CHAPITRE CINQ : Delmonte
Le 4 novembre, Mr
Delmonte me demanda de passer à son bureau ; c’était mon soir de repos
au Moon’, et je devais le voir à 16 heures. Je suis arrivée en avance de
cinq minutes mais il m’a fait entrer aussitôt. Je n’avais pas parlé
avec lui depuis mon embauche début août ; je l’avais parfois aperçu au
bar, mais c’était tout. Je me suis assise sagement, me demandant ce
qu’il me voulait. J’étais inquiète, et j’avais bien raison de l’être.
— Stephanie, je t’en avais parlé cet été : tu vas changer de job.
— Mais… je n’ai rien demandé.
—
Tu as vingt-et-un ans demain, et tu peux maintenant travailler partout.
Et je veux voir ce que tu as dans le ventre : tu vas travailler comme
entraîneuse dans un bar de nuit.
— Il n’en est pas question ! Je
travaille déjà presque à poil, et franchement, ça ne me plaît déjà pas
trop ; alors je refuse. Je préfère partir du Moon’ si ça vous va pas.
—
Me parle pas comme ça ! Personne ne parle à Carlo Delmonte comme ça !
Si tu refuses, je fais virer ta colocataire du studio et de son travail.
Comme ça, vous vous retrouverez toutes les deux à la rue. Et je me
débrouillerai pour qu’elle ne trouve plus de travail, en lui faisant des
références pourries.
— Mais… Vous n’avez pas le droit, c’est dégueulasse, elle n’y est pour rien !
— Non. Mais ça sera ta faute si elle est virée. À toi de choisir.
— Vous me laissez pas trop le choix, il me semble. Ça consisterait en quoi, votre job d’entraîneuse ?
—
T’en as pas la moindre idée ? Tu bosses dans un bar privé, les clients
ont une carte de membre ; tu les sers et tu es gentille avec eux.
— Mais ça va pas ? C’est un boulot de pute ! Il n’en est pas question !
— Bon, c’est toi qui vois ; ta copine sera virée demain matin.
— Non, arrêtez, faites pas ça, je vous en supplie !
La
mort dans l’âme, j’ai accepté de signer son contrat d’entraîneuse. Je
ne pouvais pas permettre qu’Alice soit licenciée et expulsée du studio.
Je suis repartie tête basse, sans dire au revoir. Dans la rue, j’ai
enfoncé les mains dans les poches de ma parka que j’ai serrée devant
moi. J’étais gelée, glacée de l’intérieur.
Tu vois, quand tu
disais que tu es une porte-poisse… une scoumoune ambulante, oui ! Depuis
que tu es sortie de l’Immaculata, tu as semé le malheur autour de toi,
sur tous ceux que tu aimes. Même Kach, elle avait tout pour réussir et
tu l’as brisée. Je sais pas pourquoi tu t’obstines à vouloir vivre dans
ces conditions. Ta prochaine course vers le Brooklyn Bridge, penses-y.
Si tu sautes, tu rendras service à plein de monde.
Au retour
d’Alice, à 18 heures, j’étais couchée, roulée en boule. Et toujours
aussi glacée. Elle s’est précipitée à côté de moi, a passé la main sur
mon front, caressé ma chevelure qui avait bien poussé de trois
centimètres en trois mois.
— Steph ? Tu n’as pas de fièvre… Mais
qu’est-ce que tu es froide ! Je te fais un lait chaud. Ça va pas ? Tu as
eu des nouvelles de Jason ?
— Non, je suis crevée, c’est tout.
— Tu as chopé la grippe, un virus, une saleté, oui.
Elle
m’a forcée à boire un grand verre de lait chaud puis elle s’est
déshabillée et est entrée dans le lit pour se coller contre mon dos. Les
nœuds dans mon corps se sont lentement dissipés, me laissant privée de
force, incapable de pleurer
— Steph, demain c’est ton
anniversaire. Je voudrais te faire un cadeau, une jolie robe. Tu
viendras avec moi, on ira ensemble faire les boutiques.
— Non, j’ai déjà tout ce que je veux ; et mon anniversaire, j’en ai rien à foutre. J’ai déjà mon cadeau.
—
Hé ! Passe pas tes nerfs sur moi, j’y suis pour rien si tu as des
soucis. Parle-moi, explique, et on trouvera une solution, toutes les
deux.
— Fiche-moi la paix, Alice. Laisse-moi dormir et occupe-toi de tes affaires.
Bon
Dieu que c’était dur de la rabrouer comme ça ! Elle ne le méritait pas
et je le savais. Mais j’étais à vif, incapable de raisonner, de… Je
ruminai un moment alors qu’Alice, énervée, s’était relevée pour préparer
le dîner ; puis elle s’est collée devant la télé sans m’adresser la
parole. Quand elle a été près de se coucher, je me suis levée, prise de
frénésie, et j’ai mis ma tenue de jogging. Elle m’a regardée faire,
manifestement interloquée. Mon regard a glissé sur elle et mon cœur
s’est serré en voyant toute cette tristesse dans ses yeux si expressifs.
Il
faisait nuit noire. Bon, pas un scoop à 11 heures du soir. J’ai couru
vers le nord à un rythme soutenu, cherchant l’oubli dans les gestes
répétés. Je suis arrivée à Central Park par la 8ème avenue et y suis
entrée. Les allées étaient presque désertes et je courais dans
l’obscurité, indifférente à tout ce qui n’était pas mes foulées amples
et régulières, le bruit saccadé de mes Nike sur le sol détrempé, ma
respiration rythmée, les battements rapides de mon cœur. Cinq miles en
tout car j’ai fait demi-tour arrivé à la grille nord. J’ai descendu la
5ème avenue sans ralentir, puis Broadway jusqu’à Battery Park. Sur
l’esplanade, je me suis arrêté pour contempler la statue de la Liberté,
magnifique et altière dans la lumière des spots, voilée par la pluie
fine.
À mon grand regret, elle ne m’a donné aucun conseil, ne m’a
indiqué aucune route à suivre. Tête basse, épuisée par ma course de
près de dix-sept miles, je suis repartie au trot, incapable d’imposer un
rythme à mes jambes fourbues. Je pense qu’Alice a éteint la lumière à
mon arrivée et fait semblant de dormir. Je me suis déshabillée avec
peine et suis allée sous la douche, d’abord chaude puis froide, et l’eau
a fouetté mon corps sans parvenir à réveiller mon cerveau engourdi. Je
me suis couchée tout au bord du lit, évitant tout contact avec Alice qui
avait dû s’endormir.
J’ai passé une nuit blanche mais me suis
assoupie au petit matin, et je n’ai pas entendu mon amie partir. Elle
avait posé un petit mot sur la table près d’un verre de jus d’orange : «
Je file, à ce soir. Gros bisous, Alice. »
Ma journée ? Je
serais incapable de me rappeler ce que j’ai fait. Je suis sortie
marcher sous la pluie, mangé sans appétit, regardé la télé. Quand Alice
est revenue, elle s’est approchée en souriant mais s’est arrêtée en
voyant mon visage fermé. Les bras qu’elle tendait vers moi sont retombés
le long de son corps qui s’est voûté. Elle a retenu ses larmes avant de
se lancer :
— Tu ne vas pas bien ; je sais pas pourquoi, mais tu
ne vas pas bien. Tu peux pas faire ça, te réfugier dans ta tour
d’ivoire et m’ignorer. Nous sommes deux, il me semble, et il te faut
parler avant qu’il ne soit trop tard.
— Alice, s’il te plaît, tais-toi.
— Mais c’est ton anniversaire, merde ! Tu as vingt-et-un ans !
— Tais-toi, merde ! Je le sais que j’ai vingt-et-un ans ; et j’ai envie de crever !
Alice
est restée bouche bée, paraissant ne pas croire ses oreilles. Elle a
voulu s’approcher de moi mais je l’ai arrêtée d’un geste de la main.
Blessée, elle s’est assise sur le canapé, tête inclinée presque jusqu’à
ses genoux. J’ai failli aller vers elle pour la consoler.
Arrête
! Tu vas l’attirer dans tes emmerdes encore plus qu’elle n’y est déjà.
Tu peux pas lui faire ça, elle ne mérite pas de se retrouver impliquée
dans ta vie. Si elle y laisse la peau, tu feras quoi ? Elle est
sensible, si belle… Laisse-la pleurer, elle t’oubliera.
Alors
je suis partie. Mr Belmonte m’avait donné une carte de visite bordeaux
gravée de lettres dorées : « EDEN CLUB - Bar privé - Discrétion totale -
Hôtesses - Service soigné - Ouvert de 17h à 01h ». Je commençais à 20
heures, comme au Moon’, et j’avais un quart d’heure d’avance. L’entrée
était très discrète : une porte bordeaux siglée EDEN CLUB – PRIVÉ, et
c’était tout. J’ai sonné sans chercher à réfléchir plus avant. Une voix
masculine grave a prononcé :
— Eden Club, bonsoir.
— Bonsoir, je suis Stephanie, je viens...
— Entre.
Un
déclic a ponctué l’ouverture de la clenche électrique. Je suis entrée
dans un petit hall carrelé comportant une autre porte ; un guichet s’est
ouvert, deux yeux m’ont examinée et la porte s’est ouverte sur un
malabar, un gros Black en jean noir et débardeur bordeaux. Je me suis
faufilée à côté de lui en lui adressant un signe de la tête, les yeux
furetant autour de moi. Lumières tamisées, musique be-bop, odeur un peu
trop forte de lavande et de pin, carrelage beige au sol, vestiaire vide à
ma gauche ; dix tables rondes avec deux chaises chacune, toutes vides,
un comptoir noir avec un barman chauve et patibulaire dès le premier
regard, une fille nonchalamment appuyée à côté de lui.
Merde,
la tenue de la fille ! Un bikini en résille noire et des talons hauts…
Autant qu’elle reste à poil, on voit tout à travers, à commencer par sa
poitrine refaite à l’hélium. Merde, merde, merde ! C’est un bar à putes,
ouais... Tu fais quoi ? Si tu restes même un mois ici, tu seras
complètement détruite quand Jason te récupèrera. Mais tu fais ça pour
Alice, pas pour toi. Petit mec, souris et lève la tête. Tout glisse sur
toi, tu survivras. Tu as survécu à Thomas. Non ?
Le barman
est sorti de sa zone de travail pour s’approcher et m’a fait signe de le
suivre dans une arrière-salle. Il m’a fait entrer dans des petits
vestiaires avec sanitaires et douche. Propre, sentant la javel et
éclairé trop fort par deux spots ; un miroir au-dessus d’un petit meuble
me renvoyait mon image, une brune au visage un peu crispé.
— Tu
te déshabilles et tu mets ce bikini. Pour les chaussures, il y en a
trois paires de libre ; tu choisis. Puis te me rejoins au bar. Je
t’expliquerai le boulot.
Maussade, je l’ai regardé quitter la
pièce à grandes enjambées. Bon, quand faut y aller… Je me suis
déshabillée entièrement pour enfiler le string en résille noire puis le
soutien-gorge ; je me suis examinée dans le miroir : plus pute que ça,
tu meurs ! J’aurais pu être nue que ça n’aurait pas été pire. J’ai
trouvé une paire d’escarpins noirs à talons vertigineux sur lesquels je
tanguais dangereusement, et ça y était. Je suis revenue dans la salle de
bar. Toujours pas de clients, ouf. Je m’installai sur un tabouret haut
perché à côté de l’autre serveuse, une Black bien en chair à la peau
chocolat au lait, avec beaucoup de lait. Nerveuse, je lui souris
mécaniquement ; elle me toisa comme si j’étais un étron sous sa
chaussure.
Merde, encore une que je ne vais pas aimer,
celle-là. Elle a une mine revêche, à se demander ce qu’elle fiche ici.
Je la sens pas bien partie, cette soirée, moi.
— Bonsoir, je suis nouvelle ici ; je m’appelle Stephanie…
— Salut. Pour toi, c’est Mademoiselle Dora.
Ouais,
c’est pas gagné. Bonjour la camaraderie, on va s’éclater toutes les
deux. Devenir une paire d’amies, partir en vacances ensemble Le barman
est intervenu d’une voix cassante.
— Stephanie, le boss m’a
dit que tu es blonde à cheveux ras. Enlève ta perruque et donne-la.
Bien. Tu travailles ici maintenant, et c’est moi qui commande, puis
Dora. Toi, tu la fermes, tu souris et tu obéis. Tu es ici pour les
clients ; ils peuvent te toucher tant qu’ils veulent, payer pour que tu
travailles à poil, et contre supplément se faire tailler des pipes, ou
plus dans une salle derrière cette porte.
— Je suis pas une pute, il y a erreur.
—
Il y a pas d’erreur. Tu touches un fixe de deux cents dollars moins
cinquante pour le loyer et vingt pour les vêtements de travail.
Je
gloussai malgré moi en l’entendant parler de vêtements de travail. Il
m’adressa un coup d’œil dénué de toute gentillesse et je crus même qu’il
allait me frapper. J’eus un petit mouvement de recul et il arbora un
sourire mauvais. Sans relever, j’ai hoché la tête et demandé un verre
d’eau fraîche ; j’ai bu sans piper mot et Dora n’a pas non plus tenté
d’engager la conversation. Son parfum bon marché couvrait à peine les
odeurs peu appétissantes de sueur et de crasse qui émanaient d’elle,
alors je me suis concentrée sur la musique. Pas assez forte à mon goût,
car le ténébreux Miles Davis égrenait de sa trompette magique les note
d’« Ascenseur pour l’échafaud ». Tout un programme pour moi ce soir.
Les
premiers clients entrèrent un peu avant 10 heures, deux cinquantenaires
blacks en costumes manifestement taillés sur mesure ; ils m’ont repérée
tout de suite, bien sûr, et une lueur malsaine traversa leur regard au
même moment. Le barman m’envoya à leur table et j’obtempérai, marchant
prudemment sur mes talons trop hauts.
— Bonsoir, Messieurs ; que souhaitez-vous boire ?
— Tu es bien roulée, petite. Approche un peu…
Avant
de comprendre ce qui m’arrivait, je me suis retrouvée assise sur les
genoux d’un des hommes avec leurs quatre mains sur moi. Mon premier
réflexe fut de crier et de me relever aussi vite que je pouvais, mais
ils me maintinrent facilement en place et reprirent leurs attouchements.
Mon soutien-gorge repoussé, ils empoignèrent mes seins pour les pétrir
rudement ; des doigts glissaient sous ma culotte pendant que d’autres
s’étaient imposés dans ma bouche.
Je commençai à pleurer,
impuissante ; je savais que j’étais coincée ici et qu’il me fallait
tenir. Ils n’étaient pas tendres et j’ai à nouveau crié quand deux
doigts ont forcé mon vagin pas vraiment humide. J’ai mordu par réflexe
les doigts qui plongeaient dans ma bouche ; leur propriétaire a crié à
son tour et m’a allongé une gifle sèche qui m’a envoyée au sol. J’ai
passé la langue sur ma lèvre fendue et y trouvai le goût du sang. Il y avait longtemps ! Mais tu ne peux pas te battre ni te tirer. Fais profil bas, Steph, sinon ces connards vont te massacrer.
— Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire mal, Monsieur...
—
Une putain comme toi, me mordre... Tu vas le regretter, crois-moi.
Debout, vite... Enlève ton bikini de pute, garde tes chaussures.
Approche... Je peux même pas te tirer les cheveux.
Il empoigna
mes bouts de seins en même temps et les tordit et pinçant de toutes ses
forces ; je hurlai de douleur. Je ne réalisai que l’autre client s’était
levé qu’au moment où j’ai reçu un coup de ceinture sur le dos. Le
visage sillonné de larmes, je hurlai de plus belle, me demandant quand
je passerais en mode spectatrice ; chez Thomas, je m’y réfugiais
automatiquement et regardais mon corps endurer les sévices dont il était
grand amateur.
Sous les gifles et coups de ceinture qui
claquaient à une cadence infernale, je criai à me casser la voix mais
n’essayai pas de fuir. Je n’avais plus nulle part où aller, je n’avais
pas le droit de fuir et je ne le savais que trop. Puis un coup de feu
retentit et sa détonation rendit momentanément sourds tous les occupants
de la pièce. Les deux clients me lâchèrent et je tombai en vrac sur le
sol, plus qu’à moitié groggy. À travers mes larmes j’ai vu une
silhouette s’approcher de moi et j’ai mis du temps à la reconnaître.
—
Toi, la grosse pouf, va chercher les vêtements de ma copine, et vite
!... Bon sang, Steph, ils t’ont mise dans un état, rouspéta Alice d’une
voix sourde.
— Pfff... F’est rien, v’ai l’habitude...
Du
mouvement à ma droite : Dora posa à côté de moi mes vêtements en un tas
informe. En tremblant, je m’agenouillai pour enfiler mon tee-shirt, puis
j’enlevai les escarpins et me glissai dans le jean à même la peau ; mes
tennis, puis mon gros caban et je me redressai tant bien que mal en
fourrant mes sous-vêtements dans mon sac-besace. En titubant, je
m’approchai du comptoir pour prendre un torchon propre et essuyer mon
visage couvert de sang et de larmes. Alice était debout, jambes un peu
écartées comme je lui avais montré, et elle tenait le Glock à deux
mains, l’air mortellement sérieux.
Je lui envoyai un baiser pour
la rassurer puis m’approchai des deux clients en exagérant ma fatigue.
Immobiles, arrêtés en plein délire, ils me toisèrent avec mépris.
Arrivée à bonne distance, je relevai violemment le genou droit en plein
dans les parties de celui qui m’avait fouettée à coups de ceinture : il
se dégonfla en couinant et s’effondra comme un château de cartes. J’ai
regardé l’autre de mes yeux vides à présent de tout sentiment, de toute
émotion ; il recula d’un bon mètre pour s’adosser au mur.
— Alice, tu me passes le pistolet. Je vais lui faire un deuxième trou du cul…
— Non, ce n’est pas une bonne idée. Viens, on se casse. Tu peux marcher seule ?
— Dommage…
Avant
de faire demi-tour j’ai envoyé un shoot dans le ventre du Noir qui se
tordait par terre, satisfaite de l’entendre hoqueter et pleurer. Puis je
suis sortie aussi dignement que je le pouvais ; j’avais mal partout et
une migraine épouvantable s’annonçait. Alice a rangé l’arme et passé son
bras autour de ma taille pour me soutenir. J’ai réprimé un gémissement,
mais elle a bien senti que je me raidissais.
— Tu as mal ?
— Non, ça va bien. Merci, Alice.
— Ouais, faut qu’on discute, toutes les deux. Je n’ai pas du tout aimé ce que tu m’as fait.
— Excuse-moi. Je n’ai pas su… J’ai déconné.
De
retour au studio, je me suis déshabillée et nous avons examiné les
dégâts ; rien de bien grave, mais mon dos et mes fesses n’étaient qu’un
lacis de vilaines marques violacées d’où le sang perlait parfois, quand
la peau n’avait pas résisté. Mes seins présentaient une palette de
couleurs du jaune au bistre, et ma lèvre inférieure avait doublé de
volume, comme ma joue qui avait viré au rouge sombre.
Alice a
délicatement pommadé les zones sinistrées en maugréant après moi. Et
moi, je cogitais, dans un monde peuplé d’idées noires. Merde, tout était
parti de travers aujourd’hui, le jour de mon anniversaire. Et j’avais
entraîné mon amie avec moi.
— Je suis désolée, Alice. Je t’avais
bien dit que j’étais porte-poisse. Et voilà, j’ai réussi à te faire
perdre ton travail et ton logement.
— C’est quoi cette histoire ? Raconte.
Mortifiée,
je lui ai expliqué le chantage monté par Mr Delmonte pour mes
vingt-et-un ans. Et comment je m’étais retrouvée dans ce bar de nuit
complètement dépassée par les événements.
— Merde, Steph, tu te
rends compte de ce que tu as fait ? Tu n’as pas le droit de prendre des
décisions toute seule. C’est ma vie. Et tu es dans un tel état depuis
hier… Tu n’as rien dit, tu as essayé de me tenir à l’écart et tu m’as
blessée.
— Pardon, Alice, j’ai agi comme une conne.
— Oui. Nous
sommes amies, merde. Nous devons nous aider, nous battre ensemble. Je
suis heureuse que tu m’aies montré comment fonctionne le pistolet : j’ai
réussi à ne tuer personne. Non que je n’en avais pas envie.
— Comment tu m’as trouvée ?
—
Je suis allée au Moon’ pour t’engueuler, et quand je ne t’ai pas vue
j’ai discuté avec Aminata. Qui a cuisiné un barman, et j’ai eu l’adresse
de l’Eden. Quand je t’ai vue au milieu de ces deux salauds qui te
massacraient, je ne sais pas comment j’ai fait pour tirer en l’air et
pas sur eux.
— Tu as bien fait, tu serais dans la merde. Encore plus que maintenant.
J’ai
pris deux comprimés de paracétamol et me suis endormie sur le ventre,
les doigts de la main droite entrelacés dans ceux de la main gauche
d’Alice. Sommeil de plomb pour moi, au contraire de ma copine qui
présentait une petite mine au matin. Je me suis sentie coupable, bien
sûr, et j’ai essayé de m’excuser encore une fois.
— Oublie ;
quand je t’ai vue me traiter comme si j’étais transparente, je me suis
sentie délaissée, reniée. Et j’ai compris trop tard que tu t’étais
fichue dans la merde. Tu as mal réagi, mais c’était pour me protéger ;
et le coupable, ce n’est pas toi. Delmonte est un vrai fumier.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On attend que ses gros bras viennent nous déloger, ou on se casse ?
—
On se casse ; Aminata et Carmen vont passer et nous aider. Ami va
entreposer chez elle ce qui ne nous est pas indispensable et nous irons à
l’hôtel, en attendant de trouver mieux. Et oui, j’ai appelé Ami pendant
que tu dormais, elle était inquiète pour toi.
Une heure après,
alors qu’Alice finissait de ranger ses affaires – bien plus nombreuses
que les miennes – les filles sont arrivées. Elles ont poussé des cris
d’effroi en voyant mon visage tuméfié, mais je les ai rassurées.
C’est
vrai quoi ! Tu as déjà reçu bien plus de coups, bien plus longtemps. Tu
es habituée à servir de punching-ball humain, en quelque sorte. C’est
pas quelques gifles qui vont te faire mal ; allez, embrasse-les ; elles
prennent des risques pour toi, elles aussi !
Je me suis
levée, et à ma surprise le sol tanguait ; je songeai brièvement à un
tremblement de terre, mais je n’étais plus à Frisco. Quand j’ai vu les
trois femmes se précipiter vers moi, j’ai compris qu’il y avait un
problème chez moi : j’étais moins solide que je ne le pensais. Je me
suis retrouvée assise dans le canapé ; Ami m’a donné un verre d’eau
alors que Carmen posait un tissu mouillé sur mon front.
Sympa de se faire dorloter ! Mais c’est pas trop le moment, il te faut t’accrocher, te battre, encore et toujours.
Une
petite heure après, j’étais aussi bien que possible ; nous sommes
parties toutes les quatre par l’escalier, chargées comme des baudets à
cause des sacs d’Alice. Moi, ce que je possédais tenait dans mon grand
sac de sport. Puis Ami et Carmen ont pris un bus direction Brooklyn, où
elles logeaient toutes deux dans de minuscules appartements avec leur
famille. Nous avons toutes versé une larme en nous embrassant une
dernière fois sur le trottoir.
— Bon, tu as un plan ? Perso, je
voudrais passer à mon bureau pour savoir si je suis vraiment virée, et
toucher mon mois d’octobre. Tu viens ?
— Bien sûr ; je ne te lâche plus.
Elle
était virée, comme de bien entendu. Son dernier mois lui a été remis et
nous avons tenu un conseil de guerre dans un Starbuck. Un toit, du
travail, des nouvelles de Miami : voilà ce qu’il nous fallait, dans
l’ordre ; les nuits commençaient à être fraîches à New-York. Jusqu’à 16
heures nous avons demandé à tous les restaurants rencontrés s’il y avait
des emplois de serveuse à pourvoir, sans succès. Puis nous avons pris
le métro vers le Bronx pour trouver un hôtel pas trop cher. Miteux et
pas cher, mais suffisamment propre pour qu’on ne dorme pas toute
habillée. C’était peu de dire que notre moral était bas ; nous nous
sommes blotties l’une contre l’autre, nous consolant mutuellement.
Le
matin, mon visage avait bien dégonflé et j’en ai profité pour me
glisser entre les jambes de ma copine ; les mains à plat sur l’intérieur
de ses cuisses largement ouvertes, j’ai écarté ses lèvres avec les
pouces et soufflé de l’air chaud sur ses chairs les plus intimes ; le
ventre d’Alice s’est creusé et tendu vars ma bouche mais j’ai reculé,
bloquant son bassin des deux mains. J’ai soufflé jusqu’à ce que
l’humidité sourde et recouvre ses nymphes de gouttelettes de rosée que
j’ai commencé à laper. Mon amie a gémi et planté ses ongles dans mon
cuir chevelu, poussant mes lèvres contre sa vulve.
J’ai résisté
mais ai quand même donné un petit coup de langue de bas en haut,
terminant sur son clitoris qui a roulé, lui arrachant un cri de plaisir.
Elle m’a lâchée pour empoigner ses mamelons et les pétrir ; j’ai passé à
nouveau le bout ma langue en l’enfonçant dans la fente trempée. Son
ventre tremblant s’est tendu vers moi et j’ai ventousé son bouton érigé,
le tirant à moi pour le mordiller ; un orgasme intense a balayé ma
jolie amante qui s’est tordue en criant. Mais je la tenais bien et je
suis restée collée à sa vulve qui m’inondait de son plaisir, l’empêchant
de redescendre du climax, la propulsant vars un nouvel orgasme tout
aussi ravageur. Ensuite seulement je suis remontée dans le lit pour
l’embrasser et lui faire partager les senteurs de son plaisir.
—
Quel dommage que tu ne sois pas lesbienne, toi ! Nous filerions le
parfait amour, ta langue et moi. Tu veux que nous te rendions la
pareille, ma langue, mes doigts et moi ?
— Pour les doigts… Je ne
vais pas te mentir, mais ce qu’ils m’ont fait hier a fait ressurgir du
passé… Je n’ai pas fait l’amour avec Jason, je ne l’ai pas reçu dans mon
sexe depuis qu’un sadique m’a torturée, à San Francisco. J’ai été
soignée, mais depuis j’ai un peu peur. Alors hier, j’étais terrorisée à
la pensée de ce que j’allais subir.
— Merde... Je suis désolée,
Steph. Bon, sans les doigts ? Ou juste un ou deux pour masser le point G
? Tu me diras si tu as mal, j’arrêterai.
— OK, je te fais confiance.
—
Écarte bien, je vais voir si j’arrive à te faire décoller en moins de
trois minutes… Mmm, tu es trempée, petite coquine ; et ton clito, je le
vois d’ici tellement il est bandé.
Elle a plongé sur moi, en moi,
le visage rapidement inondé de mon plaisir ; elle a pompé mon bouton
frétillant avant de le mordiller, m’arrachant une longue plainte aiguë.
Mon ventre se contractait sous les rafales de jouissance qui le
traversaient ; j’ai caressé mes seins, j’aurais voulu tordre les bouts
tendus mais ils étaient encore douloureux des sévices de l’avant-veille.
Alice s’est redressée pour venir m’embrasser et j’ai léché mon jus sur
son menton luisant, puis elle est repartie cajoler mon ventre offert.
— Tu vas voir, avec mes doigts je suis douée aussi…
— Je le sais bien, ma chérie…
Elle
a glissé un malheureux doigt et je me suis tortillée sous
l’appréhension. Et pourtant j’étais trempée ; aussi un peu irritée, je
pense. Mais quand sa bouche a repris possession de mon clitoris, je n’ai
plus résisté ni eu de pensée construite. Tout mon être s’est concentré
en un endroit précis ; je n’étais plus soudain qu’un ventre brûlant et
trempé, mon bouton engorgé devenant le centre du monde, irradiant ses
ondes de jouissance jusqu’au bout de mes doigts, jusqu’à la pointe de
mes cheveux. Bon, pour tes cheveux, c’est pas encore ça ; ils ont repoussé, c’est vrai, mais tu n’as pas de quoi te faire des tresses.
L’orgasme
est arrivé doucement ; je l’ai vu venir de loin et monter, monter…
Quand il m’a submergée, je me suis arquée, le dos décollant du lit ; et
j’ai hurlé en griffant les épaules de mon amante diabolique. Laquelle,
deux doigts crochés dans le marécage de mon vagin, tétait toujours mon
clitoris érigé, qu’elle ne lâcha que quand je retombai de la
stratosphère, épuisée et haletante. Mes membres étaient de plomb et mon
cerveau dans la ouate, mais je souriais et Alice est venue se lover
contre moi en ronronnant.
— Pour la douche, vu la taille, se sera à tour de rôle. Pas de jeu coquin ici.
— Dommage… Qui y va en premier ?
— On tire au sort ? La blonde à forte poitrine ou la top-modèle lesbienne ?
— Je n’ai pas une forte poitrine ! J’ai de jolis seins… Enfin, quand ils ne sont pas mauves.
— Bon, j’y vais…
Auteur : Matt Démon
Lisez la suite
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire