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Chapitre 4
Le voyage vers la grande maison de madame de Pougy est d’une lenteur incroyable, et je m’ennuie dans cette voiture avec ma gentille cousine. Je l’interroge alors sur la dame vers qui elle me conduit avec un empressement que j’ai trouvé surprenant.
Sa réponse est encore plus intrigante :
— Je connais bien madame de Pougy : j’ai moi-même reçu son enseignement, et tout spécial qu’il est, vous devriez en être plus que satisfaite.
Je me mets alors à la questionner de plus belle, mais elle s’enferme dans un mutisme amusé.
Je n’en saurai donc pas plus, et le mystère dont est entourée cette Joséphine m’agace au plus haut point.
Le voyage vers la grande maison de madame de Pougy est d’une lenteur incroyable, et je m’ennuie dans cette voiture avec ma gentille cousine. Je l’interroge alors sur la dame vers qui elle me conduit avec un empressement que j’ai trouvé surprenant.
Sa réponse est encore plus intrigante :
— Je connais bien madame de Pougy : j’ai moi-même reçu son enseignement, et tout spécial qu’il est, vous devriez en être plus que satisfaite.
Je me mets alors à la questionner de plus belle, mais elle s’enferme dans un mutisme amusé.
Je n’en saurai donc pas plus, et le mystère dont est entourée cette Joséphine m’agace au plus haut point.
Nous
voici arrivées chez notre hôte ; la maison est grande et de belle
facture, les jardins à la française soignés, et le personnel en livrée
grise (ce qui devrait plaire à ma cousine) nous salue avec déférence.
Les deux cochers qui conduisaient notre voiture descendent de leur
nacelle ; l’allure de l’un d’eux me semble familière, mais comme ce
dernier me tourne obstinément le dos, je n’arrive pas à l’identifier.
Le
petit personnel ne m’intéresse pas plus longtemps, d’autant que la dame
qui nous reçoit est sur le perron et nous fait signe d’avancer vers
l’entrée de la demeure. Après les salutations d’usage, nous pénétrons
dans la maison, et madame de Pougy commence alors une explication des
plus surprenantes sur la « préparation au mariage » qu’elle va me
donner.
— Vous allez apprendre à être une bonne épouse, non que
vous n’ayez pas reçu une bonne éducation – de cela je ne doute pas –
mais rarement jeune fille apprend à devenir bonne amante pour son futur
mari. C’est là le but de ce séjour : je vais faire de vous une experte
de l’acte sexuel. Libre à vous ensuite de prodiguer – ou pas – les soins
que je vous aurai enseignés, à votre époux ou à tout autre homme que
vous souhaiterez rendre éperdument amoureux.
Le sang a quitté mon visage et je dois m’appuyer contre le mur pour ne pas tomber sous l’effet de cette annonce.
Elle poursuit alors :
—
J’ai demandé à Elisa, votre cousine, de me fournir matière à votre
formation. Elle l’a fait ; vous le constaterez sous peu. Les « séances »
se font dans une chambre de l’étage que je vous interdis, pour
l’instant, de visiter sans être accompagnée, et vous devrez être
entièrement nue pour nos premiers enseignements. Le silence sera de
rigueur, et je ne doute pas de votre sérieux et de votre assiduité.
Le
mur a du mal à me soutenir… Je m’assois pour ne pas tomber sous le
poids de cette avalanche d’informations toutes plus ubuesques les unes
que les autres. Devant ma réaction, madame de Pougy et ma cousine
s’inquiètent et tentent de me rassurer. Elisa dit alors :
— Ne
vous inquiétez nullement, ma douce petite cousine ; il ne s’agit que de
plaisir, et il me semble que vous y êtes déjà fort sensible.
Et madame de Pougy, ouvrant la porte du cabinet où nous sommes toutes trois en discussion, ajoute :
—
Comme je vous l’ai dit, j’ai demandé à votre cousine de me donner
matière à votre formation ; je pense que cette personne devrait vous
être d’un grand secours.
Entre alors le laquais dont la
silhouette me semblait familière lors de notre arrivée dans la cour ; il
ne me faut que quelques secondes pour reconnaître Jean de La
Ribaudière, mon prétendant éconduit. « Nous y voilà… Elle a fait venir Jean afin qu’il participe à mon éducation. Merci, ma cousine, pour ce choix. »
Étant
un peu délurée, je suis impatiente, mais je suis aussi inquiète. Que
veut-on m’apprendre que je ne sache déjà ? Quelle pratique nouvelle ou
étonnante ? Et puis, se montrer nue n’est guère dans les bonnes manières
: il faut absolument cacher son corps, à moins d’être la perfection
même pour servir de modèle à nos maîtres peintres. Cette nudité n’est
qu’à peine tolérable dans l’intimité du mariage ; alors, devant une
étrangère, devant ma cousine, même si elles sont femmes, je ne crois pas
que je vais le supporter. Que dire de me dévêtir entièrement devant
Jean ?
Étrange pratique qui va m’être imposée...
En parlant
d’étranges pratiques, madame de Pougy s’est levée et m’a demandé de la
suivre vers mes appartements. Jean nous suit avec l’une de mes malles.
Nous
entrons alors dans une chambre coquette et fort agréablement décorée.
Une grande armoire orne l’un des murs de la pièce. Par curiosité (et
aussi afin de trouver de la place pour mes tenues), je l’ouvre et y
découvre un assortiment de robes plus somptueuses les unes que les
autres. Mon visage s’illumine devant tant de beauté ; je me tourne vers
mon hôte pour la remercier. Elle me sourit, et précise :
— Vous
porterez chaque jour la robe que je vous indiquerai au matin, et pas une
autre. Elles ont toutes un caractère particulier.
Je redescends un peu du nuage de plaisir sur lequel je commençais à voyager et lui dis :
— Quel programme pour notre soirée ?
— Vous descendrez dans le petit cabinet vers 18 heures, telle que vous êtes. Je veux faire un premier test.
« Un test ? Que peut-elle bien avoir en tête ? »
Elle quitte la pièce, et à peine a-t-elle tourné les talons, je me
jette dans les bras de Jean qui m’y accueille avec un immense sourire.
—
Ma mie, j’attends cet instant depuis des jours. Enfin nous nous
retrouvons. Je suis si désolé de ne pas avoir été à la hauteur au cours
de ce duel…
— Nous serons amants, mon beau prince ! lui dis-je à l’oreille.
Je vois bien que ce n’est pas ce qu’il attendait de notre relation : il baisse la tête et prend un air triste. J’ajoute :
— Et puis, mon futur époux est un vieil homme : je ne tarderai pas à être veuve. Alors vous serez mon chevalier providentiel.
Il relève le menton et déclare :
— Chevalier, puis mari sans nul doute.
— Sans nul doute.
— Je dois vous laisser sans tarder, Mademoiselle : madame de Pougy m’attend au rez-de-chaussée.
Pourquoi
donc la dame a-t-elle besoin de mon beau chevalier ? Je le laisse filer
et m’assois sur le lit, me plongeant dans mes réflexions et me
remémorant cette étrange fin d’après-midi.
Les heures passent
lentement tandis que je me repose de mon voyage. Je me suis débarrassée
de mon chapeau et de ma capeline, mis des chaussures plus confortables
que mes bottes et refait mon poudrage. Alors que j’éternue après avoir
couvert mon visage de ce fard de riz blanc, j’entends que l’on toque à
la porte. Une voix derrière le battant annonce :
— Il est 18 heures : madame de Pougy vous attend dans le cabinet rouge.
— Je finis de me préparer et je descends.
Ma
réponse a fusé sans même que je réfléchisse, comme je le fais avec Sœur
Radegonde, mais cela ne doit pas satisfaire l’homme derrière la porte,
qui insiste :
— Maintenant, Mademoiselle, sans délai. Madame n’aime pas attendre.
Je
reste sans voix : jamais on ne s’est permis de me parler ainsi. Je me
lève pour tancer vertement ce serviteur qui se permet d’insister ; mais
lorsque j’ouvre brutalement le battant, l’homme est déjà parti. Je me
penche au balustre pour le voir dans l’escalier, mais il n’y a personne.
Quelle rapidité !
Je termine donc prestement mon maquillage et
descends l’escalier, traverse le petit salon déjà vu à mon arrivée et me
présente devant la porte du cabinet où nous avons été reçues ce matin.
Je frappe discrètement. La voix de Madame se fait alors entendre :
— Enfin ! Entrez.
J’entre
dans la pièce et découvre mon beau Jean entièrement dévêtu, la verge
tendue entre les doigts gantés de Joséphine de Pougy. La scène me
surprend suffisamment pour que je m’assoie sans délai dans le premier
fauteuil venu. Clouée dans le fauteuil tendu de satin rose, j’observe la
maîtresse de maison caresser le sexe de mon prétendant.
— Alors,
jeune gourgandine, maintenant que vous nous honorez enfin de votre
présence, nous allons pouvoir commencer cette première leçon.
— Je m’apprêtais, Madame.
Je lui réponds sans lâcher des yeux le braquemart tant convoité.
Sans relever ma réponse, elle m’interroge encore :
— Quels sont les endroits du corps de ce mâle qui vont lui permettre de prendre plaisir ?
Je rougis et désignant du bout du doigt le gland violacé et balbutie :
— Ce… cette extrémité rouge ?
Elle fronce les sourcils et répond :
—
Voilà qui est bien réducteur ; je vous pensais plus éclairée sur le
sujet. C’est en effet l’une des zones importantes, mais il vous faut
prendre en compte d’autres parties de l’homme pour le rendre heureux, ou
du moins satisfait.
Devant mon absence de réaction, elle se
lance dans une tribune digne de monsieur de Robespierre (dont les
journaux de la « république » naissante ne cessent de se faire écho) :
—
Sachez, ma mie, que l’homme est comme nous : il a diverses zones
érogènes. La première est le regard ; vous le constaterez dans un
instant, lorsque vous quitterez vos habits. Ensuite, toute sa peau peut
s’électriser à votre contact. Les mamelons sont, comme pour nous, des
endroits riches de sensations ; son sexe aussi, bien sûr, mais il ne
faut en oublier aucun recoin. Et enfin les fesses, jolies et rebondies,
sont tout comme nous, les femmes, particulièrement sensibles à une
introduction. D’autres endroits encore sont à prendre en compte, mais
commençons simplement.
Tout en débitant son cours magistral, elle
l’illustre par ses gestes, et promenant ses doigts gantés sur le corps
de mon Apollon, caresse une à unes les zones citées.
Madame de
Pougy abandonne alors mon bel amour et s’avance vers moi, saisit le bord
supérieur de mon décolleté et le tire d’un coup sec vers le bas,
déchirant le fragile tissu et libérant partiellement ma poitrine déjà
difficilement contenue dans le carcan de mon corset. Passant sa main à
l’intérieur de ce rigide vêtement, elle fait jaillir mes seins de leur
logement.
Toute à l’explication de ma nouvelle préceptrice, je me
laisse manipuler tout en observant les réactions de l’homme nu face à
nous.
Jean, ne me quittant pas des yeux, voit alors surgir ma
poitrine blanche et rebondie ; je constate alors que ses prunelles se
sont allumées d’un nouvel éclat. Son mandrin semble également vouloir me
sauter au visage. Mes joues s’empourprent alors que je comprends mon
peu de savoir sur le sujet, et surtout devant l’impérieuse réaction de
l’homme à la simple vue de mes mamelles.
— Comprenez que ces
messieurs ont comme nous une partie spirituelle dans leur cerveau qui,
bien que largement mené par ce beau gourdin, apprécie la beauté de votre
corps. N’en est-ce pas la meilleure des illustrations ?
Je ne
parviens pas détacher mon regard de Jean et acquiesce d’un hochement de
tête. Mes pupilles ont dû, elles aussi, s’animer d’un nouveau feu, et
devant mon air gourmand et pourtant timide, elle ajoute alors :
—
Ne soyez pas surprise : vous avez un corps de diablesse, et vous allez
apprendre à vous en servir. Cependant, vous n’aurez pour cette première
leçon aucun contact charnel avec le bel étalon ici présent. Voyons
maintenant comment il réagit à la vision du reste de votre anatomie.
Elle
frappe dans ses mains et apparaissent alors deux valets en livrée grise
qui commencent à me dévêtir. Une par une, les couches de tissu qui me
recouvrent sont retirées, et je me retrouve ne portant que ma culotte
bouffante de coton blanc. Cet effeuillage réalisé par des mains
visiblement expertes, en quelques minutes, m’a laissé sans voix et a
fait retomber l’excitation qui commençait à poindre.
Madame de
Pougy, qui jusque-là se tenait entre Jean et moi, s’écarte, laissant à
Jean tout le loisir de me découvrir dans le plus simple appareil. Les
bras croisés sur la poitrine, je baisse les yeux. Je sens que c’est
maintenant tout mon visage qui doit être cramoisi, tant il me brûle.
Ma
maîtresse me prend le menton et relève mon visage, m’obligeant à
affronter l’image du beau mâle encore plus « tendu » qu’il n’était tout à
l’heure.
Elle me glisse alors à l’oreille :
— Tournez-vous et finissez de vous dévêtir.
— Mais… il ne me reste plus que…
Devant mes balbutiements, elle prend un ton, un cran plus autoritaire :
— Cessez vos jérémiades et finissez ; qu’il vous découvre intégralement, et voyez comme tout son corps réagit à cette image.
Je
m’exécute et fais descendre le dernier artifice le long de mes jambes,
me penchant en avant pour finir de le retirer. Je prends alors
conscience que, dans cette position, mon « partenaire » n’ignore plus
rien de mon intimité. Je termine cependant mon geste et me tourne vers
lui, cachant avec difficulté, d’une main ma toison, de l’autre ma
poitrine, le tout sans grand succès.
Jean, quant à lui, est
également d’un joli rouge vif ; mais je soupçonne que ce n’est pas
l’humiliation qui le met dans cet état, en atteste la raideur –
particulièrement développée – qui orne son bas-ventre.
— Voyez
comme votre image l’a amené à une raideur parfaite. Voyons maintenant si
nous pouvons encore augmenter son excitation. Asseyez-vous dans le
fauteuil rose, écartez largement vos cuisses, et commencez à y poser vos
doigts.
À l’extrême limite de ce que je suis en capacité de
supporter, je me tourne vers elle, furibonde, prête à l’envoyer
promener, mais le regard noir qu’elle me lance, accompagné de sa main
qui presse sur mon épaule, me retiennent et je me plie à cette demande.
Je m’effondre dans ledit fauteuil et ne bouge plus.
Elle passe alors derrière moi, se penche à mon oreille et dit :
— Si vous ne le faites pas vous-même, j’appelle pour que l’on me prête main-forte, et c’est moi qui vous prodiguerai la caresse.
Devant
la menace d’être maintenue par la force, sûrement par son dévoué
personnel et humiliée, je préfère m’exécuter. Je pose alors ma main sur
ma toison, descendant doucement vers cette zone tendre et humide que je
connais si bien pour l’avoir déjà maintes fois parcourue.
Dans un souffle, et sans quitter sa place dans mon dos, madame de Pougy ajoute :
—
Observez le tout en œuvrant : regardez ses doigts coulisser sur son
manche ; admirez avec quelle rapidité sa dextre va le conduire au
plaisir.
J’avoue que la vision de mon Jean s’astiquant le cyclope
m’excite terriblement ; j’accélère moi-même ma caresse sur ce bouton
sensible que j’ai entre les cuisses. Je le regarde jouir et cracher sa
semence sur le sol dans un grognement de satisfaction.
— Vous
voyez ? Ce que je vous ai dit se confirme : la vision de votre corps l’a
conduit non seulement à se caresser seul, mais l’a si bien excité qu’il
a joui en vous regardant. Cessez votre masturbation ; il n’est pas
encore temps de jouir.
— Mais… mais je suis terriblement… prête !
Devant
cette dernière complainte qui s’est échappée bien involontairement de
ma bouche, la maîtresse des lieux retient avec peine un éclat de rire.
— Non, ma douce : tout juste humide.
Et
elle passe son index sur les lèvres de mon sexe, le portant à ses yeux
pour en vérifier l’humidité. Elle secoue la tête et lèche ce même doigt
avec délectation. Devant ma mine horrifiée, elle me déclare sans ambages
:
— Ne soyez pas surprise, mon enfant : la sexualité ne s’arrête
pas à un homme avec une femme ; mais il n’est pas encore temps de
parler de cela. Passons à table maintenant.
Je me lève, déçue et
frustrée. Je me tourne dans la pièce pour reprendre mes habits laissés
il y a quelques minutes sur un chevalet, mais ne trouve plus rien. Les
valets ont tout emporté.
« Je ne vais quand même pas me balader dans le plus simple appareil jusqu'à ma chambre ? »
Madame de Pougy a déjà quitté la pièce et se dirige vers un salon de
l’autre côté du hall d’entrée, où je l’entends me dire à haute voix :
— Rejoignez-nous sans attendre !
« Dans cette tenue ? » Je me demande quel esprit malin peut bien habiter cette femme. C’est donc nue que je fais mon entrée dans la salle à manger.
Une
grande table décorée de marqueterie trône en plein centre, entourée,
comme il se doit de douze chaises. La lumière vive des chandeliers
éclaire une pièce richement décorée de tentures, de tableaux et de
meubles de belle facture.
Le souper y est dressé, et madame de Pougy
s’est installée en son extrémité, en maîtresse de maison. Ma cousine est
déjà installée à sa gauche. Deux couverts sont dressés à sa droite.
Elle m’en désigne un ; je suppose l’autre pour Jean, qui a dû avoir le
droit de retourner se vêtir.
Je m’assois donc nue à table et
arbore, pour ce faire, une jolie teinte rouge vif sur mon visage.
Humiliée, je baisse les yeux sur mon couvert, ne souhaitant adresser la
parole à aucun des protagonistes présents. Alors que ma cousine et ma «
préceptrice » échangent poliment sur les derniers événements parisiens,
on toque à la porte. Madame de Pougy se lève et s’avance vers la porte.
Jean l’ouvre en tenue de valet grise et annonce à haute voix :
— Monsieur le baron de Vrykolakas.
« Mon Dieu, ce n’est point imaginable ! »
Ces mots résonnent dans ma tête alors que le vieux baron entre dans le
salon. Ma cousine et madame Joséphine se sont levées pour accueillir
leur visiteur ; je devrais faire de même par bienséance, mais ma tenue
d’Ève me l’interdit.
L’homme n’est visiblement pas surpris, ni par le
fait que je sois à cette table, ni même par ma nudité. J’essaie de
déceler une émotion sur son visage froid, mais son regard est ailleurs.
J’ai moi-même la tête basse, et ce n’est que par de furtives œillades
que je suis le ballet des protagonistes présents dans la pièce.
L’homme
salue poliment les deux dames puis contourne ma chaise. Je sens son
regard sur moi, et encore une fois le sang envahit mon visage et me
chauffe les joues. Je n’ose même pas relever les yeux et saluer celui
qui sera sous peu mon époux.
Le baron ne s’intéresse pas plus
longtemps à ma personne et se met à échanger avec mon hôtesse. Il parle
de moi, de l’avancée de ma formation ; jamais il ne dit mon nom ou mon
prénom, se contentant d’un « elle » que je trouve d’une vulgarité
affligeante.
Madame de Pougy fait un rapport détaillé de ce qui s’est
passé en cette fin d’après midi, n’oubliant aucun détail. Je pense que
mon visage va s’enflammer littéralement, tant il est rouge et chaud de
honte. Le baron, après avoir attentivement écouté ma préceptrice, pose
une main froide sur mon épaule et dit simplement :
— Ne souffrez,
ma mie, aucune honte ; vous êtes divinement belle. Poursuivez avec
madame de Pougy, en qui j’ai toute confiance. Elle saura faire de vous
la femme parfaite, et ne craignez rien de moi : j’ai pour vous de grands
desseins.
Osant à peine relever les yeux, je découvre enfin les
yeux du vieil homme, qui jusque-là me semblaient de glace, et qui
brûlent maintenant d’un feu nouveau. « Vieil homme » n’est d’ailleurs
plus tout à fait de rigueur : il me semble plus jeune aujourd’hui, à
peine une cinquantaine d’années, alors que je le pensais centenaire.
Il me regarde à nouveau et ajoute :
— Oui, douce Anne, un avenir magique et des émotions inimaginables pour vous, belle enfant.
Je
ne comprends pas ce qu’il souhaite me faire passer comme message, mais
cela a pour effet de me rassurer un peu sur l’homme et calmer le feu de
mes joues. Au moins je lui plais. Même sans fioritures, je lui plais.
On
lui sert un verre de vin de Porto et il informe madame Joséphine qu’il
ne peut rester plus longtemps, étant appelé sans tarder auprès d’un ami
mourant, un certain Jacques Duphly, compositeur, organiste et
claveciniste se mourant à Paris.
Madame de Pougy lui prodigue
quelques conseils pour sa sécurité car la capitale n’est pas un endroit
sûr pour la noblesse française ; le roi a même fait retirer les troupes
de la ville.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Madame : la nuit
qui tombe est mon alliée depuis longtemps, et je ne crains que peu de
créatures sur cette Terre.
Étrange discours de mon futur époux...
Peut-être un jour comprendrai-je ces mots qui, pour l’instant, me
semblent plus romanesques que réalistes.
À peine a-t-il tourné les talons que Madame claque des mains afin que le repas soit servi.
Toujours
nue, je commence à m’habituer à l’ambiance particulière qui règne dans
cette maison. Seuls les regards insistants de Jean – qui fait le service
– me mettent mal à l’aise. Mon joli prétendant me lorgne à chacune de
ses venues, et je sens que ses lourds regards agissent sur mon intimité.
Pas seulement sur la moiteur de mon sexe qui laisse maintenant échapper
un mince filet de liqueur entre mes cuisses que je serre autant que
possible pour ne pas tacher la chaise sur laquelle je suis assise, mais
aussi sur mes seins, qui petit à petit se tendent.
Mme de Pougy l’a remarqué et me dit alors :
—
Vous n’êtes pas à notre conversation, je le constate aisément ;
peut-être devrions nous poursuivre dans le salon bleu et assouvir la «
soif » que vous laissez transparaître.
Je baisse les yeux sur mon
assiette, faisant mine de pas avoir entendu ; et alors que je pense
m’être fait oublier de mon hôtesse, je sens des mains d’homme me saisir
sous les aisselles et me soulever de ma chaise. Je n’ai pas le temps de
réagir que déjà deux des laquais de Madame me traînent vers ce salon que
je ne connais pas.
Je tente bien de me débattre, mais je n’ai
pas suffisamment de force pour me libérer des poignes fermes qui
enserrent mes bras et mes poignets. En moins de temps qu’il ne faut pour
me rendre compte de ce qui m’arrive, je me retrouve bâillonnée et les
mains liées, allongée sur ce qui semble être un petit canapé. Ma tête
repose sur un coussin, et mes genoux sont posés sur un accoudoir. On
m’écarte les jambes de force, fixant mes chevilles si délicates, l’une
au pied avant du canapé, l’autre derrière le dossier. La position
impudique ainsi que mon bâillon me rendent folle, et je me débats tant
et plus.
L’ordre sec donné par ma tortionnaire est sans appel :
—
Cessez, jeune fille ! Il vous faut apprendre à maîtriser les signes
visibles de votre excitation. La punition est un bon moyen de vous
l’apprendre.
Jean, qui a lui aussi été entraîné de force dans ce
salon, se retrouve face à moi, entre mes cuisses, ne pouvant plus rien
ignorer de mon intimité.
— L’image, comme nous l’avons démontré
tout à l’heure, est un élément primaire de la sexualité. Voyez comme il
dévore votre intimité du regard... Essayez d’imaginer ce qu’il a en tête
en cet instant. Bien sûr qu’il aimerait vous baiser, ma douce. Il vous
baiserait sûrement mal, mais il vous baiserait.
On le fait mettre
nu, puis une femme de chambre au fort jolie minois vient s’agenouiller
sans un mot devant mon bel étalon. Légèrement de profil, je ne peux, moi
non plus, rien ignorer de son anatomie et de la somptueuse fellation
dont la demoiselle le gratifie.
La maîtresse de maison explique alors :
—
Il vous dévore du regard ; il imagine que c’est vous qui lui donnez ce
plaisir. Il vous regarde, et est excité de votre impudeur.
Je mouille tant et plus et ne lâche pas le regard de Jean, qui lui-même se perd dans le mien.
— Qu’on lui branle la motte !
Sur
ce nouvel ordre donné par madame de Pougy, un des valets en livrée
grise s’avance et entreprend de me masturber le sexe du bout de ses
doigts. Je fixe Jean dont les yeux commencent à s’égarer, tant le
plaisir qui lui est donné est intense. J’ai moi-même du mal à continuer à
soutenir son regard car je sens le plaisir monter de mes entrailles.
Jean
jouit avec moult gémissements, mais au moment où je vais atteindre
l’orgasme, madame de Pougy fait interrompre la masturbation. Frustrée,
je pousse sur mes hanches pour faire à nouveau entrer en moi les doigts
de mon masturbateur, qui s’est simplement arrêté mais les a laissés à
l’entrée palpitante de ma vulve ; mais rien n’y fait : l’homme obéit aux
ordres de sa maîtresse et ne me satisfait pas. Madame de Pougy
s’enquiert :
— Seriez-vous frustrée, ma belle ? Oui, sûrement.
C’est malheureusement souvent le cas avec les hommes. Apprenez à vous
satisfaire de ce qui vous est offert. La prochaine fois, vous viendrez
plus vite. Avez-vous appris, aujourd’hui, l’importance de l’image ?
Toujours bâillonnée, je ne peux que hocher du chef pour lui répondre.
—
Vous êtes ici pour apprendre, poursuit-elle ; demain, nous vous
donnerons un peu de satisfaction. Mais pour l’instant, vous allez être
mise dans votre lit, entravée, car je ne tolérerai pas de plaisirs
solitaires.
Quelques minutes plus tard on m’a enfilé ma chemise
de nuit, aidée pour mes ablutions, et couchée dans mon lit, mes mains
liées ensemble avec une corde autour de mon cou qui m’empêche de les
faire descendre plus bas que mes seins.
Quelle belle nuit je vais passer !
Auteur : Oshmonek
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