mercredi 13 avril 2016

So British

Le soleil inonde le parc. Immobile, assise sur un banc, Laure voit passer lentement les badauds. Quel jour est-ce ? Un samedi ! L’après-midi s’achève sur ce jour d’été qui n’est que l’antichambre d’un beau dimanche en perspective. Le roman que lit la jeune femme sur son banc ne la captive qu’à demi. Trente ans, brune et jolie, elle aime pourtant à venir se reposer ici dans ce lieu calme et ombragé. Elle chasse, d’un geste de la main, les quelques cheveux qui se sont échappés de sa coiffure pourtant bien rangée.

Un homme, sans qu’elle n’y prenne garde, vient s’asseoir sur le banc près d’elle. Elle se pousse juste un peu, de peur que l’arrivant n’ait pas suffisamment de place. Ou peut-être n’est-ce qu’un simple réflexe pour que l’autre n’entre pas dans sa sphère intime. L’homme élégamment vêtu ne semble pas vraiment à sa place dans ce parc. Petite moustache brune assortie à sa chevelure impeccablement peignée, des gants dont le bout des doigts dépasse et, pour couronner le tout, une canne qu’il dépose à ses pieds.

Laure, qui du coin de l’œil suit les mouvements précieux de son nouveau voisin, cherche un adjectif pour le qualifier. La rigueur et la posture guindées de celui-ci lui apportent juste une réflexion et son esprit lui susurre : un homme délicieusement « so british ».

— Bonjour, Jeanne.

C’est avec un léger accent qu’il vient de prononcer ces quelques mots ! Mais Laure jette un regard autour d’elle, pas très certaine qu’ils lui soient adressés. Puis comme il ne se trouve personne dans les alentours et que le phénomène dirige bien ses yeux vers elle, elle répond d’une petite voix :

— Vous devez faire erreur, Monsieur, je ne me prénomme pas Jeanne.
— Dommage, vous lui ressemblez pourtant. Vous n’avez pas une sœur appelée Jeanne ?
— Pas du tout ; non, pas du tout.
— Ça ne fait rien, je peux continuer à vous appeler Jeanne ?
— Mais puisque je vous dis que…
— Oui, mais moi j’aime ce prénom et la fille qui va avec, et vous êtes elle. Alors, permettez-moi de vous appeler Jeanne.
— …
— Oh, ne craignez rien ; si vous étiez Jeanne, je vous aurais demandé de mettre votre tête sur mes genoux. Vous ne voulez pas que je vous montre ?
— …
— Je comprends votre peur et votre malaise, mais, Jeanne, je l’aime en silence depuis si longtemps…

Laure se pousse encore plus sur le banc, au risque de tomber. Pourquoi cet hurluberlu vient-il l’importuner ? De quel droit se permet-il de venir lui perturber sa lecture ? Et puis avec quel abracadabrantesque prétexte vient-il lui faire une sorte de rentre-dedans ?

— Vous voyez, Jeanne, si vous étiez elle, je vous demanderais de poser votre tête là, de vous étendre sur le banc, juste couchée, gentiment étendue.
— Mais enfin ! Monsieur ! Puisque je vous dis que…
— Vous me dites, vous me dites… mais laissez-moi encore un peu de rêve, bon sang !
— Mais…
— Il n’y a pas de mais ! Mettez votre tête sur mes genoux ! Allons, ne vous faites pas prier.

Laure ne comprend pas, ne comprend plus ce qui lui arrive. Les paroles de l’homme sont dites sans violence, mais le ton est péremptoire, comme si, en douceur, il lui donnait un ordre. Elle n’a jamais aimé les mecs trop machos, qui commandaient tout. Mais là ! Il ne s’agit pas du tout de cela ! C’est comme une force, et elle se sent sans volonté. Du reste, le brun vient de lui passer la main sur la joue. Une main de laquelle il a retiré un gant. Du cuir roux, des mitaines en été : c’est fou ! Et cette canne qui est là, par terre, au pied de… elle réalise qu’elle ne connaît pas même son prénom.

— Mais qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
— De vous ? Rien. Mais de Jeanne, tout l’amour du monde. Et vous êtes elle en ce moment, elle, à qui je peux enfin parler !
— Vous… vous êtes fou ? Vous voulez bien retirer votre main de ma joue ?
— Oh, sorry ! C’est juste pour… Même votre peau est douce, pareille à celle de Jeanne. Vous voulez bien poser votre tête là ? Oui, sur mes genoux, et je vous parlerai.
— Mais… je ne comprends pas.
— Juste poser votre nuque sur mes genoux et écouter ; je ne vous demande rien d’autre, Jeanne.
— Puisque je vous dis que je n’ai rien à voir avec votre Jeanne.
— Ce n’est pas encore « ma » Jeanne, et vous n’êtes donc pas « ma Jeanne » puisqu’elle ne l’est pas ! Voyons, posez votre nuque sur mes genoux, le visage tourné vers moi. J’ai envie de vous parler, de vous raconter…
— Alors vous êtes vraiment dingue ?
— Non, Jeanne, seulement amoureux ; mais n’est-ce pas pratiquement la même chose ?

Laure sent cette main, douce et chaude qui parcourt lentement sa joue et se dirige vers son menton. Elle ne fait pas un seul geste brusque, de peur qu’il ne s’énerve vraiment. « Mon Dieu, un fou au milieu du parc en pleine journée ! » Et plus personne pour passer dans le coin, comme si tout se liguait contre elle. Lui a réussi à prendre dans sa paume le joli menton de la jeune femme. Délicatement, il tire doucement vers lui et elle suit le mouvement de cette main sans comprendre trop pourquoi.

— Voilà, c’est bien. Laissez-moi faire, Jeanne, vous êtes si belle... Le soleil vous va si bien ! Oui, tournez-vous un peu sur le côté… Là ! Étendez-vous et posez… oui, c’est bien ainsi.
— Mais…
— Chut… Yes ! Merci. C’est bien, vous êtes une bonne fille !

Laure n’en revient pas. La voici avec la nuque sur les genoux de cet homme inconnu, et les mains de ce dernier sont sur l’ovale de son visage. Enfin, une main gantée, et l’autre non, qui courent sur ses joues ! Les gestes sont tendres, affectueux, presque vraiment amoureux. Les yeux grands ouverts, elle scrute ce type qui doit bien avoir… quinze à vingt ans de plus qu’elle. Il ne cherche rien d’autre, pas même à la retenir dans cette position dans laquelle elle s’est mise pratiquement toute seule. La vue de l’étrange personnage depuis la position qu’elle occupe est bizarre. La petite moustache fine, la chevelure du type, la veste aussi qui monte, croisée sur le torse qu’elle devine sous celle-ci : tout lui laisse penser qu’il n’a rien de dangereux.

— Voilà, ma belle Jeanne ; j’ai tellement attendu cet instant... Celui où enfin votre visage serait sous mes doigts, ce moment où je pourrais, sans une seule fois vous regarder, dessiner dans mon esprit les contours doux de vos traits parfaits. Vous êtes belle, Jeanne ! Merci de vous être une minute reposée sur mes genoux. Ce merveilleux rêve qui prend enfin un sens, qui en donne un nouveau à mon existence.

Laure ne bouge plus, pas très rassurée, mais pas non plus paniquée. L’homme est d’une douceur, d’une tendresse presque paternelles alors qu’il suit ses pensées et reste perdu dans un monologue dont lui seul connaît le sens.

— My dear ! Comme j’ai attendu cela ! Des années, et je vieillissais alors que vous êtes restée si jeune, Jeanne, ma chère Jeanne.

Puis les mots se perdent dans une autre langue, de l’anglais sans doute, mais murmurés si bas que la jeune femme ne suit plus, et pourtant elle tente bien de comprendre. L’homme passe ses mains lentement sur le visage, contourne les yeux et revient. Il caresse la frange qui va des cheveux aux oreilles, entraînant dans une sorte de langueur une Laure qui ne trouve pas cela désagréable. Les doigts, dépassant du cuir des mitaines, s’évadent sur ce visage, parcourent les ailes du nez, repartent vers le front et recommencent le même inlassable voyage. Puis lentement, les étranges voyageurs trouvent le chemin qui va du menton au cou.

Il ne brusque rien, se contentant de parler à voix si basse que les mots se perdent dans cette langue que Laure ne saisit pas. Il raconte des montagnes de choses, tristes aussi puisque des larmes perlent aux coins des yeux du bonhomme. Mais aussi joyeuses parfois, car un sourire illumine le visage de ce si prévenant compagnon. Laure ne se rend pas tout de suite compte que les doigts ont poursuivi leur périple, qu’ils ont contourné les lobes de ses oreilles et que maintenant ils folâtrent avec la naissance voilée de sa poitrine.

L’homme, perdu dans ses pensées secrètes, n’en finit plus de débiter des mots qui ne signifient rien pour elle. Mais une des mains de celui-ci est passée sous le fin chemisier et câline lentement la plage de peau qui déborde du soutien-gorge de la jeune femme. Laure reste là, à se demander s’il va vraiment aller là où ses doigts le poussent. Elle est très vite fixée quand, sans à-coup, un index doux soulève la bordure de dentelle qui cache encore le téton brun. Surprise, mais pas du tout effrayée, elle pose sa main sur celle du vieux monsieur.

— Oh, ma Jeanne ! Vos trésors font de moi un homme comblé. Ce que je sens sous mes doigts est une pure merveille. Ils sont déjà si beaux enfermés dans leur gangue de dentelle, alors laissez-moi en sentir la douce texture. Vous êtes tellement… attirante, ma Jeanne.

Laure réalise soudain que c’est en français que le type s’adresse à elle, et elle remue un peu.

— Je vous ai fait mal, Jeanne ? Sorry ! Je ne veux pas faire de marque sur une aussi jolie peau. Vous êtes… comment dire… so beautiful ! Vous ne voulez pas remonter vos deux jambes qui restent tendues sur le banc ? Juste mettre vos petits pieds nus, bien à plat. J’adore vos orteils, ma Jeanne ! Je les ai toujours aimés, souvenez-vous.

C’est dit sans violence, juste avec une pointe d’accent, mais le vocable est bien compréhensible pour la jeune femme. Son livre posé sur sa taille, pourquoi relève-t-elle les jambes ? Ses talons sont maintenant bien joints sur les lattes du banc. Elle ne réalise pas non plus que cette position vient de remonter sa petite robe bain de soleil sur le haut de ses cuisses. Les boutons, sur le devant, qui montent jusqu’au décolleté de Laure, brillent au soleil de l’après-midi. Et la paume de la main qui fouille dans le soutien-gorge vient de s’emparer de la totalité de la rondeur du sein, qu’aussitôt elle emprisonne.

La jeune fille laisse échapper un soupir alors que le bonhomme, lui, presse cette masse bien charnue, puis étire le téton sombre qui se réveille et durcit sous les attouchements du mâle. La caresse est devenue si personnelle que Laure se dit qu’elle doit bouger, réagir. Mais c’est aussi tellement surprenant que tout son corps lui dicte, lui intime presque l’ordre de ne pas remuer. Elle commence à aimer ce que lui fait ce « so british » personnage. Elle ferme les yeux et se laisse envahir par toutes ces sensations nouvelles qui lui parcourent l’échine.

Si elle parvenait à imaginer une seule seconde que le fait d’avoir remonté ses jambes laissait entrevoir aux passants éventuels la culotte blanche qui lui couvre les fesses, peut-être ne se laisserait-elle pas aller à cette soudaine décontraction. L’autre qui lui palpe les seins a déjà entrouvert deux boutons de la robe bleu ciel, bain de soleil qui désormais porte si bien son nom. D’un geste presque naturel, son pied à lui a appuyé sur le pommeau bizarre de sa canne. Celle-ci a l’air d’être dotée d’une vie propre.

La longue tige de bois se redresse soudain et vient finir sa course dans la main libre du vieil homme qui persiste à toucher « sa » Jeanne. La promptitude du mouvement révèle une habileté particulière, et les doigts se referment sur cette épée de bois vernis, la coincent sous l’aisselle du monsieur. Ensuite, comme si c’était naturel, il retire la garniture de caoutchouc qui amortit les chocs lors de la marche en frappant le sol. Vivement, cette petite pièce disparaît dans la poche de la veste de l’honorable vieillard. Et quand les doigts qui viennent de la faire disparaître réapparaissent, ils tiennent un minuscule étui, couleur argent, que l’homme ouvre à l’aide de ses dents.

La chose rose qui en est ensuite extraite se trouve rapidement déroulée sur l’extrémité qu’il vient de mettre à nu. Laure, qui a gardé les yeux clos, n’aperçoit rien de ce préservatif qui glisse sur le bas de la canne vernie. Elle se laisse dorloter par ce curieux personnage, à cent lieues de toute pensée mauvaise. Lui fait maintenant glisser le grand pic qu’il tient fermement. Le bout encapuchonné écarte doucement les deux pans de la robe, dévoilant entièrement la blanche culotte. La main qui ausculte encore le corsage de la donzelle vient en aide à sa consœur et elle finit de dégrafer les trois derniers boutons qui ouvrent la voie aux regards possibles des passants hypothétiques.

Le soleil de l’été lèche désormais toute la peau étalée de Laure qui ne bronche toujours pas. Lentement, le bout de la canne vient frôler le slip immaculé de la jeune femme. Quand elle comprend enfin ce qui arrive, elle essaie de se redresser ; mais le bonhomme la calme d’une petite tape délicate sur le bout d’un sein dont le balconnet ne recouvre plus un seul millimètre de peau. Elle voit passer sur son corps cette tige brune qui frotte sa chatte, et elle sait que l’autre va réussir sans doute à lui donner une incroyable envie.

Sans à-coup, l’objet dur vient se coller sur sa fente, sur le tissu, et commence un lent frottis, imprimant sur le coton la marque de ce que cache la culotte. Et c’est idiot, mais elle aime cela ! Elle se le dit, a beau se répéter que c’est dingue, rien n’y fait. Elle sait que l’humidité qui perle de son sexe va vraisemblablement faire une auréole bien visible. Plus elle se trouble, plus son émoi se voit, et c’est un cercle vicieux dont elle n’arrive plus à endiguer la montée.

Maintenant, la canne qui fait office de godemichet est remontée jusqu’à son nombril. Elle redescend en pressant sur la peau, et le sillon ainsi creusé reste rouge après son passage. Puis la pression fait que l’engin glisse entre la peau et l’élastique de ce cache-fesses qui se laisse écarter sans difficulté. Laure frissonne, autant d’émoi que de peur. Mais elle sait aussi que la caresse lui apporte encore plus de bien-être. Le fou est un gentil ! Le fou est un doux !

Le préservatif tendu sur le bois est lubrifié, et il entrouvre la fleur qu’il longe doucement. Au bout de quelques allers et retours, la fente s’échauffe et les soupirs de la jeune femme accélèrent les montées de sa poitrine.

— Ah, Jeanne, comme vous êtes belle quand vous jouissez ! Comme vous êtes belle tout le temps ! Je vous aime !

Elle ne dit rien, se contentant de rouler la tête de gauche à droite, et brusquement un spasme énorme la secoue de la tête aux pieds. Un orgasme qui lui tire des plaintes, des gémissements, des cris, des feulements de lionne en rut. Et la main qui lui caresse le visage revient en plus douce, comme si elle vibrait elle aussi de sentir le grain de la peau qui glisse sous sa paume. Les mots qu’elle entend sont sans suite, dans un langage qu’elle ne déchiffre pas. Les intonations lui sont pourtant familières à l’oreille.


— ooOOOoo —


— Laure ! Laure, mon cœur, réveille-toi ! Tu es trop agitée : tu fais un cauchemar ? Allons, ma belle revient sur terre !
— Mais ! Mais… pourquoi m’arraches-tu à mon sommeil ?
— Parce que depuis quelques minutes tu remues tellement, mon amour, que je n’arrive plus, moi, à dormir ! Ton cauchemar devait être terrible pour que tu t’agites de la sorte.
— Oh, Pierre ! Tu aurais dû me laisser finir, je suis mal maintenant…
— Mal ? Mais tu l’étais avant que je te secoue ; regarde : tu as même mouillé le lit !

Brutalement revenue à elle, Laure finalement se dit que c’est dommage ; elle ne reverra sans doute jamais son si sympathique, mais « so british » vieux monsieur…

Auteure : Charline88

2 commentaires:

  1. Un texte plutôt joliment composé. Stimulant à souhait... il me fait penser que son auteure, Charline, mériterait en récompense de pouvoir poser la tête sur les genoux du lecteur qu'elle choisirait (pour commencer, et si c'est ce dont elle souhaite à son tour, bien évidemment !)
    Fred Auteur (Google +)

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    1. le lecteur qu'elle choisirait pourrait-il être le premier à avoir posté un commentaire ? (et très positif, merci)
      je lui en toucherai deux mots, si vous le voulez !

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