lundi 4 mai 2015

Une enquête de Greg Marlowe : Pérou

Ma nouvelle enquête m’a conduit au Pérou ; je la menais à la demande de mon pote Don, un privé de la côte Ouest. Il bosse à Los Angeles, et sa secrétaire-bombe-atomique Irina avait décidé qu’il avait déjà trop d’affaires à traiter.

Je me disais surtout qu’il ne voulait pas aller au Pérou car il ne parlait pas portugais.

Elle avait pensé à me confier cette mission pour je ne sais quelle obscure raison. De mon côté, je pensais bien à elle pour plein de missions, mais je souhaitais arriver intact à trente ans. Bon, je les aurai dans deux mois, mais ce n’est pas une raison pour risquer mes cojones en draguant une exécutrice retraitée du KGB. Dommage, car Irina ressemble à Jessica Rabbit en plus pulpeux...

J’ai atterri à Lima en milieu d’après-midi. J’ai passé la douane et cherché mon contact ; une jeune femme brune typée, une authentique Inca sûrement, brandissait un panneau sur lequel était inscrit « Greg Marlowe ».

Ça tombait bien car c’est moi ; nonchalamment, de la démarche puissante mais blasée du tigre s’approchant d’un point d’eau dans la savane namibienne, j’ai avancé vers la princesse inca et là, j’ai réuni tout ce que je possédais de castillan :

— Hola, Señorita, vamos a la playa ?
— Vous fatiguez pas, Monsieur Marlowe. J’ai fait un master de littérature à Harvard...
— Harvard, m’esbaudis-je. À deux pas de chez moi, et je ne vous connais pas, belle Péruvienne au sourire enchanteur. Justement, je suis enchanté, Mademoiselle. Gregory Marlowe, détective privé à Boston, pour vous servir.

Elle leva un sourcil surpris auquel je répondis par le haussement des miens spécial Magnum, celui que Tom Selleck réserve aux jolies poupées. Elle y resta pourtant hermétique comme une belon devant un chapeau.

— Je m’appelle Anaïs. Irina m’a parlé de vous, et je ne sais pas trop à quoi vous pourriez me servir.
— Elle a parlé de moi en bien, espère-je, m’enquis-je de ma voix la plus suave.
— Pas exactement. Mais surprenez-moi.

« Soit. Je vais la lui jouer Sherlock ! » me dis-je dans ma Ford intérieure. Je l’examinai soigneusement, de ses petits pieds chaussés de bottes noires en cuir à son visage mat aux hautes pommettes couronné d’une chevelure noire drue et raide. Je remarquai sa Rolex, son blouson de cuir renforcé aux coudes et aux épaules, ses dents légèrement jaunies et l’odeur de menthe, ses mains abîmées mais pas d’alliance... « Ouais ! »

— Ma jolie, tu as entre vingt-sept et trente ans ; tu es d’ascendance indienne, inca probablement. Tu es célibataire et fortunée, descendant d’une grande famille bourgeoise de Lima. Tu fumes beaucoup... je dirais des Craven menthol. Tu roules à moto, tu exerces un travail manuel, en tout cas un travail physique... Tu veux que je continue ?

Ouvrant des yeux ébahis, elle resta bouche bée avant d’applaudir lentement puis de sourire ; je me pavanai, fier de mes talents si nombreux et variés.

— Je suis éblouie, vraiment ! J’ai vingt-trois ans ; je suis la fille d’une Catalane et d’un Libanais fuyant la guerre civile dans son pays natal. Je suis mariée, même si actuellement je suis en instance de divorce. Ma famille vit à Perpignan, en France ; ma mère est femme de ménage et mon père ouvrier maçon. Harvard, j’y suis allée un an grâce à une bourse d’études. J’ai vu que tu détaillais ma tenue : ma Rolex est en toc, et le blouson appartient à une amie qui a une moto. Je ne fume pas, mais je bois trop de thé et de maté, et je suis secrétaire dans une agence de tourisme.
— Merde... Les marques sur tes mains...
— Proviennent d’un chaton joueur, plein de griffes et de dents. Je vis à Lima depuis six mois seulement, et je vais quitter le pays, maintenant que je suis seule. Mais bravo ! Irina ne m’avait pas menti : tu es bien tel qu’elle t’avait décrit. Enfin, tu n’étais pas trop loin quand même, tu avais presque tout déduit grâce à ton esprit aiguisé...

J’étais légèrement déconfit, mais sans canard. Je lui adressai malgré tout mon sourire irrésistible numéro 17 ; elle me répondit par une moue sensuelle qui provoqua un certain émoi dans ma région équatoriale. Hélas, nous étions au Pérou, me rappelai-je.

— Allons voir le marchand, susurra-t-elle ; vous voulez un alpaga ?
— Je préfère les lodens, merci.
— L’alpaga est un animal proche du lama.
— Mais bien sûr, c’est c’la, oui… Je plaisante, chérie !

Dix minutes en voiture, une vieille japonaise 4x4 particulièrement inconfortable, et nous arrivâmes devant une sorte de corral. Dans la cour intérieure, d’étranges mammifères poilus broutaient paisiblement en me coulant des regards hautains. Des lamas qui se la pètent, compris-je. Je m’arrêtai devant l’un d’eux. Anaïs m’expliqua :

— Lui, c’est Serge ; il est malade. Complètement malade.
— Et celui-là, qui a une bouteille vide ?
— C’est Delon, il sert à boire à tout le monde.
— Et le suivant ?
— Il s’appelle Bernard ; c’était un bon gardien, autrefois.
— Le dernier, là, qui a une jolie couleur safran ?
— Oui, Dalaye. Il est très vieux et très pacifique. Ne le revendez pas à un Chinois, si vous le prenez : il ne les aime pas trop.

Je me grattai la tête ; pour moi, tous se ressemblaient.

— Le lama suivant est une femelle, Drague. Mais c’est une grosse feignasse, elle passe son temps à poil au soleil.
— Pfff ! Je ne sais pas lequel choisir, moi ! Tu prendrais lequel, toi ?
— Moi ? Aucun. Je ne supporte pas ces bestiaux : ils vous crachent à la gueule à la moindre contrariété, ils puent, ils ont plus de morgue qu’un institut médico-légal…
— Ouais, c’est pas comme si je voulais l’adopter non plus. Je vais téléphoner à Irina, lui envoyer des photos des lamas…

Résultat, Irina voulait que j’aille à Beyrouth pour récupérer une Lada, et non au Pérou pour un Lama. Et tout ça parce que la communication était mauvaise. Une erreur minime qui foutait la mission à l’eau. Et cette petite garce d’Irina, consciente de ma légère bévue, avait chargé Anaïs de me réceptionner à l’arrivée pour donner le change à d’éventuels espions libanais. Pendant ce temps, Don a pu ramener sa Lada sans anicroche, grâce à la diversion fournie par ma pomme.

Je n’ai pas tout perdu dans cette palpitante aventure. Maintenant, j’ai une secrétaire, moi aussi : Anaïs est venue avec moi à Boston ; elle ne plaît pas trop à ma femme, mais à moi, si. Le malheur, c’est qu’elle est ceinture noire de karaté et de krav-maga ; pas aussi dangereuse qu’Irina, mais presque. Son presse-papiers, c’est une machette. Pour tuer les mouches, elle utilise un Llama Ruby, un automatique catalan offert par son grand-père maternel.

Mais c’est une perle : elle parle huit langues, tape sur le clavier avec plus de deux doigts (mon record), fait les meilleures pizzas de Boston ; et elle m’adore, même si elle préfèrerait se faire rayer son vernis à ongles que de l’avouer.

Je ne suis jamais allé à Beyrouth.

Conclusion : Lama en table.

Auteur : Matt Démon

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