jeudi 31 juillet 2014

[Feuilleton] Double vie (14)

Relisez le chapitre 13

On aurait pu croire qu’en arrivant à la clinique, c’était la fin de l’histoire, le réveil de la Belle au Bois Dormant, l’épilogue heureux, générique de fin avec larmes d’émotion.

Pas vraiment, on n’est pas dans un conte de fée : quand nous débarquons dans la chambre, il y a une infirmière un peu grosse et une interne à l’air revêche (ou concentré, selon le point de vue) qui est celle, ça se voit, qui doit prendre la parole, et qui effectivement nous explique, face à Irène encore inconsciente, que le réveil sera graduel. Il ne faut pas être impatient. Et après, elle restera en observation… Ne crions pas victoire.

Après, on reste là, avec Clara. On attend, on n’est pas impatient mais on attend.
Elle s’assied et moi aussi.


Les machines sont, bizarrement, placées entre l’entrée de la chambre et le lit, Irène est comme planquée derrière, alors pour être proche d’elle, on prend place sur deux chaises bleues derrière le lit haut.
Clara prend dans sa main celle de sa sœur, encore inerte, elle l’embrasse doucement. Elle garde cette main pâle dans la sienne, et on commence à discuter.
On se raconte nos vies à voix basse, en riant parfois.
Elle m’interroge un peu timidement, et je lui parle de mon enfance, du Portugal et de mon frère qui voulait devenir footballeur alors qu’il était nul en foot, des plages avec les filles qu’on convoitait ensemble, de l’armée, aussi.

Clara, elle, m’offre sa vie en contrepoint : les mecs que sa sœur séduisait, et dont elle rêvait, elle qui n’attirait que des types gentils, timides et intelligents qui voulaient enseigner ce qu’ils avaient appris, jamais de rebelles flamboyants qui faisaient de la moto sans casque et qui aimaient mentir.
Et puis les vacances dans les Landes, la maison de leur grand-père.

On discute, on s’approche, Clara a la main d’Irène dans la sienne, j’ai l’impression qu’on parle pour elle, elle est presque capable d’être témoin, mais pas encore de participer à cette conversation paresseuse et vive à la fois.

Et puis il y a un silence, parce que c’est le moment, pas du tout par gêne : un creux dans notre échange.
Clara se lève, regarde sa sœur inconsciente, et commence à lui parler, d’une voix douce :
— Tu vas te réveiller, ma Chérie, tu es en train… Comme un dauphin qui glisse dans l’eau, vers la surface. T’adores les dauphins. Tu vas te réveiller. On est là près de toi, tu nous entends peut-être… J’aimerais bien, je te parle, tu m’as toujours écoutée, même si tu as pu ne pas aimer ce que je te disais, des fois, hein ?
Clara sourit derrière ses lunettes enveloppantes, sombres, et continue son monologue avec la même tendresse.
— Tu vas te réveiller, je suis là, Carlos est là aussi. Il m’a accompagnée, pendant ces heures bizarres, ces moments pas faciles depuis que tu as eu ce malaise. Il était là, il est là, pour toi, il est venu ici dès que possible. Tu l’intéresses, c’est… C’est un amant que tu as eu, il m’a raconté, le hasard vous a réunis à nouveau… Tu as eu peur, je crois, ma Chérie. Ta double vie qui n’était plus étanche, ça t’a fait peur. Mais Carlos… Tu as eu de la chance : parmi tous tes amants, c’est Carlos qui a franchi la frontière. Avec lui, tu n’avais pas à avoir peur, il t’a même protégée, alors que tu es sans défense, la plus vulnérable possible. Il était là et c’est… C’est un homme exceptionnel, Carlos.

Je souris, amusé et ému, mais bien sûr Clara n’en sait rien, elle est aveugle, et Irène n’en sait rien non plus, elle est dans le coma.

Clara poursuit :
— On a fait l’amour, j’ai ressenti un plaisir fou, presque dévastateur, tu vois ? Des jouissances qui laissent sans force, et qui… je ne sais pas comment raconter cela… Qui donnent l’impression qu’on est toute neuve, tu vois ? Et il est adorable. Je crois que je suis amoureuse de lui. C’est complètement con.
Clara s’arrête, avale sa salive derrière son sourire crispé.

— Il n’y a pas d’avenir pour ce sentiment-là, c’est une rêverie dont je te parle devant lui parce que je manque de courage pour provoquer et pour attendre sa réaction. Pas d’avenir, j’ai pas les armes pour prétendre aimer un homme comme Carlos, je suis tellement fragile et engluée dans ma vie… Engluée dans le noir. Toi… Toi, Irène, le noir va se terminer, tu remontes à la surface, à la lumière, je ne le… regrette pas, mais en même temps, je dois être honnête, quand tu ouvriras les yeux, ce sera la fin de cette parenthèse : je déteste dire cela, mais que tu aies ainsi sombré un moment, ça m’a permis de rencontrer Carlos, de… m’éclater, de tomber amoureuse comme une gamine… et de jouir comme une femme, comme une garce. C’était toi la garce, avant, mais tu seras surprise, peut-être, d’apprendre que… que moi aussi j’ai fait un truc dingue, tout à l’heure : baiser dans un parking. Je me suis fait sodomiser, tu te rends compte ? Et j’ai adoré cela… Me cambrer… me prendre toute la force de Carlos dans… dans le cul, disons-le franchement, résister à ses poussées, et en jouir, oh oui. En jouir. Et puis remettre ma culotte après. Tu te réveilles, là, dans peu de temps, et tout ça, ça va devenir des souvenirs chauds que je vais… que je convoquerai pendant des années, jusqu’à ne plus trop savoir exactement ce qui s’est passé, ça va devenir ma légende intime, je vais me remettre le film et broder dessus, en me caressant. Tu te réveilles, ma Chérie, et Carlos m’écoute, je ne veux pas… je ne veux pas qu’il croie que je l’imagine faible ou bête, bête comme un homme victime des femmes, mais tu vas te réveiller et j’imagine des trucs, c’est moi qui suis bête mais si je ne parle pas maintenant, il sera trop tard quand tu ouvriras les yeux. Je me souviens, tu as de beaux yeux. Ils en ont trop vu, mais tu as de beaux yeux, tu es belle, et j’imagine des choses, je me dis que Carlos est venu à la clinique, au départ, pour te retrouver. Tu l’intriguais, tu l’émouvais, et ce mystère, cette émotion, quand tu te réveilleras, deviendront le centre de son attention. Et ton charme, la fragilité qu’il sait que tu as malgré ton assurance, malgré tes dessous cochons, malgré tes talons aiguilles, ta fragilité remplacera la mienne, vous vous sourirez, et moi je resterai là, j’irai rejoindre mon mari pour me caresser plus tard, quand ma blessure et mon amertume seront moins vives, moins fortes.

Elle se tait.
Moi je suis assis, ému, très ému, par cette déclaration qui a eu l’élégance d’être indirecte, mais que j’ai reçu en direct.

Je prends la parole en me levant, aux côtés de Clara, je regarde la belle endormie :
— Oui, tu es belle, Irène. On a baisé ensemble, j’étais un parmi d’autres ce soir-là, j’aurais jamais dû… non, jamais dû me mêler à la troupe anonyme des baiseurs qui ont saisi leur chance en pleine nuit. Mais bon, j’étais là. Et je suis là aujourd’hui, parce que… oui, ton énigme, oui, une attirance particulière, un truc que je voudrais approfondir, pour ne pas dire résoudre, ce serait prétentieux. Je suis là, mais c’est différent, bien entendu : j’ai suivi le chemin vers toi, alors même que tu t’échappais. Sur ce chemin, il y avait ta sœur, petit animal triste et sexy, charmante et émouvante, avec des énigmes aussi, mêlées sans doute aux tiennes, que j’ai approchée en même temps. Sans doute… Sans doute que ta sœur fait fondre mon cœur par sa fragilité, j’ai le cœur prompt à ça, mais elle fait aussi… durcir ma queue, j’aime la voir s’animer, pleine de tensions, pleine de parfums, quand on fait l’amour. Et puis je suis amoureux, moi aussi. Je ne lui demanderai pas de quitter pour moi la sécurité, de quitter son mari que je n’aime pas mais dont je comprends qu’il soit là, et là pour elle. Je ne lui demanderai pas cela, mais j’aimerais bien oser, savoir ce que c’est que vivre avec Clara, juste un peu, me réveiller avec elle. J’ai envie de faire l’amour et après de dormir contre elle, sans penser à des choses compliquées. J’ai envie de voir son corps nu qu’elle ne veut pas me montrer, pas encore me montrer. Ta sœur, Irène, m’inspire de l’amour et du désir…

— Et j’ai senti tes doigts se serrer sur ma main, Chérie, ajoute soudain Clara. Tu es peut-être mécontente, déçue ? Je ne sais pas. Moi je ne sais pas quoi faire, j’ai envie de tout cela. J’ai envie que Carlos soulève ma jupe et me fasse l’amour. Pas pour… pas pour m’accorder ce qu’il ne te donne pas, juste là presque sous ton nez, non : juste pour jouir encore.

Elle s’interrompt, je souris, personne ne le constate.
Elle reprend à voix basse, une voix juste un peu tremblante, rauque :
— Oh… Je te raconte, mais pas pour faire ma garce, je voudrais partager avec toi ce qui m’arrive. Écoute-moi, Chérie : Carlos me caresse les fesses, il me pelote, j’aime ce mot, et là… il soulève ma jupe tout doucement, j’aime sa douceur, elle m’attendrit et elle m’excite en même temps. Bon… Écoute… Voilà, je suis troussée, il a soulevé ma jupe sur ma taille et il baisse ma culotte : je te raconte il a baissé ma culotte sous mes fesses, en dessous, je suis cul nu, c’est une sensation… étrange, gênante ici, dans une chambre d’hôpital, juste à côté de toi, et en plus je te raconte, ma Belle… Il… Carlos, il s’est accroupi. Derrière moi. Ma culotte, il la descend, il faut que je l’aide il l’enlève, je l’enjambe, voilà : plus de culotte !… Tu écoutes ? Il me… respire, c’est animal, délicat, ça fait… frissonner, putain ! Mmmh… Son souffle, je me penche un peu en avant, vers toi ma Chérie, ses doigts… Il m’écarte les fesses, je suis… salope de te faire un compte rendu, même si c’est… un murmure, il m’écarte, mais ça me fait mouiller de te dire, ça va… peut-être… t’exciter et te faire… revenir, je mouille, Irène, tu sais ? Les doigts de Carlos, ses… la vache ! Ses pouces, le bout de ses pouces… Et… Et !… Ouh ! Sa langue, ça y est ! Il me lèche, par derrière, comme un petit chat, sur ma petite chatte, dans ma petite chatte… qu’il écarte… La vache, c’est délicieux. Je mouille, j’ai presque mal au bout des seins… Oh je te raconte en plus, c’est… sacrément vicieux, putain !… Le bout pointu de sa langue, lentement, et ses doigts, c’est très lent… et ça… ça me fait fondre… Et… Il est descendu, des… des petits… coups… sur mon clitoris… Personne ne verra la porte de la ch… chambre s’ouvrir si quel… quelqu’un entre ! Ouah. C’est… Putain c’est affolant, faut pas que je crie quand je vais… Oh là là ma Chérie, il me lèche comme… un dieu, ce mec, je deviens… Il fait ce qu’il veut avec moi ! C’est… aïe aïe… C’est le contraire : toi, tu décides de tout avec les… les hommes, et moi je suis… toute con, là, à mouiller comme une folle, bon sang ça me remonte dans le ventre, oh Irène, je suis dingue de te dire te dire cela mais il m’enfile oh putain, un doigt en me su… suçant le… le… clitoris… dans le va-gin… un doigt qui pistonne len… lentement j’ai jamais senti un truc pareil j’ai jamais vécu un truc pareil depuis que… ooooooh, LA VACHE !! Il est en train de… combien de ddd… doigts il me met, là ?? Putain je me tais sinon je crie. Putain putain…

— Gggggmmmmh…
— Oooouh…
— …
— Ça y est, bordel, j’ai joui encore, un vrai… bordel dans ma tête, et dans mon ventre… je suis… essoufflée. Heureuse. Je te raconte, je suis trempée, il a rabattu ma jupe, il est tendre… J’ai… Je crois que j’ai serré ta main trop fort, dd… désolée, je… je pensais pas jouir un jour avec ta main dans la mienne. Oh ma Chérie… Pfffuuuuuu… Je suis dingue, mais c’est beau de jouir avec lui, de jouir près de toi. Reviens, ma Chérie, je serai si heureuse quand tu te réveilleras que… même si Carlos ne me regarde plus, même si c’est toi qu’il lèche, ce s’ra pas grave, je m’en fous, je serai tellement, tellement heureuse. Reviens, je t’attends !



Auteur : Riga
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5 commentaires:

  1. Merci Richard ! Non seulement le récit "Double vie" tient toutes ses promesses mais... cet épisode là... Mamma mia ! Quand Clara décrit ce que Carlos lui fait "subir", j'avais l'impression d'être au téléphone avec elle et que l'affaire se passait au même moment et qu'elle me la racontait de vive voix... Sensationnel !

    Je t'enverrai la note de pressing, je ne sais pas si je pourrais récupérer ma culotte !

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  2. Tu m'as fait éclater de rire, et je suis très touché par ces compliments : je me demandais justement si tu appréciais et suivais cette histoire...
    Merci beaucoup, et bonne suite de lecture !
    (Et sans culotte, c'est mieux, non ?)

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  3. Bonzour,

    Je me demandais, dans ma douce niaiserie et mon impatience (car je n'aime pas commencer quelque chose qui n'est pas fini :3) si les différents morceaux seraient regroupés dans un document unique (post/pdf) une fois la publication du dernier épisode parue. Voilou :"

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  4. Désolée, je n'en ai aucune idée et je ne sais même pas combien d'épisodes il reste à publier.

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  5. Bonjour,
    Je suis en train de réfléchir à un envoi de différents textes à un éditeur…
    ;)
    Merci de vos commentaires !

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