mardi 15 juillet 2014

[Feuilleton] Double vie (7)

Relisez le chapitre 6

Il marcha vite vers l’ascenseur du parking souterrain le menant à la clinique.
Au siège de la banque, la fille de l’accueil avait été trop bavarde, elle lui avait annoncé qu’Irène avait eu un malaise et avait été emmenée par les pompiers, encore évanouie.
Et seulement après, elle s’était enquise de qui il était, il avait répondu  « Un ami. » avant de la remercier et de faire demi-tour.

Ensuite, trouver à quel endroit les pompiers emmenaient les personnes pour des examens et des hospitalisations n’avait pas été difficile.
Sur le trajet de Nanterre, il avait pris le temps de se demander pourquoi il réagissait autant à ce malaise, pourquoi il prenait le chemin de l’hôpital au lieu de se dire qu’il la verrait un autre moment, plus tard.
Il n’y avait rien d’urgent.
Sauf que cette femme, oui, l’intriguait et le touchait. Quelque chose en lui voulait savoir qui elle était, et discuter avec elle, comprendre qui elle était et donc peut-être pourquoi elle avait ce comportement extrême qui les avait fait se rencontrer anonymement, alors qu’elle avait tout, non… pas tout sans doute, non, juste ce qu’on peut imaginer être très important sur le plan social et professionnel.

Pour le reste, sur le plan personnel, amoureux, familial, il ne savait pas où elle en était, il allait falloir qu’il se calme avant de faire des hypothèses, de se laisser aller à des élucubrations faciles, et le piège…
Le piège, oui, c’était d’imaginer la sauver. Il avait cela, Carlos, dans son caractère, une idée de petit garçon : « Ma force et mon courage peuvent me permettre de sauver les gens qui ne vont pas bien et ceux qui ont un problème qu’ils ne peuvent pas résoudre seuls. »

Après cette sale histoire qui lui avait fait quitter les troupes d’élite avec les honneurs et la promesse implicite d’oublier ce qu’il avait vu, il s’était retrouvé face à lui-même, il avait essayé de réfléchir, de faire le point honnêtement sur son mal-être.
Stratégie possible : Carlos avait cherché à identifier ce qui ne lui manquait PAS pour mieux mettre le doigt sur le vide, et pouvoir le regarder en face.

Non, ce n’était pas l’adrénaline qui lui manquait, pas l’action, pas l’uniforme non plus, et pas les armes, pas les copains et la solidarité virile.
Non, mais c’était ce que cela représentait : le pouvoir d’agir, d’être celui sur qui on peut compter, qui défie le vertige, qui domine le stress, la fatigue, le froid, qui avance dans la jungle, qui connaît la mort et nous en protège de toute sa compétence et de sa force de caractère.
Ça s’appelle un héros.
Et lui, il était devenu un civil armé qui conduit des Mercedes avec dedans des patrons du CAC 40 qui ne sont menacés de rien à part la Bourse qui ne va pas fort et le cholestérol.

Alors oui, il fallait qu’il se calme.
Cette belle femme avait eu un malaise, mais il ne fallait pas qu’il fantasme sur sa fragilité en l’expliquant par des failles qui l’auraient plongée dans cette double vie extrême.
Ne pas s’enflammer, et devenir bêtement sentimental : c’était peut-être, sans doute, une nana qui voulait se payer des jouissances hors-normes parce qu’elle en avait marre des trucs de Madame Tout-le-monde, c’était peut-être une égocentrique stupide et friquée qui s’était fabriquée un scénario pour le grand frisson, peut-être même que son mari ou son mec était sur les parkings à la mater en train de se prostituer, et que tout allait pour le mieux, que c’était un système et qu’il était en train de s’émouvoir pour rien.
Cependant il s’engouffra dans l’ascenseur sans ralentir : il verrait bien.

Et elle était peut-être déjà sortie de l’hôpital et rentrée chez elle, ou même était-elle retournée à la banque pour reprendre son boulot de killeuse ?
Peut-être, pourquoi, peut-être, pourquoi. Stop.

— Bonjour, salua-t-il la fille derrière le comptoir, les pompiers ont dû vous amener une femme du nom d’Irène Frageau, à la suite d’un malaise, je en sais pas trop vers quelle heure…
— Bonjour, sourit-elle. Je regarde. Vous pouvez m’épeler son nom ?
Carlos s’exécuta, et la fille lui répondit après avoir consulté son écran qu’effectivement, mais qu’elle était en soins intensifs, et qu’il n’était pas possible de la voir pour l’instant.
— Vous pouvez me dire comment elle va, ce qu’elle a ?
— Non, je n’ai pas ces informations, Monsieur, s’excusa la fille. Vous êtes de la famille ?
— Je suis son garde du corps, répondit Carlos sur une inspiration soudaine.

La fille de l’accueil resta interdite, puis eut un sourire incrédule.
— Son garde du corps ? répéta-t-elle en ouvrant des yeux ronds. Ah ben j’aurais tout vu. Et… vous n’étiez pas avec elle au moment du malaise, c’est bizarre, vous n’êtes pas censé… commença-t-elle avec une pointe d’ironie.
— Non Mademoiselle, je comprends que ce soit inhabituel pour vous, mais Mme Frageau était au bureau, je ne m’occupe de la protéger qu’en-dehors de son travail et dans ses déplacements, répondit-il l’air grave. Et là elle est sans protection, même ici à la clinique. Alors il faudrait que je puisse accéder au service, à sa chambre, pour m’assurer que tout est OK, ce serait vraiment aimable à vous. Elle a un poste important et elle a subi des menaces. C’est très sérieux… ajouta t-il en sortant ses papiers, sa licence et sa carte professionnelle.
La fille fronça les sourcils en découvrant les papiers, elle ne savait pas quoi faire.
— De toute façon, Monsieur, elle est en soins intensifs, on lui fait des examens, et le public…
— Le public, OK, mais je suis un membre de sa sécurité personnelle. S’il arrive quelque chose, et c’est tout à fait possible, hélas, la clinique sera entièrement responsable, et ça risque de faire du bruit. Je ne veux qu’une chose, la voir, vérifier que tout va bien…

La jeune fille décrocha fébrilement son téléphone, appela sa supérieure.
Carlos se disait qu’il venait d’exagérer sacrément, n’importe qui pouvait appeler l’agence et ne rien comprendre de ce qui se passait, ça risquait de mal tourner, de prendre une ampleur imprévue et de lui retomber dessus, mais tant pis.

Il répéta son histoire à la supérieure d’abord perplexe, qui examina ses papiers, il lui fit du charme, genre le type qui comprend bien que c’est embêtant et qu’il y a des règles à respecter, surtout en milieu médical, mais qui doit faire son boulot malgré tout.
La responsable lui sourit et appela un chef de service, lequel l’autorisa à accéder aux soins intensifs pour voir la patiente.
Elle lui donna un badge et lui indiqua le chemin.
Carlos fit son plus beau sourire, rangea son portefeuille, elles aperçurent son holster la crosse en néoprène du Desert Eagle et eurent une mine effarée et excitée, quelle histoire bon sang !

Dans l’ascenseur, il ressentit une brève bouffée d’inquiétude, espérant qu’Irène soit encore dans les vapes s’il y avait des témoins quand il la verrait, sinon il risquait d’être grillé immédiatement et même de repartir de la clinique encadré par des flics.
En sortant de la cabine il tomba une jeune femme brune, menue, en blouse blanche avec les manches relevées et l’air fatiguée, qui l’examina d’un air un peu hostile :
— Que faites-vous là ? demanda-t-elle avant de découvrir son badge.
— Bonjour, sourit chaleureusement Carlos. J’ai eu l’autorisation de monter, je cherche la chambre de Mme Irène Frageau.
— Suivez-moi, répondit-elle simplement en l’évaluant une nouvelle fois du regard.
Ils parcoururent rapidement le couloir bleu clair où stationnaient des lits avec des grosses roues, et des potences mobiles de perfusion.
— Vous savez comment elle va ?
— Oui, je la suis, on a fait des examens complémentaires, elle est encore inconsciente.
— Ah bon ? s’étonna Carlos. Ce n’est pas un simple évanouissement, alors !
— Non, répondit la jeune femme. Vous êtes de la famille ?
— Je suis son garde du corps, répondit Carlos en espérant qu’entretemps Irène ne se serait pas réveillée.
De surprise, la jeune femme s’arrêta, bouche bée, puis éclata de rire.
— Ça c’est incroyable ! Comme dans les films… Qu’est-ce qui justifie cela ?
— Je n’ai pas le droit d’en dire plus, pardonnez-moi, rétorqua Carlos avec un sourire mystérieux qui sembla faire son petit effet.
— Bon, reprenons, se reprit la jeune interne en se remettant en marche. Vous savez si elle suit un traitement médical ?
— Aucune idée. C’est bizarre qu’elle soit encore inconsciente. Dites-moi, elle est dans le coma ? questionna-t-il brusquement.
— On cherche à déterminer ce qui se passe, laissa tomber la jeune femme sans répondre à la question. Elle revient d’un électro-encéphalogramme. Voilà, on y est.

Ils entrèrent dans la chambre encombrée d’appareils, dont certains en activité, la pièce était uniquement opérationnelle, destinée aux activités de contrôle et d’examen, pas de mobilier, ni même de fenêtre ou de jolis éclairages, pas de murs bicolores, de déco ni de vase pour les fleurs : on était aux soins intensifs.
Irène était allongée, inconsciente, dans une grande tunique bleuâtre et une coiffe élastiquée de la même couleur pastel, avec des tuyaux et des fils de capteurs émergeant de partout, une perfusion, des bip-bips, c’était impressionnant.
Elle était pâle, elle avait la bouche décolorée.

Carlos se dit que c’était d’elle un autre visage encore : à chaque fois qu’il la voyait, elle ne ressemblait pas à la femme qu’il avait vue auparavant, et pourtant c’était la même personne.
Il garda le silence.

La jeune femme en blouse blanche l’observa. C’était un beau mec, avec quelque chose de sombre et de viril un peu intemporel, genre… Lino Ventura, un truc comme ça, dans d’autres circonstances elle lui aurait bien fait un peu de charme, mais là ce n’était pas idéal.

— Si vous voulez vous asseoir… Vous… Je ne sais pas ce que vous êtes censé faire… Vous restez, en fait ?
— Oui, répondit Carlos en prenant place sur la seule chaise de la pièce qui n’était pas vraiment une chambre. Merci.
— Si vous voulez téléphoner, il faudra sortir, en revanche, quitter le service, redescendre à l’accueil, je compte sur vous, on a du matériel sensible… Si vous avez besoin de quelque chose, ou si Mme Frageau a une quelconque réaction, vous pouvez sonner avec la sonnette ici, ou me faire signe, je serais dans le coin.
— OK, je vous remercie, c’est gentil.
Elle lui fit un beau sourire que Carlos interpréta à sa juste valeur, et se sentant observée, la jeune interne prit plaisir à se retourner pour sortir de la chambre.

Carlos resta seul avec Irène inanimée.
Il se releva, observa en silence cette femme allongée, encore plus mystérieuse, il douta qu’un jour il puisse comprendre quelque chose.
Elle était belle une beauté sans fard et sans expression, elle était belle de l’absolue tranquillité qui aurait pu être la mort, mais toutes les machines prouvaient que la vie était là, au creux d’Irène qui en surface restait inerte, hors du monde.

Il se rassit, attendit, dans le climat étrange de cette chambre sans fenêtre avec ces appareils de mesure ronronnants, qui le berçaient de leurs bruits cadencés. C’était peut-être la boîte de son patron qui fabriquait ces trucs-là.
Il attendit, se releva, se rapprocha à nouveau du lit, contempla le visage d’Irène et sourit en pensant à la Belle au bois dormant.
Ça valait la peine d’essayer : il se pencha et déposa un baiser sur sa bouche molle et pâle, qu’elle trouva tiède et douce.
Il se redressa mais le conte de fée, c’était pas la réalité. Elle n’avait pas bougé.
Il eut un autre sourire, et se rassit.

Il se passa une heure, il attendait sans s’ennuyer, c’était reposant, en fait, il était à l’écart du mouvement. Et puis l’interne revint, souriante, ils discutèrent un peu tandis qu’elle faisait des examens, vérifiait des trucs.
— Elle ne réagit pas, vous avez essayé le coup du Prince charmant ? demanda l’interne.
— Oui, rigola Carlos, comment vous le savez ? Mais ça ne marche pas !
— Vous avez raison, elle est très jolie, votre patronne. Et vous êtes un sacré beau mec aussi.
Carlos sourit et hocha la tête pour saluer le compliment.
— Vous descendez déjeuner en bas ? le questionna-t-elle. Il y a des sandwiches, ce genre de trucs à emporter. Moi je mange dans mon petit cagibi, mais vous pouvez me rejoindre, si vous voulez. C’est à droite, au bout du couloir.
— Oui, peut-être, sourit Carlos, en s’interrogeant sur cette journée bizarre.
Il se demanda aussi pourquoi les femmes des professions médicales étaient parfois si directes.
Sans doute que le rapport sans ambages à l’essentiel, la vie, la mort, la souffrance, désinhibait et donnait envie de gagner du temps, en tout cas de ne pas en perdre.

Il savait aussi que sa fonction à lui, son métier, avant un effet troublant sur les gens, excitait les fantasmes : garde du corps, le terme même était étrangement évocateur, protection, danger, protection rapprochée…
Mais il n’avait pas franchement envie de fricoter avec une interne dans une clinique, c’était pas l’endroit ni le moment.
— Mais je n’ai pas le droit de m’éloigner trop, reprit-il, même pour… de bonnes raisons. S’il se passe un truc, je risque gros. C’est mon boulot, vous comprenez ?
— Je vois. Dommage, alors… rétorqua la jeune femme, avec un regard sans équivoque.

Elle sortit de la pièce, il attendit à nouveau, le temps passa.

Et puis l’interne revint, passa la tête par la porte et lui demanda s’il voulait qu’elle lui apporte quelque chose à manger, puisqu’il ne pouvait pas quitter son poste, ajouta-t-elle avec une pointe de raillerie.
Il accepta, lui donna un billet de vingt, et elle s’arrangea pour que leurs mains se touchent, lui lança un nouveau regard appuyé.
Elle lui faisait du rentre-dedans, et pas à moitié.
Ça l’amusait, c’était plutôt agréable, mais il n’avait pas l’esprit à cela.

Elle revint, avec un sac en plastique qu’elle lui tendit, avec la monnaie, à nouveau les mains se touchent.
Elle souriait encore, avait le regard aiguisé, elle le cherchait, le jaugeait, il s’efforça à l’impassibilité courtoise.

La jeune femme retourna contrôler les appareils, il se crut dégagé de son attention, mais elle lança :
— Votre patronne est inconsciente, vous n’avez rien à craindre. Je peux verrouiller la porte, si vous voulez, on peut prendre un petit quart d’heure pour nous…
Carlos ne sut que répondre à l’invite, déstabilisé, il se sentit rougir.
— Oooh heu… Vous y allez fort, répondit-il finalement d’une voix mal assurée, avec un regard surpris. Vous ne me demandez même pas… si j’ai quelqu’un…
— C’est le cas ? questionna-t-elle, un peu moqueuse, amusée par son trouble et la perte de ses moyens.
— Non, mais je crois… que je suis amoureux… d’elle ! répliqua t-il en désignant Irène allongée dans le lit.

La jeune interne eut un sourire différent, plus tendre, un peu intrigué.
— Vous croyez ? rigola-t-elle. Vous n’êtes même pas sûr ? Vous êtes un romantique, en fait ? Malgré votre boulot, et votre côté Lino Ventura…
— C’était un tendre, Lino Ventura, répliqua Carlos en souriant.
— En attendant, votre jolie patronne, elle est aux abonnés absents, et moi je suis là… pour passer un petit moment agréable ensemble, et… sans déclaration d’amour, conclut-elle avec un petit rire coquin. Je m’appelle Coralie.
— Carlos, répondit-il en sachant que cette réponse scellait leur accord.
— Je vais chercher des capotes, je reviens, ne te sauve pas, j’ai très envie.

Durant sa courte absence, Carlos pensa que la relation express qu’il avait eue avec Irène était aussi garantie sans amour.
Mais aujourd’hui ici avec celle qui s’appelait Coralie, c’était plus civilisé : on se présentait, on plaisantait, c’était juste libertin et osé, pas bestial et désenchanté.
Il regarda Irène dans le coma.
C’était bizarre, vraiment, tout cela, malsain, pourquoi se retrouvait-il embarqué dans ces relations pressées dans des endroits interdits, risqués, avec des témoins… plus ou moins actifs.
Ça marchait de travers, c’était des excès dont il n’avait pas besoin.
Est-ce que c’était lui qui provoquait cela, ou la présence d’Irène qui changeait la donne ?
Et à chaque fois, il se retrouvait à ne plus faire l’effort de réfléchir. Pas par lâcheté, non, pas parce qu’il était dépassé non plus : les choses se combinaient bizarrement, enflammant la réalité.

Il ressentait maintenant une sourde excitation qui augmenta quand Coralie passa la porte et la verrouilla.

— Pas de risques d’être surpris ? demanda-t-il.
— Aucun si on n’y passe pas des heures, répondit la jeune femme en le rejoignant, le regard vague mais planté dans le sien.
Il savait qu’elle savait qu’il se doutait qu’elle devait avoir déjà pratiqué ce genre de pause clandestine, mais elle assumait bien, apparemment, d’être une connaisseuse des cabrioles en milieu hospitalier et de savoir où trouver des préservatifs sans perdre de temps.
Efficace.
Il fut également efficace, essaya de sortir de son esprit le reste de la pièce, Irène à moitié morte avec ses tubes et ses machines, le reste du bâtiment, son frère et ses salles de sport, et s’empara doucement de la petite poitrine de Coralie à travers la blouse, un fantasme que ne pouvait pas se permettre de réaliser le commun des hommes, il fallait avoir séduit et intéressé la Belle, ses mains ouvertes se refermèrent sur l’arrondi joli, qu’il commença à peloter en embrassant la jeune femme, un baiser pressé, affamé, elle l’attirait contre elle en le tenant par les épaules, pas de temps à perdre, il déboutonna la blouse blanche entre les seins, pas de soutien-gorge, pas besoin, il lâcha sa bouche et se penchant couvrit sa poitrine de baisers en continuant à la caresser, tandis que la jeune femme commença à vouloir le débarrasser de sa veste. Elle ouvrit de grands yeux en découvrant le holster sur le côté de son torse, waow !

Il se mit à rire en voyant sa tête, elle l’embrassa en riant elle aussi, et le poussa sur sa chaise, il tomba assis et comprit ses intentions quand elle s’accroupit face à lui et sortit sans hésiter sa queue de son slip.
Elle le branla tendrement, sans se presser, il était ravi qu’elle prenne enfin un peu son temps…
Sa main était douce et précise, elle se pencha et sa bouche aussi fut douce et précise, sa langue agile l’excita, elle variait les rythmes, c’était une sacrément bonne suceuse.

Il eut un vertige et une bouffée de perplexité. Il savait que les femmes n’étaient pas en général des affamées, des excitées, qu’elles avaient des désirs plus indirects, nuancés, et bien souvent plus élégants que ceux des hommes… Mais là, il tombait sur des femmes qui n’hésitaient pas, esprit commando, oui : elles ne tournaient pas autour de la question et prenaient les commandes pour foncer.
Des exceptions ? Une nouvelle sorte de femmes qui réagissaient comme des mecs sans scrupules pour mieux arriver à leurs fins ?

Carlos n’avait pas franchement envie de vivre dans un film porno, il se sentait mal à l’aise, même si sa queue gobée par la bouche pleine de salive de Coralie ne se plaignait de rien, au contraire.
La jeune femme le relâcha lentement, il vit apparaître le sachet de préservatif (les femmes, cela ne changeait pas, savaient s’organiser) qu’elle déroula sur sa queue luisante qui vibrait, tendue.

Coralie se remit debout avec un sourire éclatant, il caressa ses belles cuisses, releva sa blouse, elle écarta sa culotte noire en Lycra et voulut apparemment s’asseoir sur lui mais il reprit un peu l’initiative et imposa sans qu’elle ne résiste le moins du monde une caresse préalable : se penchant en avant il déposa un baiser sur le haut de ses lèvres mouillées et odorantes de désir pressé, il lécha lentement son jus un peu gluant dans les plis dilatés et les poils collés, c’était délicieux et elle respirait fort en caressant ses cheveux noirs.

Puis il la regarda, le menton humide, elle avait la bouche entrouverte, sensuelle, elle maintint sa culotte écartée, il guida son sexe, elle s’empala précautionneusement sur lui, toute la longueur de sa queue glissa en elle, Coralie eut une expiration vibrante et embrassa Carlos à pleine bouche.
Il fut ému de ce cadeau, la bouche, le sexe, le baiser, le mouillé, même pour une dévoreuse d’hommes c’était un cadeau, le cadeau de soi, il ne voulait pas comparer mais cette étreinte était tellement plus sensuelle et généreuse que celle du parking au milieu des routiers gras qui attendaient de tirer leur coup !
Pas de déclaration d’amour dans cette salle de soins, mais des sentiments forts pour se serrer, pour creuser les reins les yeux dans les yeux, se murmurer que « c’est génial », dit-elle, il répondit « j’adore » à voix basse les doigts enserrant bien son cul qui bougeait délicieusement.
Ce n’était pas une performance, pas un suicide de l’intimité, au contraire : le secret de cette salle, pour jouir entre soi parce qu’on a super-envie l’un de l’autre, la poitrine à l’air et la culotte de travers.

Il suçota ses tétons sombres, c’était une fille du Sud, il ne savait pas de quel sud, et il aperçut son regard posé sur son pistolet automatique, eut envie de rire en repensant à cette scène absurde d’OSS117 où Jean Dujardin (enfin… son personnage) excite la Princesse il ne savait plus qui – jouée par Aure Attika – en jouant avec son flingue comme si c’était sa bite.
Ça marchait, le transfert, sa maîtresse mouillait et la présence imprévue de l’automatique participait à cet élan torride, éros et thanatos, chargé, déchargé, chargé, déchargé…

Et elle avec sa blouse blanche !
Ah ah ! Il lui manquait le stéthoscope, et elle n’avait pas une poitrine refaite et exubérante ni un porte-jarretelles rouge, et des talons aiguille de vingt centimètres mais à part ça… il eut un rire joyeux et contagieux, elle était belle avec son minois de souris et ses beaux sourcils, sa jolie bouche entrouverte, elle le serrait dans le conduit mouillé de son vagin, il reprit ses caresses de ses petits nichons adorables, elle accéléra et l’étreinte devint plus rude, brusque, elle eut des petits cris minuscules et aigus qui l’excitèrent vraiment, et il la prévint de l’imminence de sa jouissance, elle en mit un coup pour le rattraper, ça devint sauvage et très dense, pour les dernières secondes, et il retint comme il put son explosion, mais…
Mais…
Il bloqua son cri libératoire, et se figea, la maintenant serrée contre lui tandis que sa hampe avait un soubresaut venu du fond de son corps et délivrait sa première fusée liquide, et puis les autres sursauts, chargés de sperme qui restait prisonnier, mais l’effet était là : l’éruption par à-coups violents, tandis que son ventre à elle frissonnait de contractions de plaisir qu’elle avait libérées pour être avec lui dans cette émotion brûlante et brutale qu’elle avait bien cherchée, elle palpitait de tout cela, elle avait la chair de poule, ce mec était délicieux et émouvant, et elle avait bien aimé qu’il soit armé, c’était hyper-bizarre mais très très chaud, même si les flingues ne la faisaient pas du tout kiffer…
Mais là. Oui !

Les jouissances s’éteignirent doucement, le couple se regarda en souriant, un peu essoufflé et repu de ce bonheur-là.
Le reste était un peu ridicule, toujours, et venait toujours un peu gâcher le charme : se retirer, ôter ce truc plissé mouillé, la capote pleine, se rhabiller un peu, revenir sur terre.
Il n’y avait guère que l’amour qui permettait d’échapper à cela, quand on fait l’amour dans son lit avec son aimé(e) et qu’on s’endort l’un dans l’autre, dans l’ivresse qui suit la jouissance, emboîtés, enlacés.
Là, pas de douceur ni d’abandon, le temps presse…

Mais dans les yeux de Coralie, dans ceux de Carlos, de la tendresse d’avoir partagé cela, et l’envie chez chacun de dire merci, mais ça ne se fait pas, paraît-il, même si on n’est jamais sûr…
Il se releva, avec un léger vertige, se rhabilla, elle était opérationnelle comme si de rien n’était, près du lit elle vérifiait les appareils, les capteurs, les tubes, et elle lança d’une voix douce :
— On va la sortir de là… Elle est vraiment belle, c’est chouette que tu soies amoureux, elle a de la chance… Vous avez de la chance, Madame ! murmura-t-elle en riant, penchée vers le visage d’Irène.

Carlos ne sut que dire, c’était bizarre, formidable et tendre, mais bizarre, cette affirmation spontanée d’absence de rivalité possible, comme si elle disait « Je vous le rends, il est à vous… »
Perplexe Carlos regarda Coralie qui avait l’air heureux.

Elle but un peu de son Coca tandis qu’il mangeait son sandwich, ni l’un ni l’autre ne parlait, debout près du lit.
Et puis elle l’embrassa brièvement, lui dit :
— J’ai beaucoup aimé.
— Moi aussi, j’ai l’air bête, j’aimerais dire un truc formidable.
— Mais c’est formidable justement de dire ça ! rigola Coralie avant de quitter la salle avec des yeux rieurs.

Il attendit tout l’après-midi, sans s’ennuyer un seul instant, dans les bip-bips soporifiques des machines, il y eut deux fois des mouvements précipités et des échanges de voix stressés dans le couloir et à l’étage.
Carlos n’avait pas besoin de penser à quoi que ce soit.
Il scrutait régulièrement le visage inerte d’Irène.
Il était lié à elle. Pourquoi, comment, il ne savait pas, mais l’amour qu’il avait fait près d’elle avec cette fille espiègle et excitante participait à cela. Il tenait à Irène, c’était difficile à expliquer.

S’asseyant, il remarqua un sac plastique posé dans une sorte de rack sous le lit à roulettes. Il y en avait deux, en fait. Il les prit.
Dans le premier, il y avait une paire d’escarpins.
Dans l’autre, le tailleur et les sous-vêtements d’Irène, pas tout à fait bien pliés, il les sortit pour mieux les arranger, et il y avait son sac à main.
La culotte était très sexy, bien entendu, transparente en dentelle noire, pas un string mais très échancrée.
Carlos rangea soigneusement tout cela et après une hésitation, ouvrit son sac et en examina le contenu.

Il découvrit son iPhone dans un étui de cuir siglé qui devait valoir plus cher que le déjà très cher smartphone, il était éteint, un petit portefeuille chic, contenant sa carte d’identité et son permis, et des cartes de fidélité, ce genre de bricoles, son passeport, son étui de cartes bleues, plusieurs, elle avait du fric, des comptes différents sans doute fournis et du doré sur les cartes, une brosse de marque, de quoi se maquiller, et pour finir, ses clefs.
Il rangea tout cela, sauf les clefs qu’il mit dans sa poche.

À 19 h 39, il quitta la clinique en ayant glissé un baiser à Coralie qui l’avait rattrapé devant l’ascenseur, il reprit sa voiture, écouta quelques messages sur son mobile.

Il prit la direction de Colombes.
Il allait voir où Irène habitait, découvrir sa tanière, pour la découvrir elle, la deviner au cœur de sa vie, peut-être enfin la comprendre.
Auteur : Riga
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