mercredi 9 décembre 2015

Anne-Isabelle et ses prétendants (4)

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Chapitre 4


Le voyage vers la grande maison de madame de Pougy est d’une lenteur incroyable, et je m’ennuie dans cette voiture avec ma gentille cousine. Je l’interroge alors sur la dame vers qui elle me conduit avec un empressement que j’ai trouvé surprenant.
Sa réponse est encore plus intrigante :

— Je connais bien madame de Pougy : j’ai moi-même reçu son enseignement, et tout spécial qu’il est, vous devriez en être plus que satisfaite.

Je me mets alors à la questionner de plus belle, mais elle s’enferme dans un mutisme amusé.
Je n’en saurai donc pas plus, et le mystère dont est entourée cette Joséphine m’agace au plus haut point.

Nous voici arrivées chez notre hôte ; la maison est grande et de belle facture, les jardins à la française soignés, et le personnel en livrée grise (ce qui devrait plaire à ma cousine) nous salue avec déférence. Les deux cochers qui conduisaient notre voiture descendent de leur nacelle ; l’allure de l’un d’eux me semble familière, mais comme ce dernier me tourne obstinément le dos, je n’arrive pas à l’identifier.

Le petit personnel ne m’intéresse pas plus longtemps, d’autant que la dame qui nous reçoit est sur le perron et nous fait signe d’avancer vers l’entrée de la demeure. Après les salutations d’usage, nous pénétrons dans la maison, et madame de Pougy commence alors une explication des plus surprenantes sur la « préparation au mariage » qu’elle va me donner.

— Vous allez apprendre à être une bonne épouse, non que vous n’ayez pas reçu une bonne éducation – de cela je ne doute pas – mais rarement jeune fille apprend à devenir bonne amante pour son futur mari. C’est là le but de ce séjour : je vais faire de vous une experte de l’acte sexuel. Libre à vous ensuite de prodiguer – ou pas – les soins que je vous aurai enseignés, à votre époux ou à tout autre homme que vous souhaiterez rendre éperdument amoureux.

Le sang a quitté mon visage et je dois m’appuyer contre le mur pour ne pas tomber sous l’effet de cette annonce.
Elle poursuit alors :

— J’ai demandé à Elisa, votre cousine, de me fournir matière à votre formation. Elle l’a fait ; vous le constaterez sous peu. Les « séances » se font dans une chambre de l’étage que je vous interdis, pour l’instant, de visiter sans être accompagnée, et vous devrez être entièrement nue pour nos premiers enseignements. Le silence sera de rigueur, et je ne doute pas de votre sérieux et de votre assiduité.

Le mur a du mal à me soutenir… Je m’assois pour ne pas tomber sous le poids de cette avalanche d’informations toutes plus ubuesques les unes que les autres. Devant ma réaction, madame de Pougy et ma cousine s’inquiètent et tentent de me rassurer. Elisa dit alors :

— Ne vous inquiétez nullement, ma douce petite cousine ; il ne s’agit que de plaisir, et il me semble que vous y êtes déjà fort sensible.

Et madame de Pougy, ouvrant la porte du cabinet où nous sommes toutes trois en discussion, ajoute :

— Comme je vous l’ai dit, j’ai demandé à votre cousine de me donner matière à votre formation ; je pense que cette personne devrait vous être d’un grand secours.

Entre alors le laquais dont la silhouette me semblait familière lors de notre arrivée dans la cour ; il ne me faut que quelques secondes pour reconnaître Jean de La Ribaudière, mon prétendant éconduit. « Nous y voilà… Elle a fait venir Jean afin qu’il participe à mon éducation. Merci, ma cousine, pour ce choix. »

Étant un peu délurée, je suis impatiente, mais je suis aussi inquiète. Que veut-on m’apprendre que je ne sache déjà ? Quelle pratique nouvelle ou étonnante ? Et puis, se montrer nue n’est guère dans les bonnes manières : il faut absolument cacher son corps, à moins d’être la perfection même pour servir de modèle à nos maîtres peintres. Cette nudité n’est qu’à peine tolérable dans l’intimité du mariage ; alors, devant une étrangère, devant ma cousine, même si elles sont femmes, je ne crois pas que je vais le supporter. Que dire de me dévêtir entièrement devant Jean ?
Étrange pratique qui va m’être imposée...

En parlant d’étranges pratiques, madame de Pougy s’est levée et m’a demandé de la suivre vers mes appartements. Jean nous suit avec l’une de mes malles.
Nous entrons alors dans une chambre coquette et fort agréablement décorée. Une grande armoire orne l’un des murs de la pièce. Par curiosité (et aussi afin de trouver de la place pour mes tenues), je l’ouvre et y découvre un assortiment de robes plus somptueuses les unes que les autres. Mon visage s’illumine devant tant de beauté ; je me tourne vers mon hôte pour la remercier. Elle me sourit, et précise :

— Vous porterez chaque jour la robe que je vous indiquerai au matin, et pas une autre. Elles ont toutes un caractère particulier.

Je redescends un peu du nuage de plaisir sur lequel je commençais à voyager et lui dis :

— Quel programme pour notre soirée ?
— Vous descendrez dans le petit cabinet vers 18 heures, telle que vous êtes. Je veux faire un premier test.

« Un test ? Que peut-elle bien avoir en tête ? » Elle quitte la pièce, et à peine a-t-elle tourné les talons, je me jette dans les bras de Jean qui m’y accueille avec un immense sourire.

— Ma mie, j’attends cet instant depuis des jours. Enfin nous nous retrouvons. Je suis si désolé de ne pas avoir été à la hauteur au cours de ce duel…
— Nous serons amants, mon beau prince ! lui dis-je à l’oreille.

Je vois bien que ce n’est pas ce qu’il attendait de notre relation : il baisse la tête et prend un air triste. J’ajoute :

— Et puis, mon futur époux est un vieil homme : je ne tarderai pas à être veuve. Alors vous serez mon chevalier providentiel.

Il relève le menton et déclare :

— Chevalier, puis mari sans nul doute.
— Sans nul doute.
— Je dois vous laisser sans tarder, Mademoiselle : madame de Pougy m’attend au rez-de-chaussée.

Pourquoi donc la dame a-t-elle besoin de mon beau chevalier ? Je le laisse filer et m’assois sur le lit, me plongeant dans mes réflexions et me remémorant cette étrange fin d’après-midi.

Les heures passent lentement tandis que je me repose de mon voyage. Je me suis débarrassée de mon chapeau et de ma capeline, mis des chaussures plus confortables que mes bottes et refait mon poudrage. Alors que j’éternue après avoir couvert mon visage de ce fard de riz blanc, j’entends que l’on toque à la porte. Une voix derrière le battant annonce :

— Il est 18 heures : madame de Pougy vous attend dans le cabinet rouge.
— Je finis de me préparer et je descends.

Ma réponse a fusé sans même que je réfléchisse, comme je le fais avec Sœur Radegonde, mais cela ne doit pas satisfaire l’homme derrière la porte, qui insiste :

— Maintenant, Mademoiselle, sans délai. Madame n’aime pas attendre.

Je reste sans voix : jamais on ne s’est permis de me parler ainsi. Je me lève pour tancer vertement ce serviteur qui se permet d’insister ; mais lorsque j’ouvre brutalement le battant, l’homme est déjà parti. Je me penche au balustre pour le voir dans l’escalier, mais il n’y a personne. Quelle rapidité !

Je termine donc prestement mon maquillage et descends l’escalier, traverse le petit salon déjà vu à mon arrivée et me présente devant la porte du cabinet où nous avons été reçues ce matin. Je frappe discrètement. La voix de Madame se fait alors entendre :

— Enfin ! Entrez.

J’entre dans la pièce et découvre mon beau Jean entièrement dévêtu, la verge tendue entre les doigts gantés de Joséphine de Pougy. La scène me surprend suffisamment pour que je m’assoie sans délai dans le premier fauteuil venu. Clouée dans le fauteuil tendu de satin rose, j’observe la maîtresse de maison caresser le sexe de mon prétendant.

— Alors, jeune gourgandine, maintenant que vous nous honorez enfin de votre présence, nous allons pouvoir commencer cette première leçon.
— Je m’apprêtais, Madame.

Je lui réponds sans lâcher des yeux le braquemart tant convoité.
Sans relever ma réponse, elle m’interroge encore :

— Quels sont les endroits du corps de ce mâle qui vont lui permettre de prendre plaisir ?

Je rougis et désignant du bout du doigt le gland violacé et balbutie :

— Ce… cette extrémité rouge ?

Elle fronce les sourcils et répond :

— Voilà qui est bien réducteur ; je vous pensais plus éclairée sur le sujet. C’est en effet l’une des zones importantes, mais il vous faut prendre en compte d’autres parties de l’homme pour le rendre heureux, ou du moins satisfait.

Devant mon absence de réaction, elle se lance dans une tribune digne de monsieur de Robespierre (dont les journaux de la « république » naissante ne cessent de se faire écho) :

— Sachez, ma mie, que l’homme est comme nous : il a diverses zones érogènes. La première est le regard ; vous le constaterez dans un instant, lorsque vous quitterez vos habits. Ensuite, toute sa peau peut s’électriser à votre contact. Les mamelons sont, comme pour nous, des endroits riches de sensations ; son sexe aussi, bien sûr, mais il ne faut en oublier aucun recoin. Et enfin les fesses, jolies et rebondies, sont tout comme nous, les femmes, particulièrement sensibles à une introduction. D’autres endroits encore sont à prendre en compte, mais commençons simplement.

Tout en débitant son cours magistral, elle l’illustre par ses gestes, et promenant ses doigts gantés sur le corps de mon Apollon, caresse une à unes les zones citées.

Madame de Pougy abandonne alors mon bel amour et s’avance vers moi, saisit le bord supérieur de mon décolleté et le tire d’un coup sec vers le bas, déchirant le fragile tissu et libérant partiellement ma poitrine déjà difficilement contenue dans le carcan de mon corset. Passant sa main à l’intérieur de ce rigide vêtement, elle fait jaillir mes seins de leur logement.
Toute à l’explication de ma nouvelle préceptrice, je me laisse manipuler tout en observant les réactions de l’homme nu face à nous.

Jean, ne me quittant pas des yeux, voit alors surgir ma poitrine blanche et rebondie ; je constate alors que ses prunelles se sont allumées d’un nouvel éclat. Son mandrin semble également vouloir me sauter au visage. Mes joues s’empourprent alors que je comprends mon peu de savoir sur le sujet, et surtout devant l’impérieuse réaction de l’homme à la simple vue de mes mamelles.

— Comprenez que ces messieurs ont comme nous une partie spirituelle dans leur cerveau qui, bien que largement mené par ce beau gourdin, apprécie la beauté de votre corps. N’en est-ce pas la meilleure des illustrations ?

Je ne parviens pas détacher mon regard de Jean et acquiesce d’un hochement de tête. Mes pupilles ont dû, elles aussi, s’animer d’un nouveau feu, et devant mon air gourmand et pourtant timide, elle ajoute alors :

— Ne soyez pas surprise : vous avez un corps de diablesse, et vous allez apprendre à vous en servir. Cependant, vous n’aurez pour cette première leçon aucun contact charnel avec le bel étalon ici présent. Voyons maintenant comment il réagit à la vision du reste de votre anatomie.

Elle frappe dans ses mains et apparaissent alors deux valets en livrée grise qui commencent à me dévêtir. Une par une, les couches de tissu qui me recouvrent sont retirées, et je me retrouve ne portant que ma culotte bouffante de coton blanc. Cet effeuillage réalisé par des mains visiblement expertes, en quelques minutes, m’a laissé sans voix et a fait retomber l’excitation qui commençait à poindre.

Madame de Pougy, qui jusque-là se tenait entre Jean et moi, s’écarte, laissant à Jean tout le loisir de me découvrir dans le plus simple appareil. Les bras croisés sur la poitrine, je baisse les yeux. Je sens que c’est maintenant tout mon visage qui doit être cramoisi, tant il me brûle.
Ma maîtresse me prend le menton et relève mon visage, m’obligeant à affronter l’image du beau mâle encore plus « tendu » qu’il n’était tout à l’heure.
Elle me glisse alors à l’oreille :

— Tournez-vous et finissez de vous dévêtir.
— Mais… il ne me reste plus que…

Devant mes balbutiements, elle prend un ton, un cran plus autoritaire :

— Cessez vos jérémiades et finissez ; qu’il vous découvre intégralement, et voyez comme tout son corps réagit à cette image.

Je m’exécute et fais descendre le dernier artifice le long de mes jambes, me penchant en avant pour finir de le retirer. Je prends alors conscience que, dans cette position, mon « partenaire » n’ignore plus rien de mon intimité. Je termine cependant mon geste et me tourne vers lui, cachant avec difficulté, d’une main ma toison, de l’autre ma poitrine, le tout sans grand succès.
Jean, quant à lui, est également d’un joli rouge vif ; mais je soupçonne que ce n’est pas l’humiliation qui le met dans cet état, en atteste la raideur – particulièrement développée – qui orne son bas-ventre.

— Voyez comme votre image l’a amené à une raideur parfaite. Voyons maintenant si nous pouvons encore augmenter son excitation. Asseyez-vous dans le fauteuil rose, écartez largement vos cuisses, et commencez à y poser vos doigts.

À l’extrême limite de ce que je suis en capacité de supporter, je me tourne vers elle, furibonde, prête à l’envoyer promener, mais le regard noir qu’elle me lance, accompagné de sa main qui presse sur mon épaule, me retiennent et je me plie à cette demande. Je m’effondre dans ledit fauteuil et ne bouge plus.
Elle passe alors derrière moi, se penche à mon oreille et dit :

— Si vous ne le faites pas vous-même, j’appelle pour que l’on me prête main-forte, et c’est moi qui vous prodiguerai la caresse.

Devant la menace d’être maintenue par la force, sûrement par son dévoué personnel et humiliée, je préfère m’exécuter. Je pose alors ma main sur ma toison, descendant doucement vers cette zone tendre et humide que je connais si bien pour l’avoir déjà maintes fois parcourue.
Dans un souffle, et sans quitter sa place dans mon dos, madame de Pougy ajoute :

— Observez le tout en œuvrant : regardez ses doigts coulisser sur son manche ; admirez avec quelle rapidité sa dextre va le conduire au plaisir.

J’avoue que la vision de mon Jean s’astiquant le cyclope m’excite terriblement ; j’accélère moi-même ma caresse sur ce bouton sensible que j’ai entre les cuisses. Je le regarde jouir et cracher sa semence sur le sol dans un grognement de satisfaction.

— Vous voyez ? Ce que je vous ai dit se confirme : la vision de votre corps l’a conduit non seulement à se caresser seul, mais l’a si bien excité qu’il a joui en vous regardant. Cessez votre masturbation ; il n’est pas encore temps de jouir.
— Mais… mais je suis terriblement… prête !

Devant cette dernière complainte qui s’est échappée bien involontairement de ma bouche, la maîtresse des lieux retient avec peine un éclat de rire.

— Non, ma douce : tout juste humide.

Et elle passe son index sur les lèvres de mon sexe, le portant à ses yeux pour en vérifier l’humidité. Elle secoue la tête et lèche ce même doigt avec délectation. Devant ma mine horrifiée, elle me déclare sans ambages :

— Ne soyez pas surprise, mon enfant : la sexualité ne s’arrête pas à un homme avec une femme ; mais il n’est pas encore temps de parler de cela. Passons à table maintenant.

Je me lève, déçue et frustrée. Je me tourne dans la pièce pour reprendre mes habits laissés il y a quelques minutes sur un chevalet, mais ne trouve plus rien. Les valets ont tout emporté.
« Je ne vais quand même pas me balader dans le plus simple appareil jusqu'à ma chambre ? » Madame de Pougy a déjà quitté la pièce et se dirige vers un salon de l’autre côté du hall d’entrée, où je l’entends me dire à haute voix :

— Rejoignez-nous sans attendre !

« Dans cette tenue ? » Je me demande quel esprit malin peut bien habiter cette femme. C’est donc nue que je fais mon entrée dans la salle à manger.

Une grande table décorée de marqueterie trône en plein centre, entourée, comme il se doit de douze chaises. La lumière vive des chandeliers éclaire une pièce richement décorée de tentures, de tableaux et de meubles de belle facture.
Le souper y est dressé, et madame de Pougy s’est installée en son extrémité, en maîtresse de maison. Ma cousine est déjà installée à sa gauche. Deux couverts sont dressés à sa droite. Elle m’en désigne un ; je suppose l’autre pour Jean, qui a dû avoir le droit de retourner se vêtir.

Je m’assois donc nue à table et arbore, pour ce faire, une jolie teinte rouge vif sur mon visage. Humiliée, je baisse les yeux sur mon couvert, ne souhaitant adresser la parole à aucun des protagonistes présents. Alors que ma cousine et ma « préceptrice » échangent poliment sur les derniers événements parisiens, on toque à la porte. Madame de Pougy se lève et s’avance vers la porte. Jean l’ouvre en tenue de valet grise et annonce à haute voix :

— Monsieur le baron de Vrykolakas.

« Mon Dieu, ce n’est point imaginable ! » Ces mots résonnent dans ma tête alors que le vieux baron entre dans le salon. Ma cousine et madame Joséphine se sont levées pour accueillir leur visiteur ; je devrais faire de même par bienséance, mais ma tenue d’Ève me l’interdit.
L’homme n’est visiblement pas surpris, ni par le fait que je sois à cette table, ni même par ma nudité. J’essaie de déceler une émotion sur son visage froid, mais son regard est ailleurs. J’ai moi-même la tête basse, et ce n’est que par de furtives œillades que je suis le ballet des protagonistes présents dans la pièce.
L’homme salue poliment les deux dames puis contourne ma chaise. Je sens son regard sur moi, et encore une fois le sang envahit mon visage et me chauffe les joues. Je n’ose même pas relever les yeux et saluer celui qui sera sous peu mon époux.

Le baron ne s’intéresse pas plus longtemps à ma personne et se met à échanger avec mon hôtesse. Il parle de moi, de l’avancée de ma formation ; jamais il ne dit mon nom ou mon prénom, se contentant d’un « elle » que je trouve d’une vulgarité affligeante.
Madame de Pougy fait un rapport détaillé de ce qui s’est passé en cette fin d’après midi, n’oubliant aucun détail. Je pense que mon visage va s’enflammer littéralement, tant il est rouge et chaud de honte. Le baron, après avoir attentivement écouté ma préceptrice, pose une main froide sur mon épaule et dit simplement :

— Ne souffrez, ma mie, aucune honte ; vous êtes divinement belle. Poursuivez avec madame de Pougy, en qui j’ai toute confiance. Elle saura faire de vous la femme parfaite, et ne craignez rien de moi : j’ai pour vous de grands desseins.

Osant à peine relever les yeux, je découvre enfin les yeux du vieil homme, qui jusque-là me semblaient de glace, et qui brûlent maintenant d’un feu nouveau. « Vieil homme » n’est d’ailleurs plus tout à fait de rigueur : il me semble plus jeune aujourd’hui, à peine une cinquantaine d’années, alors que je le pensais centenaire.
Il me regarde à nouveau et ajoute :

— Oui, douce Anne, un avenir magique et des émotions inimaginables pour vous, belle enfant.

Je ne comprends pas ce qu’il souhaite me faire passer comme message, mais cela a pour effet de me rassurer un peu sur l’homme et calmer le feu de mes joues. Au moins je lui plais. Même sans fioritures, je lui plais.

On lui sert un verre de vin de Porto et il informe madame Joséphine qu’il ne peut rester plus longtemps, étant appelé sans tarder auprès d’un ami mourant, un certain Jacques Duphly, compositeur, organiste et claveciniste se mourant à Paris.
Madame de Pougy lui prodigue quelques conseils pour sa sécurité car la capitale n’est pas un endroit sûr pour la noblesse française ; le roi a même fait retirer les troupes de la ville.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, Madame : la nuit qui tombe est mon alliée depuis longtemps, et je ne crains que peu de créatures sur cette Terre.

Étrange discours de mon futur époux... Peut-être un jour comprendrai-je ces mots qui, pour l’instant, me semblent plus romanesques que réalistes.

À peine a-t-il tourné les talons que Madame claque des mains afin que le repas soit servi.
Toujours nue, je commence à m’habituer à l’ambiance particulière qui règne dans cette maison. Seuls les regards insistants de Jean – qui fait le service – me mettent mal à l’aise. Mon joli prétendant me lorgne à chacune de ses venues, et je sens que ses lourds regards agissent sur mon intimité. Pas seulement sur la moiteur de mon sexe qui laisse maintenant échapper un mince filet de liqueur entre mes cuisses que je serre autant que possible pour ne pas tacher la chaise sur laquelle je suis assise, mais aussi sur mes seins, qui petit à petit se tendent.
Mme de Pougy l’a remarqué et me dit alors :

— Vous n’êtes pas à notre conversation, je le constate aisément ; peut-être devrions nous poursuivre dans le salon bleu et assouvir la « soif » que vous laissez transparaître.

Je baisse les yeux sur mon assiette, faisant mine de pas avoir entendu ; et alors que je pense m’être fait oublier de mon hôtesse, je sens des mains d’homme me saisir sous les aisselles et me soulever de ma chaise. Je n’ai pas le temps de réagir que déjà deux des laquais de Madame me traînent vers ce salon que je ne connais pas.

Je tente bien de me débattre, mais je n’ai pas suffisamment de force pour me libérer des poignes fermes qui enserrent mes bras et mes poignets. En moins de temps qu’il ne faut pour me rendre compte de ce qui m’arrive, je me retrouve bâillonnée et les mains liées, allongée sur ce qui semble être un petit canapé. Ma tête repose sur un coussin, et mes genoux sont posés sur un accoudoir. On m’écarte les jambes de force, fixant mes chevilles si délicates, l’une au pied avant du canapé, l’autre derrière le dossier. La position impudique ainsi que mon bâillon me rendent folle, et je me débats tant et plus.
L’ordre sec donné par ma tortionnaire est sans appel :

— Cessez, jeune fille ! Il vous faut apprendre à maîtriser les signes visibles de votre excitation. La punition est un bon moyen de vous l’apprendre.

Jean, qui a lui aussi été entraîné de force dans ce salon, se retrouve face à moi, entre mes cuisses, ne pouvant plus rien ignorer de mon intimité.

— L’image, comme nous l’avons démontré tout à l’heure, est un élément primaire de la sexualité. Voyez comme il dévore votre intimité du regard... Essayez d’imaginer ce qu’il a en tête en cet instant. Bien sûr qu’il aimerait vous baiser, ma douce. Il vous baiserait sûrement mal, mais il vous baiserait.

On le fait mettre nu, puis une femme de chambre au fort jolie minois vient s’agenouiller sans un mot devant mon bel étalon. Légèrement de profil, je ne peux, moi non plus, rien ignorer de son anatomie et de la somptueuse fellation dont la demoiselle le gratifie.
La maîtresse de maison explique alors :

— Il vous dévore du regard ; il imagine que c’est vous qui lui donnez ce plaisir. Il vous regarde, et est excité de votre impudeur.

Je mouille tant et plus et ne lâche pas le regard de Jean, qui lui-même se perd dans le mien.

— Qu’on lui branle la motte !

Sur ce nouvel ordre donné par madame de Pougy, un des valets en livrée grise s’avance et entreprend de me masturber le sexe du bout de ses doigts. Je fixe Jean dont les yeux commencent à s’égarer, tant le plaisir qui lui est donné est intense. J’ai moi-même du mal à continuer à soutenir son regard car je sens le plaisir monter de mes entrailles.

Jean jouit avec moult gémissements, mais au moment où je vais atteindre l’orgasme, madame de Pougy fait interrompre la masturbation. Frustrée, je pousse sur mes hanches pour faire à nouveau entrer en moi les doigts de mon masturbateur, qui s’est simplement arrêté mais les a laissés à l’entrée palpitante de ma vulve ; mais rien n’y fait : l’homme obéit aux ordres de sa maîtresse et ne me satisfait pas. Madame de Pougy s’enquiert :

— Seriez-vous frustrée, ma belle ? Oui, sûrement. C’est malheureusement souvent le cas avec les hommes. Apprenez à vous satisfaire de ce qui vous est offert. La prochaine fois, vous viendrez plus vite. Avez-vous appris, aujourd’hui, l’importance de l’image ?

Toujours bâillonnée, je ne peux que hocher du chef pour lui répondre.

— Vous êtes ici pour apprendre, poursuit-elle ; demain, nous vous donnerons un peu de satisfaction. Mais pour l’instant, vous allez être mise dans votre lit, entravée, car je ne tolérerai pas de plaisirs solitaires.

Quelques minutes plus tard on m’a enfilé ma chemise de nuit, aidée pour mes ablutions, et couchée dans mon lit, mes mains liées ensemble avec une corde autour de mon cou qui m’empêche de les faire descendre plus bas que mes seins.

Quelle belle nuit je vais passer !

Auteur : Oshmonek

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