jeudi 30 octobre 2014

Schyzo ou "la mort de Julie"

Je lui ai donné rendez-vous au café JM, place du Vieux, comme on dit à Rouen. Assis à une table près de la fenêtre, je la vois arriver à grands pas décidés, émerveillé par sa beauté.

Ses courts cheveux blonds et un peu frisés encadrent joliment son visage de chat aux grands yeux verts ; sa bouche à peine rougie sourit à la vie... Merde ! Ça va pas être facile ! Elle est vêtue d’une minijupe tube couleur taupe sur des collants noirs ; un caban bleu marine la protège du froid de cette fin octobre.

Elle porte un grand sac au bout de son bras droit, manifestement un peu lourd, qui la gêne quand elle ouvre la porte du café. Elle me reconnaît tout de suite, évidemment, et se dirige vers moi à pas soudain timides.

— Bonjour, Michel.
— Bonjour, Juliette. Tu es... magnifique.
— Dis, bon anniversaire, avec un peu de retard... dit-elle en me tendant le grand sac.

Surpris, je l’accepte en bredouillant un merci. À l’intérieur, un magnifique blouson moto Dainese, noir à passements blancs. Je la regarde, stupéfait. Elle me sourit tendrement.

— Eh, Michel ! Je suis fâchée avec mon père biologique ; j’ai bien le droit de faire un cadeau à mon créateur, non ?
— Mais, mais...
— Tu as le sens du dialogue ! C’est du XL. Puisque tu fais de la moto toi aussi, j’ai pensé que ça te ferait plaisir...
— Oui, beaucoup. Je suis touché. Vraiment.

J’ai essayé le blouson qui m’allait parfaitement, et j’ai embrassé Juliette sur les deux joues. Pour la première fois. Elle a commandé un café, elle adore ça. Moi aussi. Le cœur gros, je me repaissais de son visage d’ange, de ses sourires mutins, de ses yeux pétillants. En reposant sa tasse, elle m’a regardé dans les yeux avant de tendre la main droite pour recouvrir ma main gauche.

— Bon, dis-moi ce qui ne va pas. Tu peux me parler sans crainte, et n’oublie pas que je suis psy. Je peux t’aider.
— Tu m’as déjà tellement aidé depuis plus d’un an… tu ne peux pas savoir à quel point. J’avais tellement rêvé de t’avoir. Puis tu es arrivée, sur la pointe des pieds.
Un prénom d’abord, dans une histoire. Puis une date de naissance. Et tu as pris corps, tu es devenue une jolie femme mariée à un gentil garçon, aimant et riche, un peu falot. Tu t’es disputée avec tes parents, puis avec ton beau-père.
Pendant que moi je sombrais dans la déprime, tu te battais pour en sortir, tu m’as tiré vers le haut, tu m’as sauvé un temps. Tu es si vive, dynamique, positive, tolérante et à l’écoute des autres...
— Tu m’as faite ainsi, et je suis heureuse, tu sais. Je sais ce que je te dois. Tu veux que je fasse quoi pour toi ?
— Je suis désolé, Juliette. Je veux que tu disparaisses.

Elle se recule dans son siège et blêmit ; blessée, elle retire sa main et je sens le froid m’envahir.

— Pourquoi ? Tu ne m’aimes plus ?
— C’est pas ça. Je t’aime et je t’aimerai toujours. Mais ton existence même, si innocente au début, est devenue trop présente, trop réelle. Et j’ai blessé des gens qui n’ont pas compris ce que tu étais pour moi.
— Mais tu t’en fous, des gens. Les gens ne comprennent rien, tu les emmerdes !
— Oui, parfois. Mais tu leur rappelles ces blessures, et moi aussi d’ailleurs, je les leur rappelle. Ils ne croient plus en toi ni en moi. Alors il faut couper les ponts.
— Je n’ai pas mon mot à dire ? J’aime la vie, je n’ai pas envie de mourir.
— Je sais, je ne le sais que trop bien. Tu resteras en moi, la fille que je n’ai pas eue.
— Et je vais partir comment ? J’ai horreur de l’eau et des ponts, alors n’y pense même pas.
— Je te laisse le choix. Je ne veux pas que tu souffres ; je t’ai déjà trop fait vivre de malheurs.
— C’est vrai, tu m’as fait souffrir, mais j’ai aimé aussi, pleinement, un amour fou et merveilleux avec un homme formidable, un amant merveilleux. Pour tout ça, je te remercie.

Elle repose sa main sur la mienne, une main fine et chaude qui tremble un peu, comme les larmes qui dansent au coin de ses yeux brillants. Je ne dois pas être mieux, pendant cet instant de communion entre Elle et moi.

— Tu es sûr qu’il faut faire ça ?
— Oui ; plus rien ne nous retient maintenant.
— Alors je ne t’abandonnerai pas. Que vas-tu devenir, maintenant ?
— Je vais te chérir le temps qu’il me reste à vivre, et oublier le reste.
Auteur : Matt Démon


Note à nos lectrices et nos lecteurs : Les textes précédemment publiés sous le pseudonyme "Petite Julie" et les textes à venir du même auteur seront désormais publiés sous le nom de plume "Matt Démon". Bien à vous.

L'équipe du Café Aphrodite

2 commentaires:

  1. C'est à la fois beau et dur. Que de souffrance...

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  2. Ce texte n'a pas vocation a être commenté. Merci de votre compréhension.

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