. Mon Dieu, non ! Un couteau, vite, trouve un couteau ! J’ai mal à la tête, pitié !
— Mon amour, je suis là. Je ne te laisserai pas redevenir comme avant, je te le promets. Calme-toi, viens dans mes bras.
Elle se serre contre lui et se calme. Il sent sa respiration s’apaiser alors qu’il murmure des mots doux ; mais quand il s’écarte, elle reste immobile, les yeux vides. Doucement, il lui prend la main et monte l’escalier. Elle le suit sagement. Il pleure en la faisant s’allonger sur le grand lit où ils ont fait l’amour.
« J’ai mal. Il fait chaud. Clive. Amour. Jé maaal. »
Clive s’approche, un gros coussin dans les mains ; il embrasse Manon sur la bouche sans qu’elle réagisse, puis applique le coussin sur le visage aimé et le maintient fermement. Il s’attend à une réaction violente de survie, mais rien. Une main douce se pose sur la sienne et reste à son contact longtemps, puis retombe inerte. Il enlève le coussin et contemple le visage rougi mais serein, ferme les yeux voilés, embrasse le front sans se rendre compte qu’il l’inonde de ses larmes. Puis il compose le 911.
Dimanche 26 janvier 2014
15 h. Boston. Bravant le froid et la pluie, un couple avec un enfant s’arrête devant une tombe toute simple dans le cimetière Forest Hill. L’homme a les cheveux prématurément gris et le visage marqué ; il n’a pas été épargné par la vie. Il s’approche et pose un gros bouquet de fleurs sur le gazon devant la croix où est inscrit :
Manon LESTRADE
12 octobre 1990 / 26 janvier 2008
RIP
12 octobre 1990 / 26 janvier 2008
RIP
L’enfant échappe à sa mère et commence à courir d’une démarche encore hésitante, elle a seulement deux ans ; sa mère la hèle :
— Manon, ne cours pas, ma chérie, tu vas tomber !
Auteur : Matt Démon
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