jeudi 1 septembre 2016

Dix-sept heures trente (6)

Relire les chapitres 9 et 10

CHAPITRE 11:00


Les mois passèrent et nous voilà arrivés au Noël suivant. Charlotte et Thierry avaient invité toute la famille à réveillonner chez eux. C’était la première fois que la famille était réunie depuis le mariage. Moi, j’appréhendais surtout une chose : revoir Tatiana. Ma dernière conversation avec elle avait été très dure, et j’ignorais comment elle allait réagir en me revoyant. Je n’avais pas été correct avec elle.
Et comme je le craignais, son bonjour fut des plus glaciaux. Visiblement, elle m’en voulait encore. Et elle n’était pas la seule : ses parents aussi. Il faut dire que je les avais déçus, eux qui espéraient de grandes choses pour Tatiana et moi : j’avais mis fin d’un coup sec à leurs doux rêves. Et l’ambiance était tendue comme cela avec tous les membres de la famille de Tatiana. Seul Thierry se montrait un peu plus chaleureux et faisait des efforts. Sûrement que Charlotte le lui avait demandé.

Quoi qu’il en soit, j’essayai d’ignorer la situation et de faire comme si de rien n’était. « Après tout, cela aurait pu être pire… » me disais-je. Je participai à la fête comme tous, mais je me sentis rapidement de trop. J’étais persona non grata. Ma sœur avait beau me rassurer, me disant que tout allait bien, j’avais vraiment envie de quitter la soirée. Mais comme elle me pria de rester, je fis un effort. Je restai, mais me mis plutôt à l’écart des autres, les observant tour à tour. Tatiana avait l’air d’encore abuser de la bouteille. Elle me jetait des regards tantôt noirs, tantôt suppliants. C’en était trop, il me fallait prendre l’air.

Comme au mariage, Tatiana ne fut pas longue à me rejoindre. Elle titubait légèrement. Elle était déjà saoule. Je ne pus pas m’empêcher de me sentir coupable. Elle se dirigea vers moi. La confrontation était donc venue.

— Qu’est-ce que j’ai fait de mal, bon sang ? se plaignit-elle. Je t’ai tout donné.
— Tu n’as rien fait de mal, lui dis-je. Tu es une femme merveilleuse.
— Alors pourquoi tu m’as quittée ? On allait si bien ensemble.

Je ne sus pas quoi lui répondre. Je ne pouvais pas lui parler de ma relation avec Charlotte qui me retenait prisonnier. Non, je ne pouvais pas lui parler de ça. Et je ne voulais pas lui sortir de minables excuses. Je n’avais rien à lui dire, alors je gardai le silence.

— Au début, reprit-elle, j’ai cru qu’il y avait une autre femme dans l’histoire, et que c’est pour ça que tu m’avais quittée. Mais non, tu es resté célibataire tout ce temps. J’en déduis donc que c’est moi qui n’allais pas, et que tu ne voulais pas de moi. Pourquoi personne ne veut de moi ?
— Tu fais erreur, Tatiana. Tu es une femme merveilleuse, et je te jure que j’ai adoré chaque moment que j’ai passé avec toi. Tu trouveras un jour un homme qui saura te donner ce que tu désires, je te le promets, mais cet homme ce n’est pas moi.
— Alors pourquoi ? Pourquoi ? s’emporta-t-elle, en larmes.

Elle me porta des coups de poings désespérés sur l’épaule. Elle semblait vraiment abattue. Elle était vraiment touchante. Je la pris dans mes bras pour la calmer. Elle jeta sa tête sur mon épaule et fondit en larmes. Je me sentais minable de lui avoir imposé cela. Elle ne le méritait pas.

— Je suis désolé, lui murmurai-je à l’oreille.

C’est alors qu’elle essaya de m’embrasser. Je ne fis malheureusement rien pour l’en empêcher. Sa peine m’avait désarmé, et j’avais envie de la consoler, de lui donner ce qu’elle attendait. C’était une erreur idiote, mais je m’y plongeai dedans tête baissée. C’était lui donnait de l’espoir alors que je ne pourrais jamais rien lui apporter. Mais il est vrai qu’elle m’avait aussi beaucoup manqué. Je ne m’en étais pas rendu compte jusque-là. La revoir, sentir son parfum et poser mes mains sur son corps avait ravivé mes sentiments à son égard. Notre relation n’avait pas duré longtemps mais nous avait bien marqués tous les deux.

Elle se frotta contre moi ; sa langue glissait le long de la mienne. Le temps semblait suspendu, et durant cet instant j’oubliai tout.

— Partons d’ici ensemble, supplia-t-elle. Allons chez moi.
— Non, ce serait une erreur, commençai-je à réaliser. Nous deux, c’est bel et bien fini.
— Alors commettons cette erreur, me dit-elle en enserrant mon sexe à travers mon pantalon. S’il te plaît...

Elle commença à me masser l’entrejambe, et je ne fus pas long à réagir. Mais mes remords étaient toujours là. Je ne voulais pas en rajouter. Mieux valait donc couper court tout de suite. J’étais déjà allé trop loin en me laissant embrasser. Je la repoussai donc. Elle était déboussolée et perdue. Ne pouvant plus rien faire pour la consoler, je la laissai là et je rentrai à l’intérieur.

L’atmosphère y était lourde. Le frais de l’extérieur me manqua immédiatement, mais je me refusai à y retourner. Charlotte me lança un petit sourire d’encouragement. J’essayai donc de me mêler à la foule, sans beaucoup de succès. Tatiana rentra plusieurs minutes après moi. Bien qu’elle tentait de le cacher, on distinguait bien ses yeux humides. Elle se servit une coupe de champagne et alla se jeter sur une chaise. J’éprouvais de la peine de la voir ainsi.

— S’il vous plaît, nous héla Thierry, j’aimerais avoir votre attention. Tout d’abord, merci à tous d’être venus, et joyeux Noël !
— Ouais, joyeux Noël, crièrent les invités en chœur.
— Merci, merci… Bien, reprit-il, si nous vous avons avec Charlotte tous réunis ce soir, ce n’est pas seulement pour fêter Noël. Nous avons une grande nouvelle à vous annoncer : ça y est, nous attendons notre premier enfant.

Des acclamations de joie retentirent alors dans la pièce. Pour moi, ce fut une nouvelle douche froide. Charlotte était enceinte ; oui, mais de qui ? Merde, cette fois c’était réel. Jusqu’à maintenant, l’évocation d’un bébé m’avait parue n’être qu’une éventualité lointaine. Je n’y avais jamais vraiment songé, me contentant juste des moments de bonheur que je passais avec Charlotte. Mais cette fois, cela prenait une consistance bien plus tangible. Il serait là ! Quelques mois suffiraient pour qu’il pointe le bout de son nez. Serait-il en bonne santé ? Merde, je réalisais soudain la folie dans laquelle m’avait mené ma sœur. J’avais fermé les yeux jusque là, mais la lumière m’éblouissait maintenant. J’avais la sensation d’avoir joué avec le feu et de m’être brûlé les doigts. J’avais joué avec la vie d’un être à venir, j’avais pris le risque qu’il naisse avec des problèmes de consanguinité. Je me maudis sur le moment. Charlotte me lança un sourire fier mais déchanta rapidement quand elle vit mon air sombre.

Suite à cette annonce, je suivis l’exemple de Tatiana et commençai à enchaîner les verres. J’avais vraiment envie de me changer les idées, de ne plus penser à Tatiana, à ma présence non désirée et au futur bébé. J’avais déjà bien chaud quand Charlotte vint me retrouver.

— Tu devrais te calmer un peu, me conseilla-t-elle. Tu risques de faire quelque chose que tu regretteras.
— Oh, tiens, ma sœur adorée ! fis-je, l’esprit embrumé. Toutes mes félicitations pour le… euh… le bébé !
— Tu vas bien ?
— Bien sûr. Tu vas être maman, Thierry va être papa… enfin, normalement. Et moi, je vais devenir… euh… bah moi, je vais rester moi !

Mes réponses eurent l’air de confirmer ses craintes.

— Zack, tu ne vas pas me lâcher, quand même ?
— Je… hésitai-je, tu n’es pas à moi. Tu ne le sauras jamais…
— Viens, me dit-elle en me prenant la main.

Elle me tira jusqu’à sa chambre où elle nous enferma à clé. Je la regardais avec des yeux interrogatifs sans savoir exactement pourquoi elle m’avait mené ici. Elle se jeta sur moi pour m’embrasser. J’étais trop saoul pour la repousser. Je me contentai de répondre à son baiser et à mes pulsions. Mes mains s’engouffrèrent sous le tissu de sa robe pour venir lui palper les globes fessiers. Elle mit soudain fin à notre contact sans que je ne comprenne pourquoi.

— Je n’ai pas encore eu mon sucre d’orge de Noël, sourit-elle.
— Sucre d’orge ? Ah oui, compris-je. Ce n’est pas un peu risqué, avec tous les invités ?
— Ce qu’il y a de bien avec l’inceste, c’est que c’est tellement tabou que les gens ne s’imagineront pas que c’est en train d’arriver à deux pas d’eux. Ça ne leur semblera pas bizarre que je m’enferme dans ma chambre avec mon frère. Pour eux, nous ne ferons que discuter.

À cause de l’alcool, je n’avais pas saisi tout son raisonnement, mais cela me parut logique sur le coup. Alors je me laissai faire pour la suite. Charlotte m’embrassa de nouveau en me palpant l’entrejambe qui ne mit pas longtemps à se réveiller. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de désirer ma sœur.
En quelques mouvements, mon sexe fut libéré et put s’ériger de toute sa longueur sous le regard gourmand de Charlotte.

Le plaisir me gagna aussitôt que ses lèvres se posèrent sur mon gland. Une langue coquine vint me le titiller. Charlotte me fixait dans les yeux, me surveillant chaque instant m’abandonner au bien-être qu’elle me procurait. Visiblement, elle était fière de l’effet qu’elle me faisait. J’avais raison de penser qu’elle n’était pas à moi : c’est moi qui étais à elle. J’étais son esclave. J’étais à sa merci. Je l’avais toujours été, d’ailleurs, et elle me le rappelait à chaque fois qu’elle me faisait découvrir des merveilles avec sa bouche. Elle me tenait par un simple coup de langue. Charlotte était ma reine, ma déesse.

L’alcool me faisait tourner la tête, mais ce n’était rien par rapport au plaisir qui me submergeait. L’esprit embrumé, je me laissais bercer par les vagues d’euphorie qui me gagnaient peu à peu. Encore une fois j’oubliais mes problèmes. J’échappais à la réalité. Je me réfugiais dans un paradis artificiel dont sa bouche était la clé. C’était une drogue pour moi. Je savais que c’était mauvais et que je devrais trouver un jour le courage d’y mettre un terme, mais j’étais – pour le moment – incapable de résister. Je me sentais sans défense face à elle et à sa détermination à me faire jouir. Et la diablesse savait y faire ! Elle contrôlait parfaitement mon plaisir, sachant reculer l’instant fatidique quand j’étais proche du précipice. Elle pouvait s’arranger pour me faire tenir un long moment, ou elle pouvait me faire cracher en trente secondes à peine si la fantaisie la prenait.

Sa langue et ses lèvres faisaient des miracles. C’est ce qu’ils firent ce soir-là une fois de plus. Le point de non-retour atteint, Charlotte me finit à la main, son visage placé sous mon membre prêt à accueillir ma libération. Son sourire carnassier magnifiait son visage. C’en était trop pour moi : j’émis un râle puissant et déversai ma semence sur sa frimousse triomphante. Elle accepta l’offrande avec joie. Mes jets lui aspergèrent le menton, le nez, les paupières et le front. Une fois complètement vidé, une langue récolta les dernières gouttes qui perlaient encore au bout de mon sexe, et ses mains étalèrent ma semence sur tout son visage.

— Tu vois, frérot, je t’appartiens bien. Je te le promets, déclara-t-elle, le visage englué de sperme.

Non, Charlotte ne m’appartenait pas. Elle avait beau me faire un tas de promesses, elle avait beau me faire jouir par d’innombrables moyens, je savais la vérité : elle ne m’appartenait pas. Ce n’était pas moi qui m’endormais le soir et me réveillais le matin à ses côtés. Ce n’était pas moi qui partageais les doux moments simples de la vie avec elle. Ce n’était pas moi qui allais voir son enfant grandir, faire ses premiers pas et dire ses premiers mots. Non, moi j’étais celui qui venait le soir à dix-sept heures trente précises pour s’abandonner dans un éphémère plaisir charnel et qui devait partir quasiment aussitôt l’affaire finie. J’étais celui qui devait chaque fois laisser la place. J’étais celui qui restait dans l’ombre. Je voulais pouvoir rester enlacé à ma sœur après lui avoir fait l’amour. Je voulais continuer à respirer son odeur, lui caresser les cheveux, et puis la regarder s’endormir sereinement dans mes bras. Je voulais partager tous ces petits moments de tendresse et d’amour. Non, elle ne m’appartenait pas. C’est à cette période que je compris cela.

C’est bel et bien à Thierry qu’elle appartenait. C’est à lui qu’elle avait dit oui, à lui qu’elle s’était liée, même si elle me retrouvait le soir. Je ne pouvais plus me satisfaire de cette situation. Même si la retrouver le soir était de vrais moments d’abandon, même si elle s’offrait sans réserve, ces instants étaient trop éphémères pour que cela me satisfasse. Je ressentais déjà ce malaise depuis un moment sans parvenir à m’expliquer mon problème. J’essayais de me convaincre que j’avais ce que je voulais, et que j’avais toutes les raisons d’être heureux.

C’est l’annonce de l’arrivée du bébé qui m’avait fait comprendre que je me mentais. C’est lui qui m’avait ouvert les yeux, qui m’avait poussé à tout remettre en question. J’avais pris des risques de faire venir au monde un être consanguin dans le but de m’enchaîner encore plus solidement à ma sœur. Tout ça pour quoi ? Pour une relation qui ne me satisfaisait pas ; pire, qui me rendait finalement malheureux. En y réfléchissant, depuis le début mon histoire avec Charlotte ne m’avait rien apporté de bon ; au contraire, elle m’enfonçait de plus en plus dans une solitude. Je m’étais renfermé sur moi et j’avais laissé plein d’occasions de m’en sortir. Au début, c’était excitant. Même si je ressentais au fond de la honte, transgresser un interdit était vivifiant. Je n’avais pas idée alors des conséquences que cela entraînerait. Et puis, avec le temps, les sentiments se sont développés. Je ne pouvais plus me passer d’elle et des moments que nous partagions ensemble.

Alors, quand Thierry est apparu dans nos vies, j’ai souffert. J’aurais pu en profiter pour me détacher d’elle, mais le mal était déjà fait. C’était trop tard. Les dégâts m’avaient affecté en profondeur sans que je ne m’en rende compte. Ne désirant qu’une chose, j’ai laissé échapper tout ce qui aurait pu me permettre de m’affranchir. J’ai négligé ma carrière et je me suis retrouvé avec un job minable. J’ai négligé mes relations, trop obsédé par ma sœur. J’ai aussi fini par faire du mal à mon entourage. Le plus bel exemple reste Tatiana. C’est avec elle que j’ai été le plus près de me libérer vraiment, mais encore une fois j’ai tout gâché. Je l’ai laissée m’échapper pour retourner me vautrer dans mon mal. Je l’ai fait souffrir alors que je m’étais pourtant attaché à elle. Et ça me faisait mal de le savoir. Je me dis finalement qu’il restait peut-être de l’espoir. Cette fois-ci, je me sentais vraiment prêt à mettre un terme une bonne fois pour toute à ma relation avec Charlotte.

Au cours des semaines qui suivirent Noël, je me surpris à rêver de plus en plus à un avenir avec Tatiana. Vu ce qu’il s’était passé lors du réveillon, je me dis que je n’aurais pas trop de difficulté à la reconquérir. Cet espoir me faisait sourire et me redonnait du baume au cœur, alors je me fis la promesse que j’en ferais une réalité. Mais avant de retourner avec Tatiana, je me devais cette fois-ci de mettre bien fin à ma relation avec Charlotte.


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CHAPITRE 12:00


C’est au début du mois de février que je pris finalement mon courage à deux mains. Je me rendis comme d’habitude au domicile de Charlotte et Thierry à dix-sept heures trente. Je frappai et attendis, anxieux. J’avais répété dans ma tête tout ce que je devais dire à ma sœur. Je m’étais imaginé mille fois la scène pour me préparer au mieux et éviter de lui céder. L’épreuve allait être difficile, mais je me devais de le faire. Charlotte m’ouvrit, le sourire aux lèvres, et se jeta sur moi pour m’embrasser.
Je ne répondis pas à son baiser, restant stoïque. Elle fit un pas en arrière et me regarda, l’air inquiet.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? hésita-t-elle.
— Je suis venu y mettre un terme. Je ne peux plus continuer.
— Quoi ?

Cela se passa plus calmement que je ne l’avais imaginé. Dans ma tête, la scène ne manquait pas de larmes et de cris, comme cela s’était passé avec Tatiana. Là, au contraire, Charlotte m’écouta exposer mes raisons. Je lui expliquai que notre relation ne me convenait pas. Je voulais quelque chose de vrai. Je ne voulais plus devoir me cacher pour voler quelques instants à un autre. Je lui expliquai que nous avions fait une bêtise et que nous n’aurions jamais dû nous lancer dans cette voie. Il était temps de mettre un terme afin que nous puissions chacun nous épanouir de notre côté. Je lui parlai de tout ça, mais j’omis de lui mentionner mon désir de retrouver Tatiana.

Charlotte m’écouta attentivement. Une fois mon exposé fini, son regard était vide, comme éteint. J’attendis quelques secondes une réponse de sa part, mais elle s’obstina à garder le silence. Je venais de lui faire subir un choc. Jusqu’à maintenant, c’était plutôt elle qui avait tenté de mettre fin à notre relation, mais elle était à chaque fois revenue vers moi. Quant à moi, je n’y avais jamais été préparé. Ce jour-là, j’étais enfin prêt. Il était temps que cela s’arrête.

— Charlotte, comprends-tu pourquoi cela doit se finir ? tentai-je pour la faire réagir.
— Oui, répondit-elle doucement, l’air absent.
— Très bien… soupirai-je.

Je ne voyais pas d’autres choses à dire, alors je me levai du canapé et me dirigeai vers la sortie, le cœur battant la chamade et les bras tremblants, quand soudain une voix plaintive me stoppa.

— Non, ne pars pas. Reste avec moi.
— Charlotte, il le faut. Nous nous faisons du mal à rester ensemble. Cela ne nous mènera nulle part.
— Je m’en fous, j’ai besoin de toi. Reste auprès de moi, supplia-t-elle.

Les larmes commencèrent à couler tout doucement. Son regard, toujours vide, laissait échapper de petites gouttes fines qui glissaient le long de ses joues pour finalement s’écraser sur sa chemise blanche. Cette vision m’humidifia les yeux. C’était plus dur que ce que je redoutais. J’avais envie de la prendre dans mes bras, de la cajoler, de lui promettre de rester toujours auprès d’elle et puis finalement l’embrasser. Je devais rester fort et ne pas céder une nouvelle fois. Elle allait souffrir, mais elle guérirait avec le temps. Peut-être que plus tard elle finirait par me remercier d’avoir eu le courage de mettre fin à notre histoire.

— Je suis désolé, terminai-je avant de franchir sa porte et de l’entendre exploser en sanglots.

Ma toute nouvelle liberté durement acquise avait une saveur douce-amère. J’étais heureux d’être allé jusqu’au bout. Je me sentais affranchi. J’avais la conviction que je pourrais enfin avancer dans la vie, et que le bonheur n’était plus très loin maintenant. En même temps, Charlotte commençait déjà à me manquer ; son sourire, son rire, son souffle, ses courbes… La vision d’elle pleurant toutes les larmes de son corps me hantait l’esprit. Je m’en voulais de lui causer du tort, même si c’était nécessaire pour notre bien à tous les deux. Je dus résister plusieurs fois à la tentation de prendre mon téléphone et de la rappeler.

Je décidai de ne pas appeler tout de suite Tatiana. Déjà, je voulais que les choses se calment un peu entre ma sœur et moi. Il me fallait du temps pour réfléchir et pour me retrouver, effacer toutes traces de Charlotte en moi. Pour être honnête, j’appréhendais aussi la réaction de Tatiana. Je craignais qu’elle me rejette finalement ou qu’elle ait refait sa vie depuis la fin décembre. Sur ce dernier point, il était idiot d’attendre : plus j’attendais, moins il était probable que je puisse la récupérer.

En tout cas, je profitai de cette liberté pour me changer les idées. Je m’étais accordé exprès plusieurs jours de congés où j’en profitai pour effectuer quelques balades en ville, visiter des musées ou aller à des expositions d’artistes qui me passionnaient. Je retrouvai le quotidien d’un célibataire se préoccupant essentiellement de ses besoins. Je dois dire que cela me fit un bien fou. Même si Charlotte était encore bien présente dans mes pensées, ces quelques divertissements me permirent de m’aérer l’esprit. C’est la nuit que ma sœur me hantait le plus. Elle envahissait quasiment à chaque fois mes rêves, me faisant revivre des scènes de notre histoire.

C’était l’accalmie avant la tempête. La suite révéla que je n’avais pas encore fini d’en baver…

Cela se passa le jour de la Saint-Valentin. Je n’avais rien vu venir, mais ma vie allait être une nouvelle fois chamboulée. Alors que j’étais plongé dans la lecture d’un livre traitant des croisades, un coup de fil me fit sursauter. Je regardai rapidement le numéro qui s’affichait sur mon portable : c’était Charlotte. Une boule me noua le ventre. J’hésitai de longues secondes à décrocher, ayant l’intime pressentiment que j’allais le regretter, mais je ne pouvais me permettre d’ignorer ma sœur toute ma vie. Un jour ou l’autre, il faudrait bien que je la recroise. Je décrochai…

— Allô ?
— Zack, commença-t-elle avec une voix tremblante. J’ai tout dit à Thierry.
— Quoi ? fis-je, surpris. Tu lui as dit quoi au juste ?
— Je lui ai tout dit pour nous deux, depuis le début jusqu’à la dernière fois où tu es venu. Il est au courant de tout.
— Oh, mon Dieu ! Mais pourquoi as-tu fait ça ?
— J’ai fait une erreur, expliqua-t-elle. Je n’aurais jamais dû aller avec lui. Je n’aurais jamais dû l’épouser. C’est avec toi que j’aurais dû rester. Je t’aime, grand frère, toi, et toi seul. J’ai besoin de toi. Il m’a traité de salope, de putain, et d’un tas d’autres noms. Il était dans une colère noire, mais je me fous de ce qu’il peut en penser, je me fous de ce que les autres vont penser : c’est toi que je veux. Les gens vont nous juger, mais je les emmerde. Ils ne peuvent pas comprendre. Je sais ce que je veux, et je n’ai désormais plus peur de l’admettre. Je ne te quitterai plus jamais. Désormais, je serai complètement à toi. Je veux t’offrir la relation que tu attends de moi. Alors tu vois, nous avons finalement un avenir ensemble.
— Bon sang, Charlotte, mais c’est complètement fou ! Où es-tu, là ? Il faut qu’on en parle plus calmement.
— Je suis au volant. J’ai pris toutes mes affaires et je me dirige vers chez toi. Je serai bientôt là, mon amour. Nous pourrons enfin commencer notre vie ensemble.
— Tu es au volant ? Dans ce cas, tu devrais raccrocher avant d’avoir un accident. On en reparle lorsque tu seras là.
— OK. Je t’aime, mon amour.
— Moi aussi, admis-je.

Je n’en croyais pas mes oreilles ! Charlotte avait tout révélé et m’avait finalement choisi. Voilà qui changeait absolument toute la donne : une nouvelle possibilité venait de s’offrir à moi. Désormais, un avenir était possible avec ma sœur. Mon cœur battait la chamade à cette éventualité. Tout ce que je désirais, elle pouvait maintenant me l’offrir. Nous pouvions démarrer une autre vie ailleurs. Repartir de zéro ensemble, loin de tous. C’était trop beau pour être vrai.

Il y avait toujours Tatiana. Même si je ne l’avais toujours pas recontactée, j’avais vécu les dernières semaines avec l’espoir de construire mon avenir avec elle. Elle seule pouvait m’offrir ce futur, mais maintenant ce n’était plus le cas. Il me fallait faire un choix. J’avais beau délibérer, essayant de me convaincre qu’un avenir avec Charlotte était de la folie, que malgré les nouvelles circonstances cela n’allait rien apporter de bon, je savais au fond de moi que j’avais déjà pris ma décision. Charlotte allait se jeter dans mes bras à son arrivée, et je l’accueillerais à bras ouverts. Peu importent les conséquences, la vie m’apportait enfin celle que j’avais toujours aimée. Peu importent mes sentiments envers Tatiana, ils ne faisaient pas le poids.

C’est donc avec une impatience extrême que j’attendis l’arrivée de ma sœur, mais elle n’atteignit jamais ma porte. C’est à peine à deux rues de chez moi que cela se passa. Un conducteur ivre grilla le feu rouge et percuta sur le flanc de sa voiture, provoquant un terrible carambolage dont l’une des victimes fut Charlotte.
Mon monde s’arrêta quand je découvris l’accident. Mon cœur s’arrêta de battre. Je ne pouvais croire ce qu’il se passait. Cela ne pouvait pas être possible. Elle était prête à me rejoindre. Elle était tout proche, et soudainement elle disparaissait ? Mais pourquoi ?

La vie est une garce : elle vous offre quelque chose et vous le reprend juste après. Merde, je la maudissais, cette garce ! Très vite, je me persuadai que tout était de ma faute. C’était moi qui avais causé tout ça. Si je n’avais pas commencé ma relation avec elle, elle serait toujours en vie. C’était mon égoïsme qui avait causé sa perte et celle de l’être qui grandissait dans ses entrailles. J’étais l’aîné : j’aurais dû savoir la repousser quand elle s’est intéressée de trop près à mes désirs incestueux. Tout était de ma faute.

Plus rien n’avait de goût après sa mort, plus rien ne m’intéressait. Je me sentais vide à l’intérieur. Pourquoi me levais-je encore le matin ? J’étais complètement perdu…

Son enterrement eut lieu environ une semaine après. Il y avait peu de personnes. Mes parents étaient là, effondrés. J’arrivais à peine à les regarder dans les yeux ; ils ignoraient encore toute la vérité. J’étais incapable de leur avouer que tout était de ma faute. Je fus surpris de voir que Thierry et Tatiana étaient quand même venus. C’était les seuls membres de leur famille à être présents. Ils ne m’ont pas adressé la parole lors de la cérémonie. Ce n’est qu’après, quand les quelques autres personnes ont commencé à partir, que Tatiana se dirigea vers moi, le visage sombre.

— Alors, tu es content de toi ? Vois ce que tu as provoqué ! cracha-t-elle en colère.
— Je… je n’ai jamais voulu ça, murmurai-je à moi-même.
— Et moi dans tout ça, me gifla-t-elle, qu’est-ce que j’ai été pour toi ? Une vulgaire passade lorsque tu n’as pas pu sauter ta sœur ? Je croyais avoir compté pour toi, mais je n’étais qu’un bouche-trou. Tu me dégoûtes !

Elle pleurait, elle déversait toute sa rage sur moi. Je la comprenais. Elle ne pouvait pas savoir qu’elle avait été bien plus que ça, une lumière dans l’obscurité. J’aurais pu le lui dire, mais je savais qu’elle ne m’aurait pas écouté. Et puis, plus rien n’importait maintenant. Je la regardais s’énerver contre moi sans rien dire. Je voulais surtout rentrer chez moi et trouver un moyen de noyer tout ce chagrin.

— Viens, Tatiana, dit Thierry en l’attrapant par la main. Laisse-le. Il n’en vaut pas la peine.

Je les vis s’éloigner, puis disparaître au loin. Ce fut la dernière fois que je les vis. Ma mère s’est avancée vers moi, le visage déboussolé.

— Qu’est-ce qu’ils ont voulu dire ? chercha-t-elle à comprendre.

Je posai mes yeux complètement vides sur elle, la fixai pendant quelques secondes, et partis finalement sans dire un mot.

Et voilà toute mon histoire.

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— Eh bien, nous avons fait un énorme pas cette semaine.
— Oui, c’est bien la première fois que je parle de tout cela à quelqu’un.
— Comment vous sentez-vous ?
— Je dois reconnaître que cela m’a fait du bien d’en parler. C’est comme si je m’étais débarrassé d’un poids qui pesait sur mes épaules et m’empêchait d’avancer pendant toutes ces années. Ça a été dur, après l’enterrement. En fait, ça n’allait pas depuis bien longtemps. Les choses ont vraiment commencé au début de ma relation avec Charlotte, mais elles ne se sont pas terminées après l’enterrement. Je pensais qu’une fois mon deuil terminé je pourrais repartir, mettre cette histoire de côté et redémarrer une nouvelle vie, mais tout me hantait encore jour et nuit. C’était devenu invivable. Je me sentais vide, perdu… Je n’avais plus goût à rien. Je me laissais sombrer. C’était devenu trop lourd, il me fallait faire quelque chose.
— Oui, en effet, c’est un sacré poids... La honte, les remords, la culpabilité, l’impossibilité de la relation, les désirs inassouvis, puis le décès inattendu de votre sœur mettant fin brutalement à votre conflit interne avant que vous ayez pu complètement le résoudre, vous plongeant dans le désarroi le plus total, tout ça vous a marqué profondément et vous a empêché d’avancer. L’inceste n’est pas rien. Il a souvent de très lourdes conséquences psychologiques. Mais même sans tenir compte du caractère incestueux, votre relation avec votre sœur a été vraiment chaotique et ne vous a pas permis de vous construire une vie stable. Mais au moins, parler de votre histoire montre que vous prenez au sérieux votre thérapie et que vous avez vraiment décidé de reprendre votre vie en main. Vous êtes sur la bonne voie. Ne perdez pas courage.
— Merci, Docteur Gussman.
— Bon, pour la prochaine séance j’aimerais revenir sur plusieurs points précis de votre histoire. On se donne rendez-vous la semaine prochaine ? Même jour, même heure ?
— Oui, Docteur. Lundi, dix-sept heures trente me va très bien.


FIN

Auteur : Nathan Kari

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