CHAPITRE 11:00
Les
mois passèrent et nous voilà arrivés au Noël suivant. Charlotte et
Thierry avaient invité toute la famille à réveillonner chez eux. C’était
la première fois que la famille était réunie depuis le mariage. Moi,
j’appréhendais surtout une chose : revoir Tatiana. Ma dernière
conversation avec elle avait été très dure, et j’ignorais comment elle
allait réagir en me revoyant. Je n’avais pas été correct avec elle.
Et
comme je le craignais, son bonjour fut des plus glaciaux. Visiblement,
elle m’en voulait encore. Et elle n’était pas la seule : ses parents
aussi. Il faut dire que je les avais déçus, eux qui espéraient de
grandes choses pour Tatiana et moi : j’avais mis fin d’un coup sec à
leurs doux rêves. Et l’ambiance était tendue comme cela avec tous les
membres de la famille de Tatiana. Seul Thierry se montrait un peu plus
chaleureux et faisait des efforts. Sûrement que Charlotte le lui avait
demandé.
Quoi qu’il en soit, j’essayai d’ignorer la situation et de faire comme si de rien n’était. « Après tout, cela aurait pu être pire… » me disais-je. Je participai à la fête comme tous, mais je me sentis rapidement de trop. J’étais persona non grata.
Ma sœur avait beau me rassurer, me disant que tout allait bien, j’avais
vraiment envie de quitter la soirée. Mais comme elle me pria de rester,
je fis un effort. Je restai, mais me mis plutôt à l’écart des autres,
les observant tour à tour. Tatiana avait l’air d’encore abuser de la
bouteille. Elle me jetait des regards tantôt noirs, tantôt suppliants.
C’en était trop, il me fallait prendre l’air.
Comme au mariage,
Tatiana ne fut pas longue à me rejoindre. Elle titubait légèrement. Elle
était déjà saoule. Je ne pus pas m’empêcher de me sentir coupable. Elle
se dirigea vers moi. La confrontation était donc venue.
— Qu’est-ce que j’ai fait de mal, bon sang ? se plaignit-elle. Je t’ai tout donné.
— Tu n’as rien fait de mal, lui dis-je. Tu es une femme merveilleuse.
— Alors pourquoi tu m’as quittée ? On allait si bien ensemble.
Je
ne sus pas quoi lui répondre. Je ne pouvais pas lui parler de ma
relation avec Charlotte qui me retenait prisonnier. Non, je ne pouvais
pas lui parler de ça. Et je ne voulais pas lui sortir de minables
excuses. Je n’avais rien à lui dire, alors je gardai le silence.
—
Au début, reprit-elle, j’ai cru qu’il y avait une autre femme dans
l’histoire, et que c’est pour ça que tu m’avais quittée. Mais non, tu es
resté célibataire tout ce temps. J’en déduis donc que c’est moi qui
n’allais pas, et que tu ne voulais pas de moi. Pourquoi personne ne veut
de moi ?
— Tu fais erreur, Tatiana. Tu es une femme merveilleuse, et
je te jure que j’ai adoré chaque moment que j’ai passé avec toi. Tu
trouveras un jour un homme qui saura te donner ce que tu désires, je te
le promets, mais cet homme ce n’est pas moi.
— Alors pourquoi ? Pourquoi ? s’emporta-t-elle, en larmes.
Elle
me porta des coups de poings désespérés sur l’épaule. Elle semblait
vraiment abattue. Elle était vraiment touchante. Je la pris dans mes
bras pour la calmer. Elle jeta sa tête sur mon épaule et fondit en
larmes. Je me sentais minable de lui avoir imposé cela. Elle ne le
méritait pas.
— Je suis désolé, lui murmurai-je à l’oreille.
C’est
alors qu’elle essaya de m’embrasser. Je ne fis malheureusement rien
pour l’en empêcher. Sa peine m’avait désarmé, et j’avais envie de la
consoler, de lui donner ce qu’elle attendait. C’était une erreur idiote,
mais je m’y plongeai dedans tête baissée. C’était lui donnait de
l’espoir alors que je ne pourrais jamais rien lui apporter. Mais il est
vrai qu’elle m’avait aussi beaucoup manqué. Je ne m’en étais pas rendu
compte jusque-là. La revoir, sentir son parfum et poser mes mains sur
son corps avait ravivé mes sentiments à son égard. Notre relation
n’avait pas duré longtemps mais nous avait bien marqués tous les deux.
Elle
se frotta contre moi ; sa langue glissait le long de la mienne. Le
temps semblait suspendu, et durant cet instant j’oubliai tout.
— Partons d’ici ensemble, supplia-t-elle. Allons chez moi.
— Non, ce serait une erreur, commençai-je à réaliser. Nous deux, c’est bel et bien fini.
— Alors commettons cette erreur, me dit-elle en enserrant mon sexe à travers mon pantalon. S’il te plaît...
Elle
commença à me masser l’entrejambe, et je ne fus pas long à réagir. Mais
mes remords étaient toujours là. Je ne voulais pas en rajouter. Mieux
valait donc couper court tout de suite. J’étais déjà allé trop loin en
me laissant embrasser. Je la repoussai donc. Elle était déboussolée et
perdue. Ne pouvant plus rien faire pour la consoler, je la laissai là et
je rentrai à l’intérieur.
L’atmosphère y était lourde. Le frais
de l’extérieur me manqua immédiatement, mais je me refusai à y
retourner. Charlotte me lança un petit sourire d’encouragement.
J’essayai donc de me mêler à la foule, sans beaucoup de succès. Tatiana
rentra plusieurs minutes après moi. Bien qu’elle tentait de le cacher,
on distinguait bien ses yeux humides. Elle se servit une coupe de
champagne et alla se jeter sur une chaise. J’éprouvais de la peine de la
voir ainsi.
— S’il vous plaît, nous héla Thierry, j’aimerais
avoir votre attention. Tout d’abord, merci à tous d’être venus, et
joyeux Noël !
— Ouais, joyeux Noël, crièrent les invités en chœur.
—
Merci, merci… Bien, reprit-il, si nous vous avons avec Charlotte tous
réunis ce soir, ce n’est pas seulement pour fêter Noël. Nous avons une
grande nouvelle à vous annoncer : ça y est, nous attendons notre premier
enfant.
Des acclamations de joie retentirent alors dans la
pièce. Pour moi, ce fut une nouvelle douche froide. Charlotte était
enceinte ; oui, mais de qui ? Merde, cette fois c’était réel. Jusqu’à
maintenant, l’évocation d’un bébé m’avait parue n’être qu’une
éventualité lointaine. Je n’y avais jamais vraiment songé, me contentant
juste des moments de bonheur que je passais avec Charlotte. Mais cette
fois, cela prenait une consistance bien plus tangible. Il serait là !
Quelques mois suffiraient pour qu’il pointe le bout de son nez.
Serait-il en bonne santé ? Merde, je réalisais soudain la folie dans
laquelle m’avait mené ma sœur. J’avais fermé les yeux jusque là, mais la
lumière m’éblouissait maintenant. J’avais la sensation d’avoir joué
avec le feu et de m’être brûlé les doigts. J’avais joué avec la vie d’un
être à venir, j’avais pris le risque qu’il naisse avec des problèmes de
consanguinité. Je me maudis sur le moment. Charlotte me lança un
sourire fier mais déchanta rapidement quand elle vit mon air sombre.
Suite
à cette annonce, je suivis l’exemple de Tatiana et commençai à
enchaîner les verres. J’avais vraiment envie de me changer les idées, de
ne plus penser à Tatiana, à ma présence non désirée et au futur bébé.
J’avais déjà bien chaud quand Charlotte vint me retrouver.
— Tu devrais te calmer un peu, me conseilla-t-elle. Tu risques de faire quelque chose que tu regretteras.
— Oh, tiens, ma sœur adorée ! fis-je, l’esprit embrumé. Toutes mes félicitations pour le… euh… le bébé !
— Tu vas bien ?
—
Bien sûr. Tu vas être maman, Thierry va être papa… enfin, normalement.
Et moi, je vais devenir… euh… bah moi, je vais rester moi !
Mes réponses eurent l’air de confirmer ses craintes.
— Zack, tu ne vas pas me lâcher, quand même ?
— Je… hésitai-je, tu n’es pas à moi. Tu ne le sauras jamais…
— Viens, me dit-elle en me prenant la main.
Elle
me tira jusqu’à sa chambre où elle nous enferma à clé. Je la regardais
avec des yeux interrogatifs sans savoir exactement pourquoi elle m’avait
mené ici. Elle se jeta sur moi pour m’embrasser. J’étais trop saoul
pour la repousser. Je me contentai de répondre à son baiser et à mes
pulsions. Mes mains s’engouffrèrent sous le tissu de sa robe pour venir
lui palper les globes fessiers. Elle mit soudain fin à notre contact
sans que je ne comprenne pourquoi.
— Je n’ai pas encore eu mon sucre d’orge de Noël, sourit-elle.
— Sucre d’orge ? Ah oui, compris-je. Ce n’est pas un peu risqué, avec tous les invités ?
—
Ce qu’il y a de bien avec l’inceste, c’est que c’est tellement tabou
que les gens ne s’imagineront pas que c’est en train d’arriver à deux
pas d’eux. Ça ne leur semblera pas bizarre que je m’enferme dans ma
chambre avec mon frère. Pour eux, nous ne ferons que discuter.
À
cause de l’alcool, je n’avais pas saisi tout son raisonnement, mais cela
me parut logique sur le coup. Alors je me laissai faire pour la suite.
Charlotte m’embrassa de nouveau en me palpant l’entrejambe qui ne mit
pas longtemps à se réveiller. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de
désirer ma sœur.
En quelques mouvements, mon sexe fut libéré et put s’ériger de toute sa longueur sous le regard gourmand de Charlotte.
Le
plaisir me gagna aussitôt que ses lèvres se posèrent sur mon gland. Une
langue coquine vint me le titiller. Charlotte me fixait dans les yeux,
me surveillant chaque instant m’abandonner au bien-être qu’elle me
procurait. Visiblement, elle était fière de l’effet qu’elle me faisait.
J’avais raison de penser qu’elle n’était pas à moi : c’est moi qui étais
à elle. J’étais son esclave. J’étais à sa merci. Je l’avais toujours
été, d’ailleurs, et elle me le rappelait à chaque fois qu’elle me
faisait découvrir des merveilles avec sa bouche. Elle me tenait par un
simple coup de langue. Charlotte était ma reine, ma déesse.
L’alcool
me faisait tourner la tête, mais ce n’était rien par rapport au plaisir
qui me submergeait. L’esprit embrumé, je me laissais bercer par les
vagues d’euphorie qui me gagnaient peu à peu. Encore une fois j’oubliais
mes problèmes. J’échappais à la réalité. Je me réfugiais dans un
paradis artificiel dont sa bouche était la clé. C’était une drogue pour
moi. Je savais que c’était mauvais et que je devrais trouver un jour le
courage d’y mettre un terme, mais j’étais – pour le moment – incapable
de résister. Je me sentais sans défense face à elle et à sa
détermination à me faire jouir. Et la diablesse savait y faire ! Elle
contrôlait parfaitement mon plaisir, sachant reculer l’instant fatidique
quand j’étais proche du précipice. Elle pouvait s’arranger pour me
faire tenir un long moment, ou elle pouvait me faire cracher en trente
secondes à peine si la fantaisie la prenait.
Sa langue et ses
lèvres faisaient des miracles. C’est ce qu’ils firent ce soir-là une
fois de plus. Le point de non-retour atteint, Charlotte me finit à la
main, son visage placé sous mon membre prêt à accueillir ma libération.
Son sourire carnassier magnifiait son visage. C’en était trop pour moi :
j’émis un râle puissant et déversai ma semence sur sa frimousse
triomphante. Elle accepta l’offrande avec joie. Mes jets lui aspergèrent
le menton, le nez, les paupières et le front. Une fois complètement
vidé, une langue récolta les dernières gouttes qui perlaient encore au
bout de mon sexe, et ses mains étalèrent ma semence sur tout son visage.
— Tu vois, frérot, je t’appartiens bien. Je te le promets, déclara-t-elle, le visage englué de sperme.
Non,
Charlotte ne m’appartenait pas. Elle avait beau me faire un tas de
promesses, elle avait beau me faire jouir par d’innombrables moyens, je
savais la vérité : elle ne m’appartenait pas. Ce n’était pas moi qui
m’endormais le soir et me réveillais le matin à ses côtés. Ce n’était
pas moi qui partageais les doux moments simples de la vie avec elle. Ce
n’était pas moi qui allais voir son enfant grandir, faire ses premiers
pas et dire ses premiers mots. Non, moi j’étais celui qui venait le soir
à dix-sept heures trente précises pour s’abandonner dans un éphémère
plaisir charnel et qui devait partir quasiment aussitôt l’affaire finie.
J’étais celui qui devait chaque fois laisser la place. J’étais celui
qui restait dans l’ombre. Je voulais pouvoir rester enlacé à ma sœur
après lui avoir fait l’amour. Je voulais continuer à respirer son odeur,
lui caresser les cheveux, et puis la regarder s’endormir sereinement
dans mes bras. Je voulais partager tous ces petits moments de tendresse
et d’amour. Non, elle ne m’appartenait pas. C’est à cette période que je
compris cela.
C’est bel et bien à Thierry qu’elle appartenait.
C’est à lui qu’elle avait dit oui, à lui qu’elle s’était liée, même si
elle me retrouvait le soir. Je ne pouvais plus me satisfaire de cette
situation. Même si la retrouver le soir était de vrais moments
d’abandon, même si elle s’offrait sans réserve, ces instants étaient
trop éphémères pour que cela me satisfasse. Je ressentais déjà ce
malaise depuis un moment sans parvenir à m’expliquer mon problème.
J’essayais de me convaincre que j’avais ce que je voulais, et que
j’avais toutes les raisons d’être heureux.
C’est l’annonce de
l’arrivée du bébé qui m’avait fait comprendre que je me mentais. C’est
lui qui m’avait ouvert les yeux, qui m’avait poussé à tout remettre en
question. J’avais pris des risques de faire venir au monde un être
consanguin dans le but de m’enchaîner encore plus solidement à ma sœur.
Tout ça pour quoi ? Pour une relation qui ne me satisfaisait pas ; pire,
qui me rendait finalement malheureux. En y réfléchissant, depuis le
début mon histoire avec Charlotte ne m’avait rien apporté de bon ; au
contraire, elle m’enfonçait de plus en plus dans une solitude. Je
m’étais renfermé sur moi et j’avais laissé plein d’occasions de m’en
sortir. Au début, c’était excitant. Même si je ressentais au fond de la
honte, transgresser un interdit était vivifiant. Je n’avais pas idée
alors des conséquences que cela entraînerait. Et puis, avec le temps,
les sentiments se sont développés. Je ne pouvais plus me passer d’elle
et des moments que nous partagions ensemble.
Alors, quand Thierry
est apparu dans nos vies, j’ai souffert. J’aurais pu en profiter pour
me détacher d’elle, mais le mal était déjà fait. C’était trop tard. Les
dégâts m’avaient affecté en profondeur sans que je ne m’en rende compte.
Ne désirant qu’une chose, j’ai laissé échapper tout ce qui aurait pu me
permettre de m’affranchir. J’ai négligé ma carrière et je me suis
retrouvé avec un job minable. J’ai négligé mes relations, trop obsédé
par ma sœur. J’ai aussi fini par faire du mal à mon entourage. Le plus
bel exemple reste Tatiana. C’est avec elle que j’ai été le plus près de
me libérer vraiment, mais encore une fois j’ai tout gâché. Je l’ai
laissée m’échapper pour retourner me vautrer dans mon mal. Je l’ai fait
souffrir alors que je m’étais pourtant attaché à elle. Et ça me faisait
mal de le savoir. Je me dis finalement qu’il restait peut-être de
l’espoir. Cette fois-ci, je me sentais vraiment prêt à mettre un terme
une bonne fois pour toute à ma relation avec Charlotte.
Au cours
des semaines qui suivirent Noël, je me surpris à rêver de plus en plus à
un avenir avec Tatiana. Vu ce qu’il s’était passé lors du réveillon, je
me dis que je n’aurais pas trop de difficulté à la reconquérir. Cet
espoir me faisait sourire et me redonnait du baume au cœur, alors je me
fis la promesse que j’en ferais une réalité. Mais avant de retourner
avec Tatiana, je me devais cette fois-ci de mettre bien fin à ma
relation avec Charlotte.
___________________________
CHAPITRE 12:00
C’est
au début du mois de février que je pris finalement mon courage à deux
mains. Je me rendis comme d’habitude au domicile de Charlotte et Thierry
à dix-sept heures trente. Je frappai et attendis, anxieux. J’avais
répété dans ma tête tout ce que je devais dire à ma sœur. Je m’étais
imaginé mille fois la scène pour me préparer au mieux et éviter de lui
céder. L’épreuve allait être difficile, mais je me devais de le faire.
Charlotte m’ouvrit, le sourire aux lèvres, et se jeta sur moi pour
m’embrasser.
Je ne répondis pas à son baiser, restant stoïque. Elle fit un pas en arrière et me regarda, l’air inquiet.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? hésita-t-elle.
— Je suis venu y mettre un terme. Je ne peux plus continuer.
— Quoi ?
Cela
se passa plus calmement que je ne l’avais imaginé. Dans ma tête, la
scène ne manquait pas de larmes et de cris, comme cela s’était passé
avec Tatiana. Là, au contraire, Charlotte m’écouta exposer mes raisons.
Je lui expliquai que notre relation ne me convenait pas. Je voulais
quelque chose de vrai. Je ne voulais plus devoir me cacher pour voler
quelques instants à un autre. Je lui expliquai que nous avions fait une
bêtise et que nous n’aurions jamais dû nous lancer dans cette voie. Il
était temps de mettre un terme afin que nous puissions chacun nous
épanouir de notre côté. Je lui parlai de tout ça, mais j’omis de lui
mentionner mon désir de retrouver Tatiana.
Charlotte m’écouta
attentivement. Une fois mon exposé fini, son regard était vide, comme
éteint. J’attendis quelques secondes une réponse de sa part, mais elle
s’obstina à garder le silence. Je venais de lui faire subir un choc.
Jusqu’à maintenant, c’était plutôt elle qui avait tenté de mettre fin à
notre relation, mais elle était à chaque fois revenue vers moi. Quant à
moi, je n’y avais jamais été préparé. Ce jour-là, j’étais enfin prêt. Il
était temps que cela s’arrête.
— Charlotte, comprends-tu pourquoi cela doit se finir ? tentai-je pour la faire réagir.
— Oui, répondit-elle doucement, l’air absent.
— Très bien… soupirai-je.
Je
ne voyais pas d’autres choses à dire, alors je me levai du canapé et me
dirigeai vers la sortie, le cœur battant la chamade et les bras
tremblants, quand soudain une voix plaintive me stoppa.
— Non, ne pars pas. Reste avec moi.
— Charlotte, il le faut. Nous nous faisons du mal à rester ensemble. Cela ne nous mènera nulle part.
— Je m’en fous, j’ai besoin de toi. Reste auprès de moi, supplia-t-elle.
Les
larmes commencèrent à couler tout doucement. Son regard, toujours vide,
laissait échapper de petites gouttes fines qui glissaient le long de
ses joues pour finalement s’écraser sur sa chemise blanche. Cette vision
m’humidifia les yeux. C’était plus dur que ce que je redoutais. J’avais
envie de la prendre dans mes bras, de la cajoler, de lui promettre de
rester toujours auprès d’elle et puis finalement l’embrasser. Je devais
rester fort et ne pas céder une nouvelle fois. Elle allait souffrir,
mais elle guérirait avec le temps. Peut-être que plus tard elle finirait
par me remercier d’avoir eu le courage de mettre fin à notre histoire.
— Je suis désolé, terminai-je avant de franchir sa porte et de l’entendre exploser en sanglots.
Ma
toute nouvelle liberté durement acquise avait une saveur douce-amère.
J’étais heureux d’être allé jusqu’au bout. Je me sentais affranchi.
J’avais la conviction que je pourrais enfin avancer dans la vie, et que
le bonheur n’était plus très loin maintenant. En même temps, Charlotte
commençait déjà à me manquer ; son sourire, son rire, son souffle, ses
courbes… La vision d’elle pleurant toutes les larmes de son corps me
hantait l’esprit. Je m’en voulais de lui causer du tort, même si c’était
nécessaire pour notre bien à tous les deux. Je dus résister plusieurs
fois à la tentation de prendre mon téléphone et de la rappeler.
Je
décidai de ne pas appeler tout de suite Tatiana. Déjà, je voulais que
les choses se calment un peu entre ma sœur et moi. Il me fallait du
temps pour réfléchir et pour me retrouver, effacer toutes traces de
Charlotte en moi. Pour être honnête, j’appréhendais aussi la réaction de
Tatiana. Je craignais qu’elle me rejette finalement ou qu’elle ait
refait sa vie depuis la fin décembre. Sur ce dernier point, il était
idiot d’attendre : plus j’attendais, moins il était probable que je
puisse la récupérer.
En tout cas, je profitai de cette liberté
pour me changer les idées. Je m’étais accordé exprès plusieurs jours de
congés où j’en profitai pour effectuer quelques balades en ville,
visiter des musées ou aller à des expositions d’artistes qui me
passionnaient. Je retrouvai le quotidien d’un célibataire se préoccupant
essentiellement de ses besoins. Je dois dire que cela me fit un bien
fou. Même si Charlotte était encore bien présente dans mes pensées, ces
quelques divertissements me permirent de m’aérer l’esprit. C’est la nuit
que ma sœur me hantait le plus. Elle envahissait quasiment à chaque
fois mes rêves, me faisant revivre des scènes de notre histoire.
C’était l’accalmie avant la tempête. La suite révéla que je n’avais pas encore fini d’en baver…
Cela
se passa le jour de la Saint-Valentin. Je n’avais rien vu venir, mais
ma vie allait être une nouvelle fois chamboulée. Alors que j’étais
plongé dans la lecture d’un livre traitant des croisades, un coup de fil
me fit sursauter. Je regardai rapidement le numéro qui s’affichait sur
mon portable : c’était Charlotte. Une boule me noua le ventre. J’hésitai
de longues secondes à décrocher, ayant l’intime pressentiment que
j’allais le regretter, mais je ne pouvais me permettre d’ignorer ma sœur
toute ma vie. Un jour ou l’autre, il faudrait bien que je la recroise.
Je décrochai…
— Allô ?
— Zack, commença-t-elle avec une voix tremblante. J’ai tout dit à Thierry.
— Quoi ? fis-je, surpris. Tu lui as dit quoi au juste ?
— Je lui ai tout dit pour nous deux, depuis le début jusqu’à la dernière fois où tu es venu. Il est au courant de tout.
— Oh, mon Dieu ! Mais pourquoi as-tu fait ça ?
—
J’ai fait une erreur, expliqua-t-elle. Je n’aurais jamais dû aller avec
lui. Je n’aurais jamais dû l’épouser. C’est avec toi que j’aurais dû
rester. Je t’aime, grand frère, toi, et toi seul. J’ai besoin de toi. Il
m’a traité de salope, de putain, et d’un tas d’autres noms. Il était
dans une colère noire, mais je me fous de ce qu’il peut en penser, je me
fous de ce que les autres vont penser : c’est toi que je veux. Les gens
vont nous juger, mais je les emmerde. Ils ne peuvent pas comprendre. Je
sais ce que je veux, et je n’ai désormais plus peur de l’admettre. Je
ne te quitterai plus jamais. Désormais, je serai complètement à toi. Je
veux t’offrir la relation que tu attends de moi. Alors tu vois, nous
avons finalement un avenir ensemble.
— Bon sang, Charlotte, mais c’est complètement fou ! Où es-tu, là ? Il faut qu’on en parle plus calmement.
—
Je suis au volant. J’ai pris toutes mes affaires et je me dirige vers
chez toi. Je serai bientôt là, mon amour. Nous pourrons enfin commencer
notre vie ensemble.
— Tu es au volant ? Dans ce cas, tu devrais raccrocher avant d’avoir un accident. On en reparle lorsque tu seras là.
— OK. Je t’aime, mon amour.
— Moi aussi, admis-je.
Je
n’en croyais pas mes oreilles ! Charlotte avait tout révélé et m’avait
finalement choisi. Voilà qui changeait absolument toute la donne : une
nouvelle possibilité venait de s’offrir à moi. Désormais, un avenir
était possible avec ma sœur. Mon cœur battait la chamade à cette
éventualité. Tout ce que je désirais, elle pouvait maintenant me
l’offrir. Nous pouvions démarrer une autre vie ailleurs. Repartir de
zéro ensemble, loin de tous. C’était trop beau pour être vrai.
Il
y avait toujours Tatiana. Même si je ne l’avais toujours pas
recontactée, j’avais vécu les dernières semaines avec l’espoir de
construire mon avenir avec elle. Elle seule pouvait m’offrir ce futur,
mais maintenant ce n’était plus le cas. Il me fallait faire un choix.
J’avais beau délibérer, essayant de me convaincre qu’un avenir avec
Charlotte était de la folie, que malgré les nouvelles circonstances cela
n’allait rien apporter de bon, je savais au fond de moi que j’avais
déjà pris ma décision. Charlotte allait se jeter dans mes bras à son
arrivée, et je l’accueillerais à bras ouverts. Peu importent les
conséquences, la vie m’apportait enfin celle que j’avais toujours aimée.
Peu importent mes sentiments envers Tatiana, ils ne faisaient pas le
poids.
C’est donc avec une impatience extrême que j’attendis
l’arrivée de ma sœur, mais elle n’atteignit jamais ma porte. C’est à
peine à deux rues de chez moi que cela se passa. Un conducteur ivre
grilla le feu rouge et percuta sur le flanc de sa voiture, provoquant un
terrible carambolage dont l’une des victimes fut Charlotte.
Mon
monde s’arrêta quand je découvris l’accident. Mon cœur s’arrêta de
battre. Je ne pouvais croire ce qu’il se passait. Cela ne pouvait pas
être possible. Elle était prête à me rejoindre. Elle était tout proche,
et soudainement elle disparaissait ? Mais pourquoi ?
La vie est
une garce : elle vous offre quelque chose et vous le reprend juste
après. Merde, je la maudissais, cette garce ! Très vite, je me persuadai
que tout était de ma faute. C’était moi qui avais causé tout ça. Si je
n’avais pas commencé ma relation avec elle, elle serait toujours en vie.
C’était mon égoïsme qui avait causé sa perte et celle de l’être qui
grandissait dans ses entrailles. J’étais l’aîné : j’aurais dû savoir la
repousser quand elle s’est intéressée de trop près à mes désirs
incestueux. Tout était de ma faute.
Plus rien n’avait de goût
après sa mort, plus rien ne m’intéressait. Je me sentais vide à
l’intérieur. Pourquoi me levais-je encore le matin ? J’étais
complètement perdu…
Son enterrement eut lieu environ une semaine
après. Il y avait peu de personnes. Mes parents étaient là, effondrés.
J’arrivais à peine à les regarder dans les yeux ; ils ignoraient encore
toute la vérité. J’étais incapable de leur avouer que tout était de ma
faute. Je fus surpris de voir que Thierry et Tatiana étaient quand même
venus. C’était les seuls membres de leur famille à être présents. Ils ne
m’ont pas adressé la parole lors de la cérémonie. Ce n’est qu’après,
quand les quelques autres personnes ont commencé à partir, que Tatiana
se dirigea vers moi, le visage sombre.
— Alors, tu es content de toi ? Vois ce que tu as provoqué ! cracha-t-elle en colère.
— Je… je n’ai jamais voulu ça, murmurai-je à moi-même.
—
Et moi dans tout ça, me gifla-t-elle, qu’est-ce que j’ai été pour toi ?
Une vulgaire passade lorsque tu n’as pas pu sauter ta sœur ? Je croyais
avoir compté pour toi, mais je n’étais qu’un bouche-trou. Tu me
dégoûtes !
Elle pleurait, elle déversait toute sa rage sur moi.
Je la comprenais. Elle ne pouvait pas savoir qu’elle avait été bien plus
que ça, une lumière dans l’obscurité. J’aurais pu le lui dire, mais je
savais qu’elle ne m’aurait pas écouté. Et puis, plus rien n’importait
maintenant. Je la regardais s’énerver contre moi sans rien dire. Je
voulais surtout rentrer chez moi et trouver un moyen de noyer tout ce
chagrin.
— Viens, Tatiana, dit Thierry en l’attrapant par la main. Laisse-le. Il n’en vaut pas la peine.
Je
les vis s’éloigner, puis disparaître au loin. Ce fut la dernière fois
que je les vis. Ma mère s’est avancée vers moi, le visage déboussolé.
— Qu’est-ce qu’ils ont voulu dire ? chercha-t-elle à comprendre.
Je posai mes yeux complètement vides sur elle, la fixai pendant quelques secondes, et partis finalement sans dire un mot.
Et voilà toute mon histoire.
___________________________
— Eh bien, nous avons fait un énorme pas cette semaine.
— Oui, c’est bien la première fois que je parle de tout cela à quelqu’un.
— Comment vous sentez-vous ?
—
Je dois reconnaître que cela m’a fait du bien d’en parler. C’est comme
si je m’étais débarrassé d’un poids qui pesait sur mes épaules et
m’empêchait d’avancer pendant toutes ces années. Ça a été dur, après
l’enterrement. En fait, ça n’allait pas depuis bien longtemps. Les
choses ont vraiment commencé au début de ma relation avec Charlotte,
mais elles ne se sont pas terminées après l’enterrement. Je pensais
qu’une fois mon deuil terminé je pourrais repartir, mettre cette
histoire de côté et redémarrer une nouvelle vie, mais tout me hantait
encore jour et nuit. C’était devenu invivable. Je me sentais vide,
perdu… Je n’avais plus goût à rien. Je me laissais sombrer. C’était
devenu trop lourd, il me fallait faire quelque chose.
— Oui, en
effet, c’est un sacré poids... La honte, les remords, la culpabilité,
l’impossibilité de la relation, les désirs inassouvis, puis le décès
inattendu de votre sœur mettant fin brutalement à votre conflit interne
avant que vous ayez pu complètement le résoudre, vous plongeant dans le
désarroi le plus total, tout ça vous a marqué profondément et vous a
empêché d’avancer. L’inceste n’est pas rien. Il a souvent de très
lourdes conséquences psychologiques. Mais même sans tenir compte du
caractère incestueux, votre relation avec votre sœur a été vraiment
chaotique et ne vous a pas permis de vous construire une vie stable.
Mais au moins, parler de votre histoire montre que vous prenez au
sérieux votre thérapie et que vous avez vraiment décidé de reprendre
votre vie en main. Vous êtes sur la bonne voie. Ne perdez pas courage.
— Merci, Docteur Gussman.
—
Bon, pour la prochaine séance j’aimerais revenir sur plusieurs points
précis de votre histoire. On se donne rendez-vous la semaine prochaine ?
Même jour, même heure ?
— Oui, Docteur. Lundi, dix-sept heures trente me va très bien.
FIN
Auteur : Nathan Kari
Beau boulot !
RépondreSupprimerMerci ^^
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