mercredi 21 septembre 2016

New-York darkness (3)

 Relire le chapitre 2
CHAPITRE TROIS : Le Moon'

Alice, quand elle ne me criait pas dessus, était une jolie femme. Très jolie : visage pur, nez fin et droit, bouche sensuelle. Elle portait un tailleur cintré dont la jupe courte dévoilait de fort belles jambes mais qui la vieillissait un peu ; elle avait sûrement dans les vingt-cinq à trente ans maxi.

— Si tu veux te doucher, tu nettoies tout ; je suis peut-être maniaque, mais c’est comme ça.
— D’accord ; je pense être affligée de la même tare. Et oui, je vais prendre une douche.

Elle sourit pour la première fois à ma remarque ironique, preuve qu’elle avait le sens de l’humour. Sur ces bonnes paroles je me suis déshabillée, sans chercher à me cacher plus que ça avant de piocher une des deux serviettes que j’avais achetées deux jours plus tôt. Ainsi qu’un gel douche tout neuf à l’aloe vera et aux agrumes. À ma sortie de la douche, Alice était allongée sur le lit ; elle s’était changée et portait un débardeur blanc qui moulait sa poitrine et un short noir tout aussi moulant.

— Dis donc, tu as une belle boutonnière sur l’épaule. Tu l’as depuis longtemps ?
— Deux ans. Je devais la faire réduire, mais maintenant je ne sais plus quand je pourrai. Et puis c’est pas important, il y a des choses plus graves.
— Ouais… Tu es vraiment canon et c’est dommage. Tu as fait ça comment ?
— Deux connards du Klan nous ont poussés dans Biscayne Bay du haut d’un pont parce que mon conducteur était noir. Mon épaule n’a pas résisté.
— Et le conducteur, le Noir ?
— Jason… il… Je l’ai sorti de là mais il a failli y passer. Mon Dieu, et maintenant… je sais même pas s’il est vivant. Faut que je me dépêche, je crois.

Je ne voulais pas me mettre à pleurer devant elle alors j’ai détourné la tête ; j’ai prétexté des courses à faire et je me suis habillée rapidement. Alice a paru intéressée quand elle m’a vue placer la perruque brune sur mon crâne mais n’a rien dit. Je l’ai saluée d’un signe de la tête avant de sortir. Un ascenseur minuscule dans une cage grillagée descendait dans le puits central de l’escalier ; j’ai fait une grimace dubitative en prenant l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée. J’ai flâné, grignoté des bagels, bu de l’eau avant d’entrer dans le Moon’ baigné de musique de jazz. Une serveuse black m’a souri et je lui ai expliqué :

— Bonjour, je viens travailler ici comme serveuse.
— Ah, je suis pas au courant, moi. Va voir les gars du bar.

Les gars du bar. Deux hommes en tee-shirt noir à l’effigie du lieu. Je me suis avancée jusqu’au comptoir, consciente d’être suivie des yeux par tous les clients, une trentaine de personnes en groupes de deux ou trois. Un des barmen m’a souri, un Black à la coiffure improbable, mélange de Marine et de rasta. Eh ! Ne te moque pas de lui, je te rappelle que tu es presque chauve. Alors sa coiffure, c’est la dernière chose dont tu puisses rire...

— Tu es la nouvelle ? Suis-moi.

Il m’a conduite dans des vestiaires par une porte fermée à clé au fond de la salle ; la pièce était petite mais donnait une impression de grandeur grâce à un mur entièrement équipé en miroirs. Il a ouvert une porte de placard dont il a sorti des tenues rouges.

— Tiens. Tu te fous à poil et tu essaies. Tes vêtements, tu les ranges dans un casier libre, ça craint rien ici, il y a pas de voleurs.

Bien sûr qu’il allait rester ici ; il n’a pas cherché à me toucher, mais son regard lubrique exprimait une émotion primitive : il me désirait et je le ressentais d’une manière quasi-physique. Le string rouge était minuscule, juste ce qu’il fallait pour n’être pas transparent, mais il moulait le pubis et la vulve sans laisser beaucoup de place à l’imagination. La brassière était trop petite pour moi, mais ce devait être fait exprès car le Black a refusé de la changer. Elle était fine et souple, laissant la poitrine rouler en dessous. Quant au short, il couvrait les fesses et préservait quand même mieux la pudeur que le string.

La totale ! Je sens que tu vas t’éclater, petit mec. Essaie de tenir le coup, même si tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds. Et le reste. Tiens le coup, pense à tes copines de Miami qui t’aiment, ne craque pas, pas ici, pas devant tout le monde…

Aux pieds, des Nike Air rouges confortables, c’était déjà ça. Je suis allée dans la salle du bar où les autres serveuses ont papillonné vers moi, deux jeunes femmes plus près de trente ans que de vingt, sourire aux lèvres mais regard blasé, usé. Elles m’ont expliqué le règlement : interdiction de se laisser toucher, d’embrasser ou de baiser avec les clients, de boire ou de sortir du bar avec eux. Une Latino aux cheveux noirs frisés a ajouté :

— Les pourboires sont remis à la main ; mais à partir de 23 heures, ils ont le droit de les glisser dans ton string, d’accord ? On se les partage à la fin, à parts égales. Et tu devrais cartonner : tu déchires grave.

Elles pouffèrent en approuvant et je me sentis mieux d’avoir ces deux femmes avec moi ; elles allaient m’aider à surmonter ma gêne. Le travail n’était pas compliqué : il fallait juste prendre les commandes, les transmettre aux barmen, porter les consommations et encaisser. Nous étions bien assez de trois pour servir, encaisser et nettoyer les tables.

À 21 heures pile, Joe Cocker a entonné « You can leave your hat on », la chanson légendaire du strip-tease dans le film « 9 semaines 1/2 » ; j’ai imité mes deux collègues et enlevé la brassière sous les applaudissements nourris de la salle : les clients n’attendaient que ça ! J’ai rougi et baissé la tête pour masquer ma confusion mais je n’avais pas le choix, en vérité. Faire le service les seins nus a été terrible au début. J’étais écarlate jusqu’aux oreilles et au bout des seins ; une remarque salace et j’aurais pleuré.

Mais il y avait pas mal de monde et il fallait travailler vite ; ça m’a obligée à penser à autre chose qu’à ma poitrine, mais j’ai commencé à avoir vraiment peur à l’approche de 23 heures. J’avais la nausée et les tripes nouées ; les serveuses s’en sont aperçues et m’ont encouragée de leur mieux.

— Steph, bois un whisky, tu es blanche comme un linge. Reste au bar quelques minutes, je veux pas que tu tombes dans les pommes...

Là, c’était Carmen, la Latino, bien en chair avec une petite poitrine agressive ; Aminata, une grande et sculpturale jeune femme originaire du Sénégal, est venue me serrer dans ses bras d’ébène en me murmurant des mots de réconfort avant de m’embrasser sur la bouche.

— Prends, ma sœur ; je te donne mon courage, ma fierté. Quand tu as peur au milieu de tous ces imbéciles que matent ton cul, regarde-moi et redresse la tête. Tu es meilleure qu’eux.

J’ai inspiré, fort. Je l’ai regardée, hiératique et pleine de morgue. Mais pas pour moi, pour qui elle n’était que compassion et bonté. Et quand Joe Cocker a repris son tube, j’ai enlevé mon short en regardant Aminata faire de même. Et j’ai repris le travail en m’accrochant à ses paroles. Quand tu flanches, tu la regardes, elle ou Carmen. Elles t’aideront, elles font ça depuis longtemps et sont plus fortes que toi.

J’ai poussé un cri aigu quand un client a glissé un billet vert sous la bande du string, sur ma fesse gauche, et je me suis déhanchée avant de comprendre. Aminata a hoché la tête en m’adressant un baiser et je me suis reprise. Mais j’étais à cran, prête à éclater. J’aspirais de grandes goulées d’air pour essayer de retrouver mon calme, mais je devais prendre sur moi pour accepter les effleurements sur mes fesses des mains qui glissaient des pourboires. Les larmes aux yeux, je m’astreignais à garder la tête haute. Sinon, je me serais roulée en boule derrière le comptoir pour pleurer. La fin du service a été un vrai calvaire ; j’ai réussi à ne gifler aucun client mais j’ai pris sur moi, les billets verts glissés dans le string étant un moyen de me peloter.

J’avais gagné presque soixante dollars de pourboire, il m’en restait quarante après partage. Les filles m’ont embrassée et félicitée, puis Aminata m’a aidée à m’habiller. Je n’avais plus de forces, mes membres étaient gourds et gauches.

— Ça va aller ? On va t’accompagner jusqu’à l’entrée de ton immeuble, avec Carmen. Tu vas voir : une bonne nuit de sommeil et tu auras oublié le pire. Tu t’es défendue comme une pro, Steph.

J’ai susurré un pauvre merci et je suis entrée en titubant dans le petit hall ; et j’ai appelé l’ascenseur, je ne me voyais pas monter à pied. Le front contre une paroi de la cabine qui montait à la vitesse d’un escargot asthmatique, j’ai serré les dents. Et je suis entrée sans faire de bruit, pieds nus pour ne pas réveiller Alice. Je me suis recroquevillée sur le canapé, et le barrage a cédé : j’ai fondu en larmes. J’ai réussi à ne pas sangloter, mais ma respiration saccadée a dû alerter Alice dans son sommeil car elle a allumé une lampe de chevet avant de se redresser.

— Dors, Alice, c’est rien.
— Putain, qu’est ce qui t’arrive, ça va pas ?
— Si, ça va. J’ai passé la nuit presque à poil devant des types ivres qui me tâtaient les fesses comme si j’étais une vache ; ça va bien. Putain, j’ai jamais été autant humiliée.
— Viens ici, Stephanie. Viens contre moi. Pose ta tête sur mon épaule et pleure. Là, tout doux… C’est rien. Il te faut te calmer. C’est la première fois que tu fais ça ? T’as jamais fait des clubs de strip ? Non, tu es trop jeune... Tu as vu un des côtés sombres des hommes. J’aimerais pouvoir te dire que c’est le seul, mais ce serait mentir.
— Merci, Alice. J’ai vu des trucs bien pires ; mais je ne m’attendais pas à être aussi mal.
— Dis donc, j’y pense : ton téléphone a sonné. Deux fois.

J’ai fait un bond en l’air. Anita. Il n’y a qu’elle qui ait mon numéro. Je suis allée chercher le téléphone dans mon sac puis j’ai consulté Alice, qui a hoché la tête. Assise en tailleur sur le lit, j’ai appelé. Anita a décroché à la deuxième sonnerie.

— Anita. Steph, ça va ? Me dis pas où tu es.
— Oui, c’est vrai ; ça va. Et Jason ? Il est vivant ?
— État stationnaire critique. Il a perdu beaucoup de sang, mais aucun organe vital n’est touché, c’est un petit miracle. Je te passe Cléa.
— Bonsoir Steph. Jason est inconscient, sa tension est très basse et ses poumons sont sous assistance. Je ne te cacherai pas que le pronostic est réservé, mais il est jeune, solide. Alors il faut attendre ; je suis désolée.
— Par pitié, sauvez-le ! Vous croyez... Si je reviens, ça l’aiderait ? Je m’en fiche de mourir, s’ils me tuent et que Jason est sauvé.
— Steph ? C’est Anita. Non, tu restes où tu es. Les Duvallier sont complètement fous maintenant et ils te cherchent partout. Reste loin d’ici : si tu meurs, Jason sera mal. Alors prie pour lui et accroche-toi comme tu l’as toujours fait. Je monte une équipe pour liquider ces salauds, mais ça prend du temps de faire ça sans alerter les cops. Courage, et baisers, Steph. On t’aime.
— Je vous aime aussi, Anita.

J’ai posé le téléphone et suis restée prostrée, la gorge serrée. J’ai prié. Notre Père. Je vous salue Marie. Ces prières que je connais par cœur mais que je n’avais plus dites depuis des années. Alice s’est levée quand j’eus fini et a déboutonné mon jean qu’elle m’a aidée à enlever ; puis elle m’a fait entrer dans le lit où je me suis blottie contre sa chaleur. Elle a caressé mon crâne et senti l’autre cicatrice au-dessus de l’oreille droite.

— Tu as l’air d’être dans la merde, toi. Cette jolie cicatrice sous mes doigts, c’est de ton accident de voiture, je présume. Tu es catho ?
— Non, je suis athée. Je ne priais pas pour moi, mais pour Jason. Il est à l’hôpital ; il a pris un coup de couteau à ma place.
— Quelqu’un veut ta peau ?
— Oui. Un gang de chez moi. J’ai dû partir très vite. Une amie m’a posée à la gare des bus et j’ai pris le premier que j’ai vu. Je suis arrivée à New York il y a quelques jours et j’attends. Je voudrais tant être auprès de Jason, me battre pour lui…
— Tu voudrais te venger de ceux qui l’ont blessé ?
— Non. Ceux-là, je les ai tués.

Alice n’a pas bronché alors que j’avais répondu sur un ton de bravade. Elle m’a serrée contre elle un peu plus fort, c’est tout.

— J’ai vu le pistolet noir dans ton sac : il sent la poudre et la mort. Ces vêtements que tu as dans le sac, ils sont à toi ? Je veux dire… ils font…
— Classe ; que des pièces griffées de grands couturiers, chics mais pas très discrètes.
— Et pas de ton âge non plus ; excuse-moi, mais ils s’adressent plus à une femme dans la quarantaine au minimum encore, riche et sophistiquée.
— Bingo. Il y a que le bikini qui est à moi.
— Couvert de sang. Tu auras du mal à le ravoir ; dommage, car tu dois être magnifique dedans. Tu es originaire de quel État ?
— Floride. Miami. Avec ce que je t’ai dit, tu aurais trouvé.
— Déjà avec ton accent, je pensais à la Louisiane ou la Floride. Bon, il faut que je dorme sinon je serai un zombi au bureau. Je te laisse dormir ?
— Comme tu veux. Quand tu reviendras, je serai partie. Merci, Alice. Ça m’a fait plaisir de te rencontrer.
— Eh ! Pas question que tu partes ! Tu t’installes avec moi ; enfin, si tu le veux. Tu avais raison, tu n’as rien à voir avec les pétasses que Delmonte a voulu m’imposer. Alors je t’en prie, oublie les conneries que je t’ai dites toute à l’heure et embrasse-moi.
— Merci encore, Alice. Tu es sûre ? Parce que je crois que je suis un peu porte-malheur…
— T’inquiètes pas, je suis grande.

Elle fut surprise quand je l’embrassai sur la bouche mais ne se déroba pas. Et quand ma langue se glissa entre ses lèvres, elle s’ouvrit. Notre baiser, malgré le fait que nos langues virevoltaient et se découvraient, est resté très timide, presque chaste. Un peu essoufflées, nous avons stoppé notre baiser ; nos visages étaient à quelques centimètres l’un de l’autre. Ses yeux verts pailletés d’or étaient brillants et emplis de tendresse.

— Stephanie, tu n’es pas lesbienne, je le sais… Tu as Jason.
— Oui, et appelle-moi Steph. Mes amis m’appellent comme ça.
— Merci. Je suis lesbienne, comme tu l’as compris. Et j’attends le grand amour. C’est dur. Allez, il faut que je dorme. Et ça me fait plaisir de t’avoir contre moi : ça fait trop longtemps que je n’ai personne pour partager mon lit.
— Oui, mais quand Delmonte t’envoie quelqu’un, tu lui casses le nez. Avoue que tu n’encourages pas le petit personnel à rester. Bonne nuit, Alice.

J’ai dormi jusqu’à 10 heures et je n’ai absolument pas entendu Alice partir. Elle avait dû faire preuve de discrétion et je n’avais pas aussi bien dormi depuis plusieurs jours. Je suis descendue pour acheter des muffins et un grand café puis j’ai fait une bonne heure de gym, assouplissements et étirements. J’ai fait quelques achats dans un Jack Rabbit de Greenwich, dont des chaussures de running, deux brassières, trois tee-shirts et deux shorts Adidas fluos. Pas du haut de gamme bien sûr, je n’avais pas les moyens.

Et merde, à chaque fois tu es obligée de tout racheter, tu as de super tenues de sport à Miami, et tu n’as absolument rien ici. Ouais, tu as quand même un peu d’espoir tout au fond de ton cœur…

J’ai nettoyé le Glock à mon retour, puis attaqué le ménage à fond dans le studio ; il n’en avait guère besoin, mais j’avais envie de me rendre utile. Alice est arrivée à 18 heures avec un grand sac en papier kraft plein à ras bord ; quand elle faisait les courses, ce n’était pas pour rien. Je suis allée l’aider à poser son sac et l’ai embrassée sur les deux joues.

— Bonjour toi… Tu as bien travaillé ?
— Oui, crevée. Trop de travail et pas assez de temps. Merci pour le ménage, je comptais m’y mettre… En plus tu fais une très jolie soubrette…
— Soubrette ? Je ne me voyais pas faire ça comme travail. Mais serveuse au Moon’ non plus.
— Ta tenue est toute mimi et ça me fait plaisir de revenir chez moi pour y trouver une fée du logis.

Je portais juste un tee-shirt blanc en coton sur une culotte à froufrou de Victoria Secret ; mais il faisait vite chaud dans ce studio. Alice s’est changée sans façon devant moi, passant corsaire bleu et top blanc ; elle avait une jolie poitrine aux aréoles brunes qui dardaient sous le tissu. Nous avons discuté de Big Apple jusqu’à ce qu’il soit l’heure pour moi d’aller travailler ; nous avions grignoté et beaucoup ri, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps, me semblait-il. J’ai fait la grimace en me levant, mais j’avais besoin de ce travail et d’un toit ; mes recherches dans la journée avaient été infructueuses.

Carmen et Aminata m’ont accueillie avec des embrassades ; les barmen avaient parié que je ne reviendrais pas et elles étaient sûres du contraire.

— Vous avez failli perdre, les filles. Mais je suis contente pour vous. Vous aviez parié combien ?
— Dix chacune. Je crois qu’on pourra t’offrir un mojito…

La soirée s’est un peu mieux déroulée pour moi car j’ai été moins stressée en entendant Joe Cocker chanter. J’ai enlevé la brassière, voilà tout.

Hé, Steph, dans dix ans, si tu es encore vivante, quand tu entendras cette chanson, soit tu vas te foutre à poil par réflexe, soit tu vas gerber. En attendant, tu t’en sors bien, grâce à tes deux copines serveuses. Tu les oublieras pas, ceux deux-là ; elles ont déjà gagné une place dans ton cœur.

Le regard libidineux des clients sur ma poitrine nue me gênait toujours, visqueux comme de la bave de limace, mais je contenais mes émotions, comme Aminata me l’avait montré. Je marchais tête bien droite, fière comme une princesse de sérail. Indifférente et hautaine. Un peu avant 23 heures, Aminata et moi attendions nos plateaux au comptoir quand elle me donna un coup de coude en rigolant.

— Tiens, une femme seule, c’est rare ; une lesbienne sûrement. Canon.

Je me retournai et restai bouche bée : Alice, superbe en robe fourreau noire dévoilant ses longues jambes gainées de bas fumés. Elle s’assit à une table libre contre le mur et me sourit. Je lui rendis son sourire, incertaine sur la conduite à tenir.
« You can leave your hat on
You give me a reason to live ! »

J’ai rougi jusqu’aux oreilles. Il y avait longtemps ! Allez, Steph, tu peux garder ton string… En regardant Alice, j’ai fait glisser mon short sur mes cuisses avant de le poser sur le comptoir. Puis je suis allée servir les deux tables qui avaient commandé juste au bon moment, car ils attendaient tous avec des billets verts entre index et majeur. Je me suis certes crispée quand des mains ont caressé mes fesses tout en glissant les dollars dans mon string, mais j’ai réussi à bredouiller un merci avec un sourire d’accompagnement.
Puis je suis allée voir Alice qui me regardait me déhancher avec un sourire béat.

— Fermez la bouche, Mademoiselle. Vous risquez d’avaler une mouche.
— Excuse-moi si je te gêne, Steph, mais je n’avais pas sommeil et j’ai eu envie de te voir.
— Nue ? Dans deux heures je le serai, rien que pour toi…

Elle poussa un soupir. Avant de se mettre à rire presque aux larmes.

— Steph, le rôle de femme fatale te va bien, tu es belle à pleurer, ta voix sait être rauque juste ce qu’il faut… Mais j’y peux rien, je viens te voir pour te remonter le moral et tu me vampes comme une pro…
— Avec toi, c’est pas pareil, j’ai le ventre noué à chaque fois que je dois aller à une des autres tables. Et merci d’être venue, vraiment. J’apprécie beaucoup. Tu bois quoi ? C’est la maison qui offre.
— Tu proposes quoi de bien ?
— Pas le champagne, il est atroce. Le Sauvignon blanc est correct ; ou un cocktail, si tu aimes, mojito ou margarita.

Je lui ai servi le margarita demandé et lui ai présenté Aminata, toujours aussi altière dans son string rouge.

— Alice, je te présente Aminata. Avec Carmen, elle m’a sauvée hier, quand je voulais me rouler en boule derrière le comptoir ; elle m’a donné du courage, et de la fierté.
— Non, le courage, tu en as à revendre, Steph. Et la fierté… Tu es une princesse Nubienne, une déesse du feu. Je te l’ai juste fait savoir.
— Aminata, la cliente canon, comme tu m’as dit, c’est Alice, ma nouvelle amie. Qui a accepté de m’héberger.
— Alice, tu as l’air d’une fille bien, en plus d’être canon. Aide-la, notre petite Stephanie, elle est solide mais même les plus solides ont parfois besoin d’un coup de main.
— Je… Oui, Aminata ; j’avais des préjugés contre les employées de Belmonte, mais j’en ai honte maintenant. Je serais fière d’être ton amie.

Elle se leva gauchement pour serrer la grande serveuse dans ses bras et l’embrasser sur les deux joues. Carmen put se libérer peu après pour embrasser à son tour Alice qui s’est assise, le feu au visage. Yes, il y a pas que moi qui rougis, dans ce pays ; je commençais à me demander…
Auteur : Matt Démon
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