lundi 20 juillet 2015

Miami District (12)

Relisez le chapitre 11
CHAPITRE DOUZE : L’ACCIDENT

Quand je suis arrivée à la Fondation, ce matin-là, Jason m’attendait en piaffant ; à mon grand désarroi, il savait tout de mes avanies et était manifestement inquiet pour moi. Il s’est levé dès que je suis entrée et s’est approché ; mon cœur a battu plus vite tellement il était resplendissant dans son costume de lin paille qui le mettait particulièrement en valeur.
— Tu ne crois quand même pas que mon service de sécurité interviendrait sans être tenu de me faire un rapport ?
— Non, mais j’ai tellement honte...
— Tu n’as aucune raison d’avoir honte ; tu es tombée dans un piège bien rôdé tendu par le gardien et son fils. Ils ont fait chanter une vingtaine de filles avant toi et leur entreprise continuerait encore si Anita n’était pas intervenue. Tu as bien fait de la contacter, c’est son boulot.
— Oui. Je sais, mais j’ai été nulle...
— Je t’interdis de dire ça ; tu es vulnérable en ce moment, et par ma faute en plus. Je pense à un truc. Tu as arrêté le traitement établi par mon père ?
— Pas encore... Mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
— Ces produits aphrodisiaques à haute dose faussent peut-être et ta vigilance et ta clairvoyance. Je te propose donc de les arrêter. Tu n’as pas besoin de ça. Tu es une jeune femme enjouée et pleine de vie et ça me suffit.

J’ai soupiré, débarrassée d’un grand poids sur l’estomac. Bon, il n’est pas toujours le méchant con qui me donne envie de le gifler. Il peut être gentil, attentionné. Et craquant ; mais ça, il l’est naturellement.

— Je n’ai pas pris de gélule depuis vendredi, en fait, je comptais recommencer aujourd’hui, mais... Ce matin, j’étais un peu perturbée et j’ai oublié.
— Encore une fois, c’est toi qui décide, mais tu as mon soutien. Tu manges avec moi ce midi ? Ma Pacer sort de révision, elle a envie que tu poses tes jolies fesses sur son cuir.
— C’est gentil, je veux bien. Pour mes fesses, elles n’ont rien de joli actuellement, vous savez.
— Je me réserve le droit d’en juger par moi-même. Et je suis tout sauf gentil. Borné, autoritaire, têtu et casse-pieds, mais pas gentil.
— Ah bon ? Vous êtes casse-pieds aussi ? Je ne savais pas.
— Touché.

Je savais que Jason prenait sur lui pour me montrer une visage avenant, évitant de se montrer trop directif. Oh, il avait du mal, parfois son naturel reprenait le dessus ; alors il respirait un grand coup, regardait le plafond, ou se mordait furieusement la lèvre inférieure. Ce geste en particulier me rendait folle ; j’aurais voulu la mordre, cette lèvre, l’aspirer dans ma bouche et la mâchouiller jusqu’à ce qui rende les armes et me prenne dans ses bras.

Sa tante Callie m’a appelée un peu avant midi et m’a conduite dans une cafétéria de North Miami. Heureusement, elle ne savait rien de mes déboires et se contenta de discuter gentiment de Jason, puis de me questionner sur mes centres d’intérêts, mes espérances, la profession que je souhaitais exercer.

— Dieu merci, j’ai vu tout de suite que tu n’étais pas une de ces grues qui tournent autour de Jason juste pour son argent. Tu as les yeux d’une pureté et d’une candeur presque dérangeante, quand comme moi on est habituée à côtoyer des requins.
— Merci, mais je ne suis pas un ange, j’ai des envies, des désirs.
— Bien sûr, ce serait malheureux autrement ; tu as dix-huit ans et tu es pleine de vie. Tu sais, je lis toutes tes émotions sur ton visage. Tu aimes Jason d’un amour pur, tu souffres aussi. La vie est dure, Steph ; les gens autour de Jason ne sont pas tous recommandables malgré leurs costumes de marque et leur voiture de luxe. Tu as des soucis ?
— J’ai… J’ai posé un ultimatum à Jason ; je lui ai demandé de clarifier ma situation, de faire preuve d’égards…
— Il t’a manqué de respect ?
— Joker. Je ne veux pas revenir là-dessus. Mais je partirai dimanche si… Pardon.

Je parvins de justesse à éviter l’humiliation de pleurer mais je ne pouvais plus que serrer les dents, incapable d’articuler la moindre syllabe.

— Steph, je suis là, tu as mes coordonnées, tu peux me joindre et je ne te laisserai pas tomber, quoi que Jason te dise ou te fasse.

Quand Callie m’a déposée devant la Fondation, elle est sortie de sa voiture pour me serrer dans ses bras et m’embrasser avec tant d’amour à donner que j’ai reniflé, la larme à l’œil.

— Pense à moi ; tu n’as pas eu une enfance facile, toi. Au moindre souci, je serai là pour toi.

Le mardi midi, nous sommes allés manger sur Belle Ile. Cette toute petite île côté Biscayne Bay ne peut être ralliée qu’en passant par Venetian Causeway, un des cinq grands ponts traversant Biscayne Bay pour relier Miami Beach au continent, celui-ci étant plus étroit et moins fréquenté que les autres.; le Lido Restaurant est un des meilleurs restaurants de fruits de mer de Miami. Malgré la chaleur presque suffocante ce jour-là, j’ai insisté pour rester en terrasse sous un grand auvent ; heureusement, une brise soutenue m’a donné raison et notre déjeuner a été une réussite. Tant sur le plan de la nourriture, un tourteau délicieux, cuit à la vapeur et servi décortiqué, accompagné d’une sauce garlic-ginger-chili, soit ail-gingembre-piment à réveiller un mort, que sur le plan de l’ambiance.

Jason a présenté un visage serein et serviable, sans aucune saute d’humeur ni remarque acerbe dont il a le secret ; il s’est comporté en parfait gentleman et chevalier servant, me captivant avec des anecdotes sur ses années de football à l’université, son baptême de plongée, son seul et unique saut à l’élastique d’un viaduc du Colorado. J’ai ri comme je ne pensais plus pouvoir le faire jamais.

Le mardi soir, Jason m’a demandé de passer la nuit avec moi. Il m’a demandé, il ne s’est pas imposé ; ce distinguo m’a fait fondre. Je l’ai invité à venir dîner à mon appartement et il est arrivé un peu avant 19 heures avec un immense bouquet de rose, si imposant que j’ai dû réquisitionner tous les vases dont je disposais.

— Elles sont magnifiques, merci, j’adore les roses. Mmm, et leur parfum est enivrant.
— Et toi, tu es ensorcelante dans cette tenue disons, suggestive.
— Vous l’aimez ? Je la porte pour vous...

Il m’a attirée contre lui et a embrassé mon front ; en riant je lui ai échappé en virevoltant dans mes ballerines blanches. Ma nuisette blanche en fine dentelle a tourbillonné et dévoilé mes fesses encore marquées. Quand je me suis immobilisée, les yeux de Jason lançaient des éclairs, il était furieux. Mon cœur marqua un temps, affolé, avant que je me rende compte que ce n’était pas contre moi qu’il était en colère, mais contre le salaud qui m’avait battue.

— Le fumier, je lui ferai la peau pour avoir osé te frapper ainsi ; tu as dû souffrir, ma petite.
— C’est du passé ; oubliez comme je m’efforce de le faire. Venez ; vous avez faim ?
— Oui, j’ai une faim de loup. Et le loup va te dévorer, mon enfant.
— Je vous attends, Monsieur. Je n’attends que ça, avant ou après le repas.
— Au diable le repas ! Pardon, tu t’es sûrement donné du mal pour me recevoir, c’était mal placé. Disons plutôt : avant et après le repas.

Je lui ai souri et, lentement, j’ai fait glisser ma nuisette en dégageant les épaules ; elle s’est bloquée sur ma poitrine gonflée par le désir, je l’ai libérée et elle est tombée en corolle sur mes pieds. Il a arboré un visage conquérant et fiévreux mais s’est quand même fendu d’un sourire et d’un hochement de tête approbateur.

Dans la chambre je l’ai déshabillé lentement, pliant ses vêtements avec soin, posant même sa veste sur un cintre et la rangeant dans ma penderie. Puis je me suis agenouillée sur un coussin pour protéger mes genoux douillets (le fruit de l’expérience !) et les yeux dans les yeux de Jason, j’ai avalé sa hampe rigide jusqu’à ce que mes lèvres entourent sa base. Il a hoqueté et gémi distinctement, m’encourageant à poursuivre, d’autant que ses mains se sont posées sur ma nuque. Pour me guider autant que pour m’empêcher de reculer.

Reculer ? Je n’en avais pas du tout envie, je voulais lui faire rendre les armes, je voulais qu’il se libère dans ma bouche avide, je voulais que sa verge soit toute à moi, avec tout ce qui était autour. Car cet homme exaspérant, qui me faisait tourner en bourrique et me mettait le cœur en lambeau, cet homme là, je l’aimais. Je le regardai de bas en haut dans cette position inconfortable et compris qu’à cet instant il était mon prisonnier, il n’était plus que cette verge épaisse entre mes lèvres.

Ses yeux noirs brillants, sa bouche crispée qui retenait ses gémissements, les ailes de son nez qui frémissaient, tout me disait qu’il ne vivait plus que pour son membre engorgé de sang. ; j’ai saisi ses fesses à pleines mains et l’ai encouragé à se mouvoir, à posséder ma bouche, ma gorge. Il a commencé lentement mais avec une amplitude maximum, ressortant complètement de ma bouche pour s’enfoncer ensuite d’une poussée rectiligne. Je n’ai pu empêcher les larmes de couler sur mes joues, mais je n’ai pas cherché un instant à échapper à cette éprouvante pénétration. Jason baisait ma bouche, il tremblait de plus en plus et soudain, dans un cri rauque, il s’est vidé sur ma langue.

J’ai eu du mal à boire toute la semence dont il m’a gratifiée, mais j’ai quand même réussi. Je me suis reculée enfin pour adresser un sourire éclatant au superbe mâle qui me dominait de toute sa taille.

— Merci, Steph ; ta technique peut être qualifiée de perfectible, mais tu manifestes un enthousiasme et une fougue dignes d’éloges.
— Je vous remercie, Monsieur. J’ai bien retenu vos leçons. Et maintenant, vous allez bien vous occuper de moi ?
— Cette nuit qui vient, tu t’en souviendras toute ta vie, je t’en fais le serment, ma belle.

Il avait raison, mais il ne pouvait savoir à quel point. Hélas. C’est ma dernière nuit d’amour et je n’en sais rien encore, mais peu après le monde s’est écroulé autour de moi. Il n’en reste plus que décombres.

Nous avons fait l’amour dans la chambre et dans la salle de bains, puis à nouveau dans la chambre ; Jason s’est montré doux et prévenant quand il le fallait, me caressant avec ses doigts et sa bouche jusqu’à ce que mon corps convulse et se torde de plaisir. Et il s’est montré dominateur, à la limite de la brutalité, me prenant à sa guise, usant de tous mes orifices avec une telle fougue que je savais que le lendemain j’aurais des douleurs musculaires partout.
— Donne-toi, blondie, tu peux faire mieux que ça. Offre-toi que je puisse te prendre plus profond ; tu vois que ton ventre s’habitue à moi, tu me prends en entier maintenant.
— Oui, vous voyez, moi aussi je m’améliore…

Je lui cachai la douleur sourde au fond de mon sexe, quand il pénétrait trop profondément ; mais cette douleur faisait partie intégrante de mon offrande, elle participait du plaisir ressenti à me donner au-delà de moi. Cette nuit, je lui ai offert corps et âme et il a tout pris. Il m’a fait jouir quand il a voulu et autant de fois qu’il a voulu. Et j’ai dormi dans ses bras pour la deuxième fois. Pour la dernière fois.

Le matin, quand le radioréveil a lancé « I got you, babe » de Sonny and Cher, j’étais nichée bien au chaud, la joue sur l’épaule de Jason ; j’aurais apprécié que ce jour soit sans fin. Il s’est arrêté le midi, quand nous sommes passés sur Venetian Causeway pour rejoindre le Lido restaurant de Belle Ile.

Le Hummer jaune couvert de drapeaux confédérés qui nous suivait depuis la 15ème rue nous a doublés. J’avais vu deux gros quadragénaires aux cheveux filasse nous insulter à un feu tricolore, nous faire des gestes obscènes, à Jason et à moi , le black et la blonde. Les jointures blanchies à force d’être crispées sur le tableau de bord, j’ai chuchoté à Jason que ça n’avait pas d’importance et il a continué à rouler sans répondre aux provocations des deux abrutis. Quand ils ont déboîté et sont arrivés à notre hauteur par la gauche, la musique des Lynyrd Skynyrd, ce groupe de Floride adulé par les racistes, a envahi jusqu’à notre habitacle. « Sweet Home Alabama », la chanson que le Klan revendiquait.

Tout a dérapé en un instant quand le gros Hummer nous a percutés de son flanc aussi haut que celui d’un camion. Notre Pacer est partie contre la barrière de sécurité dans un bruit atroce de métal torturé. J’ai valdingué et ressenti une première douleur fulgurante dans l’épaule droite, la barrière a dû céder car notre véhicule a basculé lentement sur la droite. Le temps s’est arrêté, j’ai vu Jason inconscient, du sang sur le visage, le jaune du Hummer derrière la vitre conducteur. Puis nous sommes tombés.

Pas un bruit, notre moteur avait calé. Puis la claque de la Pacer frappant l’eau dix mètres plus bas. Une douleur immense dans mon épaule blessée et j’ai dû perdre conscience quelques secondes seulement, car quand j’ai ouvert les yeux la Pacer s’était redressée et commençait à peine à plonger par l’avant. Mais dix secondes plus tard elle avait coulé pour se poser au fond dans un nuage de vase.

Une eau froide et trouble a envahi rapidement l’habitacle ; j’ai tâtonné pour défaire ma ceinture de sécurité puis celle de Jason qui restait immobile, sa tête penchée en avant ruisselant de sang. J’ai essayé d’ouvrir ma portière de la main gauche mais je réalisai bien vite que les tôles étaient trop froissées, alors je me suis mise en biais pour cogner la vitre avec mes pieds. Fort, fort, ignorant la douleur dans mes talons nus. J’avais la tête contre le torse de Jason et l’eau me recouvrait complètement quand la vitre s’est désintégrée en petites billes qui sont revenues vers moi avec l’eau saumâtre qui finit de chasser la dernière bulle d’air.

Heureusement que la Pacer a des vitres immenses sinon jamais je n’aurais pu faire passer les épaules et le torse de Jason, diminuée comme je l’étais par mes blessures. Mais j’ai mis longtemps à y arriver ; mon entraînement de nageuse nous a sauvé la vie mais j’étais au bord de la syncope en émergeant, le corps inerte de mon amant et patron collé contre moi par mon bras valide sous son aisselle.

Là haut, c’était la cacophonie ; des gens criaient, penchés sur le vide ; des klaxons retentissaient, des sirènes de police et de pompiers approchaient. J’ai nagé en cercle, épuisée et à peine lucide tellement j’avais mal dans mon épaule. Et Jason inerte et ensanglanté…

— Tu n’as pas le droit de m’abandonner, Jason ! Je t’aime, tu entends, je t’aime ! Je veux vivre avec toi jusqu’à la fin de mes jours, porter tes enfants. Je veux pas que tu meures maintenant !

Une éternité s’est écoulée avant que les secours interviennent ; un quart d’heure en fait, les quinze minutes les plus longues de mon existence. Deux hommes ont plongé, ont passé un baudrier relié à un câble autour du torse de Jason pour le hisser, puis ce fut mon tour, j’ai souffert le martyre quand je suis remontée suspendue au câble. J’ai même perdu connaissance à un moment car je me suis retrouvée allongée dans une ambulance qui roulait au son lancinant de sa sirène. Un infirmier m’a fait une injection, posé une perfusion, et je me suis endormie.

Les jours suivants, j’ai été dans le cirage complet. En fait mon absence a duré six jours. Le septième jour j’ai ouvert les yeux et contemplé le plafond blanc, les murs blancs, les stores de la fenêtre, ceci sans repartir aussitôt dans le noir, et j’ai compris que j’étais tirée d’affaire. J’ai touché mon épaule droite de la main gauche : elle était couverte d’un épais bandage, mon crâne aussi, mais je ne me souvenais pas d’un blessure à la tête. Une coque surélevait le drap au niveau de mes pieds qui m’ont parus lourds. Mais je ne pouvais pas remuer trop à cause du cathéter posé sur mon avant-bras gauche. Sommeil…

Plus tard, quand je me suis à nouveau réveillée, Callie était assise à côté de moi. Elle s’est levée pour caresser mon bras avant de m’embrasser sur la joue.

— Callie, comment va Monsieur Fishburne. Jason. Comment…
— Shhh. Doucement, ne bouge pas. Tu as été blessée, gravement. Jason est toujours dans le coma, Steph. Il a subi un gros trauma cérébral et peut-être aussi un manque d’oxygène ; il a été réanimé de justesse. Ne pleure pas, je t’en supplie. Tu as fait tout ce que tu as pu, les sauveteurs ne comprennent pas comment tu a réussi à l’extraire de la voiture en brisant une vitre dans l’état où tu étais. Jason te dois une fière chandelle.
— Mais s’il est toujours dans le coma, c’est pas normal, je n’ai pas réussi à le sauver.
— Steph, tu as dix-huit points de suture sur le crâne, plus de trente sur l’épaule droite. Ton acromion est brisé, ta clavicule en miettes et même ton omoplate est fracturée. Plus des fractures multiples sous les pieds ; tu es une miraculée, et Jason s’en tirera si Dieu le veut.

Elle a dû comprendre que je ne pensais pas que Dieu remuerait le petit doigt pour nous car elle a souri tristement.

— Je ne crois plus en Dieu ; j’ai vu trop de malheur, de noirceur dans ma vie. Mais je prie pour mon Jason ; je n’ai pas eu d’enfant et je l’aime, ce petit con.

Moi aussi, je l’aime, Ce petit con au physique de rêve, au cœur meurtri, à la voix de crooner, aux yeux si pleins de vie. Ses yeux… Des larmes coulaient sur ses joues sombres mais elle ne fit pas un geste pour les essuyer. Elle tapota mon bras et eut un sourire triste qui me serra le cœur.

— Tu as été opérée pendant plus de quatre heures, tu mettras longtemps à récupérer pleinement ton épaule ; le médecin qui t’a opérée est dubitatif sur ta capacité à refaire un jour du sport de compétition. Tu auras de jolies cicatrices, en plus ; mais c’est un excellent chirurgien et je suis sûre qu’il a fait du bon travail.
— Merci, Callie. Merci.

Je suis sortie de l’hôpital le 14 août seulement, sans avoir pu voir Jason qui avait été transféré dans une clinique privée. Anita m’a conduite chez moi et s’est installée pour m’aider et surtout me remonter le moral. Elle m’avait veillée en alternance avec Callie, qui m’appelait tous les jours pour me donner des nouvelles de Jason et prendre des miennes. Jason restait dans le coma, situation inchangée.

Le trente août, alors que la rentrée universitaire approchait, j’ai été convoquée par Mr Fishburne senior qui m’a fait attendre une heure devant la porte de son bureau. Il m’a reçu avec la morgue qui le caractérise et une froideur extrême.

— Mademoiselle LeBlond, des rumeurs circulent affirmant que vous avez sauvé Jason de la noyade. Je tiens à vous dire que si vous n’aviez pas été là, à vous pavaner au bras de mon fils, il ne lui serait rien arrivé. C’est par votre faute que ces deux imbéciles se sont attaqués à la prunelle de mes yeux.

J’étais abasourdie, atterrée. Il m’accusait d’être à l’origine de l’accident, ce salopard. J’étais debout en face de lui avec une béquille pour soulager mes talons abîmés, l’épaule et le bras droits en écharpe, le crâne rasé comme un GI. Et ce connard qui m’accusait d’avoir presque tué Jason. Je bouillais de rage. Du calme, petit mec, du calme. C’est le père de Jason, ne réponds pas, laisse couler. Et n’oublie pas.

— Monsieur, j’obéissais aux ordres de votre fils en l’accompagnant dans sa voiture, rien de plus.
— Je n’en ai rien à foutre, imbécile. Par ta faute, je suis presque orphelin.
— Jason va s’en tirer, j’en suis sûre.
— Ah ! Tu l’appelles Jason maintenant ? Tu espérais l’épouser et lui voler son argent, bien sûr. Comme toutes les traînées qui tournent autour de lui.
— Non, ce n’est pas vrai…
— Tais-toi. Puisque Jason ne peut plus te faire travailler, je vais te prendre à mon service exclusif à compter de demain matin. Je te veux dans mon bureau à 9 heures. Nue, parfumée, cette cravache entre les dents. Pour une traînée comme toi, c’est un travail dans tes cordes.

Je me suis raidie, épouvantée. Il a compris à mon expression horrifiée que je refuserais car il a ajouté aussitôt :

— Réfléchis bien, car sinon je coupe les vivres. Plus d’appartement, de voiture, de carte Visa ; pour l’université, tu peux tirer une croix dessus ; je bloque ton compte et je t’envoie la facture de tout ce qui a été réglé pour toi. Et il y en a pour cher.
— Vous êtes sérieux ? Vous êtes un salaud. Un beau salaud. Je refuse, bien sûr.
— Sors d’ici ; tu es virée. Je suis gentil, je te laisse jusqu’à demain pour remettre tes clés à mon agent qui te remettra la facture de ce que tu dois à la Fondation. Ne t’approches plus jamais de ma famille. Si tu essaies de voir mon fils, je te ferai arrêter. Laisse-moi ton téléphone, ça aussi c’est fini, ces messes basses avec Callie dans mon dos.
— Fumier. Gros connard !

Je lui ai jeté le téléphone à la tête mais l’ai raté d’un bon mètre, et je suis sortie en clopinant du bureau, désespérée. Jason. Je ne le reverrais plus. La clinique m’était déjà interdite, il ne me restait qu’à partir loin. Pour aller où ? Je n’en savais rien. Anita était partie deux jours auparavant en Californie, au Pendleton Camp près de San Diego. Elle ne pouvait plus m’aider ; j’étais seule à nouveau, complètement seule.
J’ai retiré de l’argent liquide à un distributeur automatique jusqu’à atteindre mon plafond autorisé, six-cents dollars. A l’appartement, j’ai bourré mon plus grand sac de sport de vêtements puis je suis partie en laissant la porte ouverte. Sans un regard ; sinon je me serais effondrée.

Je suis allée à la gare routière, là j’ai laissé la Toyota en évidence sur le parking public avec la clé posée sur le pneu arrière gauche. J’ai pris le premier bus qui partait, un Greyhound qui traversait d’est en ouest. Je me suis contrainte à ne pas regarder derrière moi cette ville où j’ai vu le jour, où je me suis nourrie d’espérances, où j’ai tout perdu.

Pleure pas, petit mec, pleure pas.

Auteur : Matt Démon

Cette série est suivie de la série "San Francisco Blues"

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