Relisez le chapitre 11
CHAPITRE DOUZE : L’ACCIDENT
Quand je suis arrivée à la Fondation, ce matin-là, Jason m’attendait en piaffant ; à mon grand désarroi, il savait tout de mes avanies et était manifestement inquiet pour moi. Il s’est levé dès que je suis entrée et s’est approché ; mon cœur a battu plus vite tellement il était resplendissant dans son costume de lin paille qui le mettait particulièrement en valeur.
— Tu ne crois quand même pas que mon service de sécurité interviendrait sans être tenu de me faire un rapport ?
— Non, mais j’ai tellement honte...
— Tu n’as aucune raison d’avoir honte ; tu es tombée dans un piège bien rôdé tendu par le gardien et son fils. Ils ont fait chanter une vingtaine de filles avant toi et leur entreprise continuerait encore si Anita n’était pas intervenue. Tu as bien fait de la contacter, c’est son boulot.
— Oui. Je sais, mais j’ai été nulle...
— Je t’interdis de dire ça ; tu es vulnérable en ce moment, et par ma faute en plus. Je pense à un truc. Tu as arrêté le traitement établi par mon père ?
— Pas encore... Mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
— Ces produits aphrodisiaques à haute dose faussent peut-être et ta vigilance et ta clairvoyance. Je te propose donc de les arrêter. Tu n’as pas besoin de ça. Tu es une jeune femme enjouée et pleine de vie et ça me suffit.
Quand je suis arrivée à la Fondation, ce matin-là, Jason m’attendait en piaffant ; à mon grand désarroi, il savait tout de mes avanies et était manifestement inquiet pour moi. Il s’est levé dès que je suis entrée et s’est approché ; mon cœur a battu plus vite tellement il était resplendissant dans son costume de lin paille qui le mettait particulièrement en valeur.
— Tu ne crois quand même pas que mon service de sécurité interviendrait sans être tenu de me faire un rapport ?
— Non, mais j’ai tellement honte...
— Tu n’as aucune raison d’avoir honte ; tu es tombée dans un piège bien rôdé tendu par le gardien et son fils. Ils ont fait chanter une vingtaine de filles avant toi et leur entreprise continuerait encore si Anita n’était pas intervenue. Tu as bien fait de la contacter, c’est son boulot.
— Oui. Je sais, mais j’ai été nulle...
— Je t’interdis de dire ça ; tu es vulnérable en ce moment, et par ma faute en plus. Je pense à un truc. Tu as arrêté le traitement établi par mon père ?
— Pas encore... Mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
— Ces produits aphrodisiaques à haute dose faussent peut-être et ta vigilance et ta clairvoyance. Je te propose donc de les arrêter. Tu n’as pas besoin de ça. Tu es une jeune femme enjouée et pleine de vie et ça me suffit.
J’ai soupiré, débarrassée d’un grand poids sur l’estomac. Bon,
il n’est pas toujours le méchant con qui me donne envie de le gifler.
Il peut être gentil, attentionné. Et craquant ; mais ça, il l’est
naturellement.
— Je n’ai pas pris de gélule depuis vendredi,
en fait, je comptais recommencer aujourd’hui, mais... Ce matin, j’étais
un peu perturbée et j’ai oublié.
— Encore une fois, c’est toi qui
décide, mais tu as mon soutien. Tu manges avec moi ce midi ? Ma Pacer
sort de révision, elle a envie que tu poses tes jolies fesses sur son
cuir.
— C’est gentil, je veux bien. Pour mes fesses, elles n’ont rien de joli actuellement, vous savez.
—
Je me réserve le droit d’en juger par moi-même. Et je suis tout sauf
gentil. Borné, autoritaire, têtu et casse-pieds, mais pas gentil.
— Ah bon ? Vous êtes casse-pieds aussi ? Je ne savais pas.
— Touché.
Je
savais que Jason prenait sur lui pour me montrer une visage avenant,
évitant de se montrer trop directif. Oh, il avait du mal, parfois son
naturel reprenait le dessus ; alors il respirait un grand coup,
regardait le plafond, ou se mordait furieusement la lèvre inférieure. Ce
geste en particulier me rendait folle ; j’aurais voulu la mordre, cette
lèvre, l’aspirer dans ma bouche et la mâchouiller jusqu’à ce qui rende
les armes et me prenne dans ses bras.
Sa tante Callie m’a
appelée un peu avant midi et m’a conduite dans une cafétéria de North
Miami. Heureusement, elle ne savait rien de mes déboires et se contenta
de discuter gentiment de Jason, puis de me questionner sur mes centres
d’intérêts, mes espérances, la profession que je souhaitais exercer.
—
Dieu merci, j’ai vu tout de suite que tu n’étais pas une de ces grues
qui tournent autour de Jason juste pour son argent. Tu as les yeux d’une
pureté et d’une candeur presque dérangeante, quand comme moi on est
habituée à côtoyer des requins.
— Merci, mais je ne suis pas un ange, j’ai des envies, des désirs.
—
Bien sûr, ce serait malheureux autrement ; tu as dix-huit ans et tu es
pleine de vie. Tu sais, je lis toutes tes émotions sur ton visage. Tu
aimes Jason d’un amour pur, tu souffres aussi. La vie est dure, Steph ;
les gens autour de Jason ne sont pas tous recommandables malgré leurs
costumes de marque et leur voiture de luxe. Tu as des soucis ?
— J’ai… J’ai posé un ultimatum à Jason ; je lui ai demandé de clarifier ma situation, de faire preuve d’égards…
— Il t’a manqué de respect ?
— Joker. Je ne veux pas revenir là-dessus. Mais je partirai dimanche si… Pardon.
Je
parvins de justesse à éviter l’humiliation de pleurer mais je ne
pouvais plus que serrer les dents, incapable d’articuler la moindre
syllabe.
— Steph, je suis là, tu as mes coordonnées, tu peux me
joindre et je ne te laisserai pas tomber, quoi que Jason te dise ou te
fasse.
Quand Callie m’a déposée devant la Fondation, elle est
sortie de sa voiture pour me serrer dans ses bras et m’embrasser avec
tant d’amour à donner que j’ai reniflé, la larme à l’œil.
— Pense à moi ; tu n’as pas eu une enfance facile, toi. Au moindre souci, je serai là pour toi.
Le
mardi midi, nous sommes allés manger sur Belle Ile. Cette toute petite
île côté Biscayne Bay ne peut être ralliée qu’en passant par Venetian
Causeway, un des cinq grands ponts traversant Biscayne Bay pour relier
Miami Beach au continent, celui-ci étant plus étroit et moins fréquenté
que les autres.; le Lido Restaurant est un des meilleurs restaurants de
fruits de mer de Miami. Malgré la chaleur presque suffocante ce jour-là,
j’ai insisté pour rester en terrasse sous un grand auvent ;
heureusement, une brise soutenue m’a donné raison et notre déjeuner a
été une réussite. Tant sur le plan de la nourriture, un tourteau
délicieux, cuit à la vapeur et servi décortiqué, accompagné d’une sauce garlic-ginger-chili, soit ail-gingembre-piment à réveiller un mort, que sur le plan de l’ambiance.
Jason
a présenté un visage serein et serviable, sans aucune saute d’humeur ni
remarque acerbe dont il a le secret ; il s’est comporté en parfait
gentleman et chevalier servant, me captivant avec des anecdotes sur ses
années de football à l’université, son baptême de plongée, son seul et
unique saut à l’élastique d’un viaduc du Colorado. J’ai ri comme je ne
pensais plus pouvoir le faire jamais.
Le mardi soir, Jason m’a
demandé de passer la nuit avec moi. Il m’a demandé, il ne s’est pas
imposé ; ce distinguo m’a fait fondre. Je l’ai invité à venir dîner à
mon appartement et il est arrivé un peu avant 19 heures avec un immense
bouquet de rose, si imposant que j’ai dû réquisitionner tous les vases
dont je disposais.
— Elles sont magnifiques, merci, j’adore les roses. Mmm, et leur parfum est enivrant.
— Et toi, tu es ensorcelante dans cette tenue disons, suggestive.
— Vous l’aimez ? Je la porte pour vous...
Il
m’a attirée contre lui et a embrassé mon front ; en riant je lui ai
échappé en virevoltant dans mes ballerines blanches. Ma nuisette blanche
en fine dentelle a tourbillonné et dévoilé mes fesses encore marquées.
Quand je me suis immobilisée, les yeux de Jason lançaient des éclairs,
il était furieux. Mon cœur marqua un temps, affolé, avant que je me
rende compte que ce n’était pas contre moi qu’il était en colère, mais
contre le salaud qui m’avait battue.
— Le fumier, je lui ferai la peau pour avoir osé te frapper ainsi ; tu as dû souffrir, ma petite.
— C’est du passé ; oubliez comme je m’efforce de le faire. Venez ; vous avez faim ?
— Oui, j’ai une faim de loup. Et le loup va te dévorer, mon enfant.
— Je vous attends, Monsieur. Je n’attends que ça, avant ou après le repas.
—
Au diable le repas ! Pardon, tu t’es sûrement donné du mal pour me
recevoir, c’était mal placé. Disons plutôt : avant et après le repas.
Je
lui ai souri et, lentement, j’ai fait glisser ma nuisette en dégageant
les épaules ; elle s’est bloquée sur ma poitrine gonflée par le désir,
je l’ai libérée et elle est tombée en corolle sur mes pieds. Il a arboré
un visage conquérant et fiévreux mais s’est quand même fendu d’un
sourire et d’un hochement de tête approbateur.
Dans la chambre je
l’ai déshabillé lentement, pliant ses vêtements avec soin, posant même
sa veste sur un cintre et la rangeant dans ma penderie. Puis je me suis
agenouillée sur un coussin pour protéger mes genoux douillets (le fruit
de l’expérience !) et les yeux dans les yeux de Jason, j’ai avalé sa
hampe rigide jusqu’à ce que mes lèvres entourent sa base. Il a hoqueté
et gémi distinctement, m’encourageant à poursuivre, d’autant que ses
mains se sont posées sur ma nuque. Pour me guider autant que pour
m’empêcher de reculer.
Reculer ? Je n’en avais pas du tout envie,
je voulais lui faire rendre les armes, je voulais qu’il se libère dans
ma bouche avide, je voulais que sa verge soit toute à moi, avec tout ce
qui était autour. Car cet homme exaspérant, qui me faisait tourner en
bourrique et me mettait le cœur en lambeau, cet homme là, je l’aimais.
Je le regardai de bas en haut dans cette position inconfortable et
compris qu’à cet instant il était mon prisonnier, il n’était plus que
cette verge épaisse entre mes lèvres.
Ses yeux noirs brillants,
sa bouche crispée qui retenait ses gémissements, les ailes de son nez
qui frémissaient, tout me disait qu’il ne vivait plus que pour son
membre engorgé de sang. ; j’ai saisi ses fesses à pleines mains et l’ai
encouragé à se mouvoir, à posséder ma bouche, ma gorge. Il a commencé
lentement mais avec une amplitude maximum, ressortant complètement de ma
bouche pour s’enfoncer ensuite d’une poussée rectiligne. Je n’ai pu
empêcher les larmes de couler sur mes joues, mais je n’ai pas cherché un
instant à échapper à cette éprouvante pénétration. Jason baisait ma
bouche, il tremblait de plus en plus et soudain, dans un cri rauque, il
s’est vidé sur ma langue.
J’ai eu du mal à boire toute la semence
dont il m’a gratifiée, mais j’ai quand même réussi. Je me suis reculée
enfin pour adresser un sourire éclatant au superbe mâle qui me dominait
de toute sa taille.
— Merci, Steph ; ta technique peut être
qualifiée de perfectible, mais tu manifestes un enthousiasme et une
fougue dignes d’éloges.
— Je vous remercie, Monsieur. J’ai bien retenu vos leçons. Et maintenant, vous allez bien vous occuper de moi ?
— Cette nuit qui vient, tu t’en souviendras toute ta vie, je t’en fais le serment, ma belle.
Il avait raison, mais il ne pouvait savoir à quel point. Hélas. C’est
ma dernière nuit d’amour et je n’en sais rien encore, mais peu après le
monde s’est écroulé autour de moi. Il n’en reste plus que décombres.
Nous
avons fait l’amour dans la chambre et dans la salle de bains, puis à
nouveau dans la chambre ; Jason s’est montré doux et prévenant quand il
le fallait, me caressant avec ses doigts et sa bouche jusqu’à ce que
mon corps convulse et se torde de plaisir. Et il s’est montré
dominateur, à la limite de la brutalité, me prenant à sa guise, usant de
tous mes orifices avec une telle fougue que je savais que le lendemain
j’aurais des douleurs musculaires partout.
— Donne-toi, blondie, tu
peux faire mieux que ça. Offre-toi que je puisse te prendre plus profond
; tu vois que ton ventre s’habitue à moi, tu me prends en entier
maintenant.
— Oui, vous voyez, moi aussi je m’améliore…
Je lui
cachai la douleur sourde au fond de mon sexe, quand il pénétrait trop
profondément ; mais cette douleur faisait partie intégrante de mon
offrande, elle participait du plaisir ressenti à me donner au-delà de
moi. Cette nuit, je lui ai offert corps et âme et il a tout pris. Il m’a
fait jouir quand il a voulu et autant de fois qu’il a voulu. Et j’ai
dormi dans ses bras pour la deuxième fois. Pour la dernière fois.
Le
matin, quand le radioréveil a lancé « I got you, babe » de Sonny and
Cher, j’étais nichée bien au chaud, la joue sur l’épaule de Jason ;
j’aurais apprécié que ce jour soit sans fin. Il s’est arrêté le midi,
quand nous sommes passés sur Venetian Causeway pour rejoindre le Lido
restaurant de Belle Ile.
Le Hummer jaune couvert de drapeaux
confédérés qui nous suivait depuis la 15ème rue nous a doublés. J’avais
vu deux gros quadragénaires aux cheveux filasse nous insulter à un feu
tricolore, nous faire des gestes obscènes, à Jason et à moi , le black
et la blonde. Les jointures blanchies à force d’être crispées sur le
tableau de bord, j’ai chuchoté à Jason que ça n’avait pas d’importance
et il a continué à rouler sans répondre aux provocations des deux
abrutis. Quand ils ont déboîté et sont arrivés à notre hauteur par la
gauche, la musique des Lynyrd Skynyrd, ce groupe de Floride adulé par
les racistes, a envahi jusqu’à notre habitacle. « Sweet Home Alabama »,
la chanson que le Klan revendiquait.
Tout a dérapé en un instant
quand le gros Hummer nous a percutés de son flanc aussi haut que celui
d’un camion. Notre Pacer est partie contre la barrière de sécurité dans
un bruit atroce de métal torturé. J’ai valdingué et ressenti une
première douleur fulgurante dans l’épaule droite, la barrière a dû céder
car notre véhicule a basculé lentement sur la droite. Le temps s’est
arrêté, j’ai vu Jason inconscient, du sang sur le visage, le jaune du
Hummer derrière la vitre conducteur. Puis nous sommes tombés.
Pas
un bruit, notre moteur avait calé. Puis la claque de la Pacer frappant
l’eau dix mètres plus bas. Une douleur immense dans mon épaule blessée
et j’ai dû perdre conscience quelques secondes seulement, car quand j’ai
ouvert les yeux la Pacer s’était redressée et commençait à peine à
plonger par l’avant. Mais dix secondes plus tard elle avait coulé pour
se poser au fond dans un nuage de vase.
Une eau froide et trouble
a envahi rapidement l’habitacle ; j’ai tâtonné pour défaire ma ceinture
de sécurité puis celle de Jason qui restait immobile, sa tête penchée
en avant ruisselant de sang. J’ai essayé d’ouvrir ma portière de la main
gauche mais je réalisai bien vite que les tôles étaient trop froissées,
alors je me suis mise en biais pour cogner la vitre avec mes pieds.
Fort, fort, ignorant la douleur dans mes talons nus. J’avais la tête
contre le torse de Jason et l’eau me recouvrait complètement quand la
vitre s’est désintégrée en petites billes qui sont revenues vers moi
avec l’eau saumâtre qui finit de chasser la dernière bulle d’air.
Heureusement
que la Pacer a des vitres immenses sinon jamais je n’aurais pu faire
passer les épaules et le torse de Jason, diminuée comme je l’étais par
mes blessures. Mais j’ai mis longtemps à y arriver ; mon entraînement de
nageuse nous a sauvé la vie mais j’étais au bord de la syncope en
émergeant, le corps inerte de mon amant et patron collé contre moi par
mon bras valide sous son aisselle.
Là haut, c’était la cacophonie
; des gens criaient, penchés sur le vide ; des klaxons retentissaient,
des sirènes de police et de pompiers approchaient. J’ai nagé en cercle,
épuisée et à peine lucide tellement j’avais mal dans mon épaule. Et
Jason inerte et ensanglanté…
— Tu n’as pas le droit de
m’abandonner, Jason ! Je t’aime, tu entends, je t’aime ! Je veux vivre
avec toi jusqu’à la fin de mes jours, porter tes enfants. Je veux pas
que tu meures maintenant !
Une éternité s’est écoulée avant que
les secours interviennent ; un quart d’heure en fait, les quinze minutes
les plus longues de mon existence. Deux hommes ont plongé, ont passé un
baudrier relié à un câble autour du torse de Jason pour le hisser, puis
ce fut mon tour, j’ai souffert le martyre quand je suis remontée
suspendue au câble. J’ai même perdu connaissance à un moment car je me
suis retrouvée allongée dans une ambulance qui roulait au son lancinant
de sa sirène. Un infirmier m’a fait une injection, posé une perfusion,
et je me suis endormie.
Les jours suivants, j’ai été dans le
cirage complet. En fait mon absence a duré six jours. Le septième jour
j’ai ouvert les yeux et contemplé le plafond blanc, les murs blancs, les
stores de la fenêtre, ceci sans repartir aussitôt dans le noir, et j’ai
compris que j’étais tirée d’affaire. J’ai touché mon épaule droite de
la main gauche : elle était couverte d’un épais bandage, mon crâne
aussi, mais je ne me souvenais pas d’un blessure à la tête. Une coque
surélevait le drap au niveau de mes pieds qui m’ont parus lourds. Mais
je ne pouvais pas remuer trop à cause du cathéter posé sur mon
avant-bras gauche. Sommeil…
Plus tard, quand je me suis à nouveau
réveillée, Callie était assise à côté de moi. Elle s’est levée pour
caresser mon bras avant de m’embrasser sur la joue.
— Callie, comment va Monsieur Fishburne. Jason. Comment…
—
Shhh. Doucement, ne bouge pas. Tu as été blessée, gravement. Jason est
toujours dans le coma, Steph. Il a subi un gros trauma cérébral et
peut-être aussi un manque d’oxygène ; il a été réanimé de justesse. Ne
pleure pas, je t’en supplie. Tu as fait tout ce que tu as pu, les
sauveteurs ne comprennent pas comment tu a réussi à l’extraire de la
voiture en brisant une vitre dans l’état où tu étais. Jason te dois une
fière chandelle.
— Mais s’il est toujours dans le coma, c’est pas normal, je n’ai pas réussi à le sauver.
—
Steph, tu as dix-huit points de suture sur le crâne, plus de trente sur
l’épaule droite. Ton acromion est brisé, ta clavicule en miettes et
même ton omoplate est fracturée. Plus des fractures multiples sous les
pieds ; tu es une miraculée, et Jason s’en tirera si Dieu le veut.
Elle a dû comprendre que je ne pensais pas que Dieu remuerait le petit doigt pour nous car elle a souri tristement.
—
Je ne crois plus en Dieu ; j’ai vu trop de malheur, de noirceur dans ma
vie. Mais je prie pour mon Jason ; je n’ai pas eu d’enfant et je
l’aime, ce petit con.
Moi aussi, je l’aime, Ce petit con au
physique de rêve, au cœur meurtri, à la voix de crooner, aux yeux si
pleins de vie. Ses yeux… Des larmes coulaient sur ses joues sombres
mais elle ne fit pas un geste pour les essuyer. Elle tapota mon bras et
eut un sourire triste qui me serra le cœur.
— Tu as été opérée
pendant plus de quatre heures, tu mettras longtemps à récupérer
pleinement ton épaule ; le médecin qui t’a opérée est dubitatif sur ta
capacité à refaire un jour du sport de compétition. Tu auras de jolies
cicatrices, en plus ; mais c’est un excellent chirurgien et je suis sûre
qu’il a fait du bon travail.
— Merci, Callie. Merci.
Je suis
sortie de l’hôpital le 14 août seulement, sans avoir pu voir Jason qui
avait été transféré dans une clinique privée. Anita m’a conduite chez
moi et s’est installée pour m’aider et surtout me remonter le moral.
Elle m’avait veillée en alternance avec Callie, qui m’appelait tous les
jours pour me donner des nouvelles de Jason et prendre des miennes.
Jason restait dans le coma, situation inchangée.
Le trente août,
alors que la rentrée universitaire approchait, j’ai été convoquée par Mr
Fishburne senior qui m’a fait attendre une heure devant la porte de son
bureau. Il m’a reçu avec la morgue qui le caractérise et une froideur
extrême.
— Mademoiselle LeBlond, des rumeurs circulent affirmant
que vous avez sauvé Jason de la noyade. Je tiens à vous dire que si vous
n’aviez pas été là, à vous pavaner au bras de mon fils, il ne lui
serait rien arrivé. C’est par votre faute que ces deux imbéciles se sont
attaqués à la prunelle de mes yeux.
J’étais abasourdie,
atterrée. Il m’accusait d’être à l’origine de l’accident, ce salopard.
J’étais debout en face de lui avec une béquille pour soulager mes talons
abîmés, l’épaule et le bras droits en écharpe, le crâne rasé comme un
GI. Et ce connard qui m’accusait d’avoir presque tué Jason. Je bouillais
de rage. Du calme, petit mec, du calme. C’est le père de Jason, ne réponds pas, laisse couler. Et n’oublie pas.
— Monsieur, j’obéissais aux ordres de votre fils en l’accompagnant dans sa voiture, rien de plus.
— Je n’en ai rien à foutre, imbécile. Par ta faute, je suis presque orphelin.
— Jason va s’en tirer, j’en suis sûre.
—
Ah ! Tu l’appelles Jason maintenant ? Tu espérais l’épouser et lui
voler son argent, bien sûr. Comme toutes les traînées qui tournent
autour de lui.
— Non, ce n’est pas vrai…
— Tais-toi. Puisque Jason
ne peut plus te faire travailler, je vais te prendre à mon service
exclusif à compter de demain matin. Je te veux dans mon bureau à 9
heures. Nue, parfumée, cette cravache entre les dents. Pour une traînée
comme toi, c’est un travail dans tes cordes.
Je me suis raidie, épouvantée. Il a compris à mon expression horrifiée que je refuserais car il a ajouté aussitôt :
—
Réfléchis bien, car sinon je coupe les vivres. Plus d’appartement, de
voiture, de carte Visa ; pour l’université, tu peux tirer une croix
dessus ; je bloque ton compte et je t’envoie la facture de tout ce qui a
été réglé pour toi. Et il y en a pour cher.
— Vous êtes sérieux ? Vous êtes un salaud. Un beau salaud. Je refuse, bien sûr.
—
Sors d’ici ; tu es virée. Je suis gentil, je te laisse jusqu’à demain
pour remettre tes clés à mon agent qui te remettra la facture de ce que
tu dois à la Fondation. Ne t’approches plus jamais de ma famille. Si tu
essaies de voir mon fils, je te ferai arrêter. Laisse-moi ton téléphone,
ça aussi c’est fini, ces messes basses avec Callie dans mon dos.
— Fumier. Gros connard !
Je
lui ai jeté le téléphone à la tête mais l’ai raté d’un bon mètre, et je
suis sortie en clopinant du bureau, désespérée. Jason. Je ne le
reverrais plus. La clinique m’était déjà interdite, il ne me restait
qu’à partir loin. Pour aller où ? Je n’en savais rien. Anita était
partie deux jours auparavant en Californie, au Pendleton Camp près de
San Diego. Elle ne pouvait plus m’aider ; j’étais seule à nouveau,
complètement seule.
J’ai retiré de l’argent liquide à un distributeur
automatique jusqu’à atteindre mon plafond autorisé, six-cents dollars. A
l’appartement, j’ai bourré mon plus grand sac de sport de vêtements
puis je suis partie en laissant la porte ouverte. Sans un regard ; sinon
je me serais effondrée.
Je suis allée à la gare routière, là
j’ai laissé la Toyota en évidence sur le parking public avec la clé
posée sur le pneu arrière gauche. J’ai pris le premier bus qui partait,
un Greyhound qui traversait d’est en ouest. Je me suis contrainte à ne
pas regarder derrière moi cette ville où j’ai vu le jour, où je me suis
nourrie d’espérances, où j’ai tout perdu.
Pleure pas, petit mec, pleure pas.
Auteur : Matt Démon
Cette série est suivie de la série "San Francisco Blues"
Cette série est suivie de la série "San Francisco Blues"
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