lundi 23 novembre 2015

Indécences - Itinéraire d'une dévergondée (2)

Relire le chapitre 1
Retrouvailles


Une année s’était écoulée ; une éternité… J’avais médité quasi journellement à propos de cette rencontre avec l’homme dont le souvenir, comme figé dans le temps, obsédait invariablement mes pensées. Ma connaissance exclusivement livresque de l’anatomie masculine était encore succincte, mais suffisante pour connaître la signification de cette « bosse » furtivement perçue au bas de son abdomen. L’idée de me savoir à l’origine de cette marque de virilité m’émoustillait bien plus qu’elle ne me perturbait. Des rêveries impures avaient régulièrement hanté mes nuits, me laissant moite de désirs inassouvis.

Je vécus donc une interminable période pendant laquelle ma conscience fut constamment tiraillée. Elle oscillait entre le besoin de succomber à un inexprimable désir qui enflammait ma curiosité, d’une part, et le refus de braver un interdit qui me commandait d’ignorer cet appel des sens et de m’en tenir éloignée, d’autre part.

C’est avec ce jugement confus que j’abordai enfin ce nouvel été. Pourtant, une fois sur place, les balades sur la grève devinrent de toute évidence l’unique raison de satisfaire mon principal objectif : revoir Philippe, tant je ne pouvais me soustraire à son ineffable attraction. Même mon cher Granite ne s’y trompait pas et me trouvait bien distraite lors de nos sorties en bord de mer. À combien de reprises avait-il dû se manifester bruyamment pour me signaler qu’il avait ramené son joujou à mes pieds ?

Par chance, l’endroit restait aussi peu couru des estivants qui, insensibles aux splendeurs de cette côte naturelle, préféraient s’agglutiner sur des lieux plus huppés. Seule la diaphane silhouette d’un promeneur se découpait au loin devant les flots opalescents. Ainsi, je n’avais nullement raison de craindre d’être surprise par un observateur quelque peu attentif qui n’aurait pas manqué de remarquer mon obstination à scruter cette haie qui, au demeurant, ne pouvait attirer l’attention que pour sa taille d’une rectitude irréprochable.

Depuis deux jours, de l’aurore au crépuscule, j’arpentais cette plage, les yeux rivés sur la compacte cloison de verdure qui me séparait de l’être tant espéré. Deux longues journées où ma respiration se bloquait à chaque modulation venant de la direction de ce jardin ; mais ce n’était à chaque fois que le bruissement du vent dans la dense végétation devenue floue à cause d’un larmoiement que je ne cherchais plus à contenir.

Peut-être était-il parti ailleurs ? Ailleurs… L’idée même m’était insoutenable. Et dire que l’an dernier je m’étais amusée à lui faire douter de ces possibles retrouvailles !

D’habitude si pleine d’entrain, j’étais désormais sans enthousiasme, désabusée, blasée par le jeu du bâton lancé à l’eau ; tout m’était devenu insignifiant, sans intérêt. Amère, accablée par mes mornes réflexions, je décidai de rentrer et rappelai Granite pour lui fixer sa laisse.

— Bonjour Mademoiselle !

Je sursautai en entendant une voix enjouée dans mon dos. Malgré son ton inhabituel, j’en reconnus immédiatement le propriétaire. Ma surprise fut telle que je faillis en lâcher mon chien en me retournant vivement.

« Il » était là !

Devant mon air angoissé, il se campa devant moi et s’empressa de me calmer :

— Excuse-moi Justine, je ne voulais pas te faire peur. Il y a un moment que je te faisais des signes depuis l’autre bout de la plage, mais tu ne semblais pas m’avoir aperçu.

J’en restai muette de stupéfaction. Il était donc si proche, et je n’en avais rien deviné ? Comme je ne parvenais pas à articuler un seul mot, se méprenant sur l’origine de mon mutisme, il me demanda :

— Alors Justine, tu ne te souviens plus de moi ? Nous nous sommes rencontrés ici même l’an dernier ; j’habite la propriété juste derrière cette haie !

Reprenant un semblant de lucidité, je m’efforçai de lui répondre en quittant cet air ahuri que je devais afficher :

— Oui, vous êtes Philippe…
— À la bonne heure ! Mais il me semble que nous étions convenus de nous tutoyer ?
— Effectivement, c’est vrai…

Il se pencha vers Granite, resté bien sagement assis à mes pieds, et lui caressa le museau.

— Il a bien grandi, ce chiot. Toujours autant amateur du « Va chercher ! » à ce que je constate ?

Sans parvenir à répliquer, je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire, la simple évocation de cette pratique restant étroitement associée à notre première rencontre… et à toutes les conséquences qui en découlaient.

— Tu t’apprêtais à partir ? Ou bien aurais-tu un peu de temps devant toi ?
— J’allais rentrer, je commence à avoir un peu froid, mentis-je pour tenter de justifier mes yeux larmoyants.

Puis, me reprenant, je fis montre de moins de malhonnêteté intellectuelle pour poursuivre :

— Mais je peux encore rester un peu !
— C’est vrai qu’il y a un vent de noroît qui forcit. On sera bien mieux à l’intérieur pour discuter.

Lui portant une attention plus soutenue que l’année précédente, je me trouvais de plus en plus sous le magnétisme de son influence. Sans le moindre faux-fuyant, je lui emboîtai le pas, Granite trottinant docilement à mes côtés. Je le laissais me guider vers un chemin débouchant sur la plage et, toujours aussi obéissante, dans ce léger détour qui permettait d’accéder à sa propriété par une rue adjacente. Au moment de franchir le portail blanc qui en marquait l’entrée, il me céda élégamment le passage, repoussa le lourd vantail derrière lui et me précéda dans les circonvolutions des allées menant à sa résidence. En traversant la terrasse, je ne pus éviter de ralentir ma démarche, jetant au passage un regard soutenu sur ces fauteuils qui semblaient exactement dans la même position que lorsque je m’y étais assise l’été précédent. Cette vision me remémora ce moment déjà lointain et généra subitement en moi une bouffée de chaleur accompagnée de picotements aussi étranges qu’agréables.

Lorsqu’il fit coulisser la porte-fenêtre donnant accès à son intérieur, nos regards se croisèrent dans le reflet de la vitre teintée. Remarquant ma position quasi prostrée, Philippe se retourna, me prit doucement par les épaules et, après m’avoir fait franchir le seuil de sa demeure, m’attira contre lui.

Curieusement, je ne lui opposai aucune réaction. À l’inverse, j’eus la sensation de désirer fortement me retrouver dans cette troublante situation et n’éprouvai plus aucune nervosité à son contact. D’un geste devenu presque familier, il me releva le menton d’un index assuré pour solliciter mon accord. En me pressant plus fortement contre lui, il me souleva du sol et nos visages se rapprochèrent. Cédant à son charme envoûtant, je perdis toute mesure à l’affleurement de sa joue contre la mienne. Abdiquant sous le chatouillis de sa bouche sur la peau fine de mon cou, yeux clos, je m’abandonnai totalement à ses caresses. Nos lèvres impatientes se rapprochèrent pour une fougueuse embrassade. D’abord maladroite, comme une danseuse inexpérimentée se laissant guider par un partenaire maîtrisant son art, je compris d’instinct la manière de partager son savoir-faire. Sans la moindre appréhension, je laissais sa langue agile mener le bal de notre folle sarabande.

Relâchant son étreinte, Philippe me remit en contact avec le sol, le souffle court. Profitant de notre inattention, mû par une bonne dose d’opportunisme, mon chien s’était échappé par la porte-fenêtre restée grande ouverte. Me sentant fautive, affolée, je le hélai :

— Granite ! Granite ! Viens là !

Nous sortîmes tous deux précipitamment, réitérant nos appels.

— Il n’a pas eu le temps d’aller bien loin, tenta de me rassurer le propriétaire des lieux. Il doit se cacher parmi les massifs.

Me rappelant le passage existant dans la haie, je m’empressai de parcourir l’allée en direction de la plage. C’est alors que j’entendis un éclat de rire :

— Ah, ah ! il est ici, notre fugueur !

Revenant sur mes pas, j’eus la surprise de voir Philippe agenouillé devant l’un des fauteuils de la terrasse, caressant mon fier cabot qui s’y prélassait.

— En voilà un qui a bien pris possession des lieux, dit mon hôte, avec cet air malicieux qu’il arborait souvent, en se tournant dans ma direction.

Je ne pus réprimer une expression rieuse, comprenant l’allusion à peine déguisée. Je trouvai cependant le moment bien choisi pour prétexter l’obligation de rentrer. Il comprit de toute évidence que la peur provoquée par la disparition de Granite m’avait ramenée à la raison et qu’il était préférable de ne pas insister, tant le sentiment de culpabilité qui s’était manifesté imposait la sagesse. Je vis malgré tout une once de désarroi dans son regard, lui qui venait de m’inviter adroitement à imiter mon adorable compagnon.

Au moment de fixer la cordelière de Granite, la main de Philippe se fit caressante et glissa le long de mon bras nu, remontant jusqu’à l’épaule. Nous nous relevâmes d’un seul geste ; nos corps se frôlèrent à nouveau. Cette fois, prenant garde à ne pas relâcher la bride de mon animal, je devançai son désir en l’étreignant par le cou de mon bras resté libre.

L’une de ses mains s’aventura au bas de mon dos, empoigna le galbe d’une fesse, plaquant mon ventre contre le sien. Dans ce corps-à-corps spontané, les sens exacerbés, je ne pouvais m’empêcher de savourer le réveil de son anatomie. Un frisson encore inconnu parcourut ma colonne vertébrale jusqu’au cœur de mon intimité.

Lascive, ivre d’émotions nouvelles, je succombai sans protestation à l’ardente embrassade de mon mentor. Comme deux amants devant se séparer pour une interminable période, notre dernière étreinte fut la plus longue et la plus intense. Puis, harmonisés par un mystérieux mécanisme biologique, nos corps se séparèrent à regret. Prenant une vive inspiration, tenant mes joues aux creux de ses mains, il me demanda :

— Tu me promets de revenir me voir ?

Cette fois, je n’avais nulle envie de lui mentir sur la suite que je voulais donner à notre face-à-face. Ma réponse fut brève et sincère : « Oui ! » Rassuré par mon affirmation, aussi laconique soit-elle, je le vis se détendre et me sourire. Comme je prenais mon chien dans les bras pour éviter de le faire marcher sur les graviers, il agrippa ma main libre et m’entraîna vers une allée que je n’avais pas encore remarquée sur l’aile opposée.

— Je vais te montrer mon passage secret, murmura-t-il, comme si un observateur caché dans la végétation environnante aurait pu nous entendre. Ce sera plus discret que par l’entrée principale ; avec toutes ces commères du quartier…

Il me dirigea vers une haie champêtre qui agrémentait tout un angle du jardin. Semblant naturelle au premier coup d’œil, elle était composée d’arbustes persistants savamment plantés en quinconce. La sortie était vraiment invisible car, même placée devant, je ne compris sa véritable nature qu’une fois l’avoir réellement empruntée. Partant de la haie, une sente ondulait entre des buissons en descendant vers le rivage en pente douce. Me retournant une fois arrivée sur la plage, je pus constater que l’issue était effectivement parfaitement dissimulée.

□□□

Le lendemain, diverses occupations m’avaient éloignée de ma plage préférée. Le jour suivant, étant libre de mes mouvements pour une bonne partie de la journée, je me retrouvai à sillonner la grève en début d’après-midi. C’est sous un soleil ardent que je guettais l’instant propice pour me glisser dans le « passage secret » sans me faire repérer des rares flâneurs. Lorsque le moment favorable se présenta, il ne me fallut qu’une poignée de secondes pour me soustraire aux éventuels regards indiscrets. En parcourant le chemin inverse de ce labyrinthe végétal, je me retrouvai par deux fois face à des obstacles constitués de ramures infranchissables.

Maintenant que j’étais dans la place tant convoitée, j’eus subitement la crainte d’arriver à un moment inopportun et me demandai comment signaler ma présence au maître de céans. Je n’eus pas à tergiverser longtemps, mon approche ayant été annoncée par le bruit des graviers sous mes pas bien avant mon apparition.

Philippe semblait m’attendre en se prélassant dans l’un des fauteuils de sa terrasse, les pieds négligemment posés sur la table basse. Seulement revêtu d’un bermuda, il exposait son corps déjà hâlé aux vifs rayons solaires. Me délivrant un sourire radieux, il s’extirpa sans peine de sa confortable position pour me baiser la main avec déférence. Sous le geste, je pus admirer sa fine musculature se tendre sous sa peau délicieusement basanée.

— Je faisais ma sieste, s’excusa-t-il. Veux-tu rentrer ou profiter de cette superbe météo ?
— La chaleur ne me dérange pas, au moins je pourrai bronzer un peu.
— C’est vrai que tu es une fille du Sud.
— Oui, mais encore un peu pâlichonne !
— Justement ; mets-toi à l’aise !

N’ayant guère d’effets sur moi, je ne pus faire mieux que de m’asseoir entre les bras de l’un des accueillants fauteuils. Cette fois, ayant également enfilé un short, je ne risquais pas de me retrouver dans une situation compromettante.

M’ayant laissé m’installer, il me demanda :

— Tu n’as pas emmené ton p’tit Granite avec toi ? Je vous croyais inséparables ?
— Non, j’ai préféré le laisser à la maison, mais je le sortirai en rentrant, ce sera plus supportable pour lui.
— Justement, pourquoi ce nom de Granite ? En référence à la Bretagne ?
— Oui, il provient d’un éleveur breton. On me l’avait offert pour mon anniversaire. Il va avoir deux ans.
— Tout s’explique. Je vais prendre de quoi nous désaltérer. Je reviens.

Quand il revint avec son plateau chargé de deux verres et d’une carafe remplie de jus de fruit, j’eus la vague impression de revivre la scène de l’été précédent. Ce sentiment me sembla partagé : un silence qui commençait à être gênant s’était installé. Je voulus introduire un semblant de dialogue ; ce fut en vain. Mon imagination, habituellement si fertile, me faisait défaut. Je l’observais verser l’odorante boisson colorée et ne pus m’empêcher de lui faire cette remarque :

— Tu es déjà bien bronzé et…

Ma parole, que je regrettai aussitôt, resta en suspens.

— Et tu n’as rien vu ! chantonna-t-il, tout sourire et soutenant mon regard avec une forte insistance.

Déstabilisée par son sous-entendu un brin fripon, je donnais l’air de ne pas en comprendre le véritable sens. Il jugea bon de rajouter dans un style aussi leste :

— Je vis seul, personne ne peut me voir. Alors, pourquoi se gêner ? Tu n’as jamais essayé ?

La simple pensée de cet homme déambulant entièrement nu sur sa propriété me fit monter une bouffée de chaleur au visage. À la vue de mes joues subitement pourprées, plus amusé qu’inquiet de mon embarras, il insista :

— Si tu veux vraiment t’y risquer, ne te gêne pas pour moi. Je t’assure que s’exposer nu à notre bonne étoile est  prodigieusement agréable.

Je restais muette de stupéfaction, ouvrant des yeux ronds comme des billes. Puis, comprenant qu’il se divertissait à mes dépens, je me mis à pouffer. Le rire étant souvent communicatif, nous voilà partis tous deux à nous esclaffer à nous en décrocher la mâchoire.

Une fois la crise passée, je me sentis plus relaxée, plus encline à une perceptible complicité. Pour une raison que j’ignore, dès cet instant je ne parvins plus à détacher mes yeux de ses lèvres finement ourlées, me remémorant la scène de notre vive embrassade de l’avant-veille. Plongée dans ma rêverie, je ne m’aperçus pas immédiatement qu’il s’était levé de sa place, et ce n’est qu’en le voyant planté debout devant moi que je pris réellement conscience de sa présence.

Agissant d’instinct, je me relevai et me retrouvai inexplicablement entre ses bras, traversée par d’énigmatiques chatouillements. Au contact de sa poitrine recouverte de sa seule toison, les mystérieux picotements se muèrent en fourmillements plus intenses ; mes tempes battaient la chamade. Les jambes flageolantes, je ne pus résister au désir de goûter au fruit de sa bouche. Ne cherchant nullement à me soustraire à la pression qu’il exerçait sur mon corps, je plaquais mon ventre sur le sien à la recherche de la plus infime marque d’une réaction virile. Je n’éprouvais plus aucune honte à m’abandonner à ses contacts, cherchant même à les devancer.

Ses caresses se firent plus concrètes. M’agrippant par les fesses, dont il flattait la ferme rondeur au travers de mon short, il me serra encore plus fortement contre lui. La manifestation de son désir devenait flagrante, ce qui était loin d’apaiser ma propre excitation. Confusément, je sentis l’intérieur de ma vulve s’humidifier, imprégnant mon sous-vêtement de ma sève intime.

Ses doigts suivirent l’ébauche d’un sein, titillant au passage son arrogante pointe au travers de la fine étoffe du débardeur. Desserrant quelque peu son enlacement, une main descendit le long de ma hanche, s’attardant pour en évaluer les courbes naissantes puis, se glissant sans vergogne sous mon tee-shirt, se posa sur la peau délicate de mon ventre brûlant.

Avec l’ardeur d’un fantassin s’avançant en terrain conquis, ses lèvres toujours collées aux miennes, il dirigea sa main avec témérité vers les parties plus intimes de mon corps. Je ne pus contenir un mouvement de recul, rentrant simultanément l’abdomen et serrant mes jambes, ce qui le décontenança un peu.

Me retenant toujours contre lui, alors que je m’efforçais de garder une certaine distance, il me caressa tendrement les cheveux. La joue contre sa poitrine velue, je me risquai à baisser les yeux vers un endroit précis de son anatomie où se montrait une impudique proéminence, si proche, si tentatrice…

Une fois de plus, dans un dernier réflexe conditionné par une excessive pruderie, je rompis de manière totalement irréfléchie une entente naissante vers laquelle voguait pourtant mon désir. Perplexe face à mon recul, restant bienveillant, il ne laissa paraître aucun signe d’agacement face à cette soudaine virevolte. L’expérience d’une vie bien remplie l’avait suffisamment façonné pour qu’il ne s’offusque pas de cette preuve de contrariété.

Je le quittai encore plus mortifiée que lors de nos précédentes rencontres, pensant réellement ne plus jamais le revoir.

Auteure : Inanna

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