mercredi 20 janvier 2016

Indécences - Itinéraire d'une dévergondée (8)

Relire le chapitre 7

Spleen


Allongée sur un lit présentant le même état de lassitude que celle qu’il supportait, je laissais mon regard tenter de s’évader à travers les vitres mal lavées de ma chambre d’étudiante. Un ciel ombrageux, dont le gris dominait dans le cadre de l’unique fenêtre qui me faisait face, renforçait la mélancolie qui m’avait envahie. Fraîchement débarquée dans une ville dont je ne connaissais rien, j’étais en plein « spleen de la rentrée ».

Des souvenirs récents me submergeaient et me ramenaient inexorablement vers cette petite plage bretonne où une rencontre improbable avec un sexagénaire solitaire venait de bouleverser mon existence.

Déstabilisée, incapable de me concentrer, je reposai le livre dont je ne me souvenais déjà plus des dernières lignes lues. L’empreinte indélébile d’un corps d’homme nu submergeait ma mémoire, celui de Philippe. À la simple évocation de ce prénom, des sensations récurrentes refaisaient surface ; sa chaleur, la douceur de sa peau me manquaient cruellement. Il me semblait encore ressentir ses caresses, comme profondément imprimées dans chacun des pores de ma peau.

Nous nous étions quittés, presque en pleurs, incapables de livrer notre réel attachement, la gorge nouée par l’agitation contenue de nos émotions. Bien sûr, nous nous étions promis de nous retrouver l’été suivant, de vivre des moments encore plus tendres, plus intenses…

Un an ! Il me faudrait attendre encore une nouvelle année, autant dire une éternité…

De plus, la complicité que je partageais avec ma mère s’était dégradée depuis la fin des vacances. Sa suspicion, mon acharnement à nier l’évidence, avaient quelque peu brouillé nos rapports. Son insistance à vouloir connaître la véritable raison de mes inappropriées sorties « bains de soleil », son obstination à savoir si mon comportement n’avait pas été « hasardeux », toutes ses questions insidieuses m’avaient irritée et je m’enfermais dans le mensonge, refusant de lui confier que l’homme que j’avais rencontré avait l’âge d’être mon grand-père.

Cherchant à regagner sa confiance perdue, je finis par lui avouer un simple flirt avec un garçon de mon âge avec qui je n’avais partagé que des jeux bien innocents sur la plage. Après quelques échanges acrimonieux, d’énièmes mises en garde sur le risque de côtoyer trop intimement certains jeunes, je me résolus, contrainte et forcée, à subir l’examen médical qui ― selon ses propres termes ― devrait me faire rentrer dans ma vie de femme.

Mal préparée, la consultation chez le médecin fut une affreuse souffrance. Je ressentis les questions du praticien sur ma menstruation, la palpation de mes seins et l’examen pelvien comme un véritable avilissement. Ma virginité perdue ne faisant aucun doute, certaines questions sur ma vie sentimentale et abordant la sexualité m’avaient perturbée. Le seul acte qui pouvait véritablement m’avoir aidée, hormis le fait de me savoir en bonne santé, était la prescription d’un contraceptif avec toutes les mises en garde et les modalités de son usage.

La réconfortante compagnie de mon chien me manquait cruellement. Étendue sur mon inconfortable couchette, je revoyais mon vénérable Granite, encore chiot, s’endormant sur ma poitrine, bercé au rythme de ma respiration. Du fait de mon éloignement, je ne le retrouvais plus, au mieux, que par quinzaines. L’absence du rituel de nos petites sorties du soir, pur délassement entre les devoirs et le coucher, me rappelait plus cruellement ma rupture avec mes habitudes de vie antérieure.

Pour tenter de dissiper ces souvenirs amers et la morosité qui m’envahissaient, je me levai, bâillant de lassitude, pour m’asseoir face à une tablette courant sur tout un pan de mur et faisant à la fois office de bureau, bibliothèque, voire… de dressing et cimaise à tableaux ! Là, trônait la pièce maîtresse de mon maigre équipement : un ordinateur portable, mon seul lien au monde extérieur, mon smartphone n’ayant pas survécu à une saute d’humeur ultérieure à un ixième « passage à la question ».

En mal de solitude, dédaignant mes études, je me mis à consulter au hasard des sites qui ne captivèrent guère davantage mon manque de distraction. Abattue, je me laissai tomber sur ma couche aux ressorts esquintés qui rouscaillaient sans cesse leur amertume. Le corps replié en position fœtale, je m’abandonnai nonchalamment à un sommeil qui ne me connaissait plus.

Mes rêves éveillés me ramenaient constamment la même hallucination, celle d’un Philippe évanescent, toujours nu, au sexe hypertrophié invariablement érigé. Heureux de voir une boîte de contraceptif sur mon chevet, il se glissait au plus profond de mon ventre et ne s’en retirait qu’après m’avoir déposé un phénoménal flot de semence dont la chaleur me remplissait de bien-être. Mes propres gémissements me sortaient généralement de mon assoupissement, et je me retrouvais le bas-ventre en feu que je tentais de calmer par ce qui devenait une addiction manuelle ; vaine thérapie dont la stimulation était bien loin de m’apaiser.

Le corps supplicié, l’esprit tourmenté, je m’interrogeais sur ce qui pourrait m’arracher à ce manque de volonté. Il me fallait coûte que coûte m’investir dans une activité extérieure, sans toutefois rogner sur mon temps d’étude. Considéré avec attention, ce n’était que par le biais des petites annonces que je pouvais espérer trouver une occupation qui me sortirait de mon inaction et me donnerait également la possibilité, non négligeable, de m’offrir quelques petits « extras ».

Je me mis sans plus tarder à consulter les sites spécialisés dans les annonces gratuites en m’orientant vers des services qui m’étaient abordables : garde d’enfants, soutien scolaire… Plusieurs offres retinrent vite mon attention, mais les déconvenues furent à la hauteur de mes espérances ! Les réponses négatives se succédaient : postes déjà occupés, horaires incompatibles avec mes cours, etc.

Loin de me laisser décourager, je m’orientai vers les aides aux personnes. Si elles semblaient nettement moins courues, il me fallut également une bonne dose de patience et d’obstination, voire de persuasion, pour obtenir ne serait-ce qu’une simple réponse. « Une petite étudiante devant s’occuper d’une personne âgée ou déficiente ? Vous parlez d’une gageure ! » me fut-il répliqué maintes fois.

Ayant, enfin, obtenu quelques retours positifs, un choix s’imposait rapidement, tant le monde des « petits boulots » semblait volatile. Ma sélection fut rapide, sans arrière-pensée, et j’optai pour un particulier qui recherchait « … une compagnie plaisante pour assurer divers travaux domestiques. » Rendez-vous fut pris illico. La fille habituée à la vie en pleine nature retrouvait l’ardeur qui la caractérisait et était plus qu’heureuse de pouvoir changer d’air, tant l’envie de ne pas me cantonner dans cet univers trop cloîtré était fort.

C’est ainsi que je me retrouvai dès le lendemain devant un pavillon situé à seulement deux kilomètres de mon lieu d’hébergement ; il m’était donc facile de m’y rendre à pied. Après avoir traversé un jardinet où l’automne commençait à marquer sa présence en teintant d’ocre les feuillages, je fus agréablement reçue par un homme d’une cinquantaine d’années qui présentait un léger embonpoint et peinait à se déplacer en boitillant.

L’entretien fut court. Il s’agissait simplement de prendre contact et de se mettre d’accord sur ma prestation et mes heures de service. Devant un café spécialement préparé à mon intention, l’homme m’expliqua s’être fait récemment opérer de la hanche, ce qui l’empêchait de rester debout trop longtemps et de se déplacer. Il fut convenu qu’il me suffirait de passer deux fois par semaine : la première pour une séance de repassage, la seconde pour l’entretien régulier de la maison.

Nos premiers tête-à-tête se passèrent avec un train-train assez routinier ; cependant, notre relation devint plus ouverte au fil des semaines et nous nous attardions parfois pour discuter de nos vies respectives. Il faut dire que l’homme était particulièrement disert et visiblement heureux de pouvoir rompre avec une solitude qui devait s’avérer pesante. Pendant que je vaquais à mes occupations, il ne cessait de me raconter les moments forts de sa vie : maladie et décès de son épouse, un fils éloigné qu’il voyait trop peu, son métier et sa mise à la retraite anticipée…

Je faisais quelques efforts pour suivre le récit de ces péripéties, mais la plupart du temps il discutait sans fin, sans même s’apercevoir que je ne lui prêtais plus qu’une oreille distraite. J’en arrivai également à lui raconter ma vie de solitaire recluse, le peu d’intérêt que je portais à mes études qui ne correspondaient pas à mes attentes.

Alors que nous devisions comme à l’accoutumée, il en arriva à me proposer de rester chez lui tout un week-end, histoire de me sortir un peu de cet environnement estudiantin où je ne semblais pas trouver ma place. Il avait une chambre d’amis qui restait inutilisée ; il suffisait de la préparer. Nous pourrions ainsi partager les repas et quelques paroles, le reste du temps je serais libre de me consacrer à mes études ; un bureau pourrait même être installé dans la pièce.

D’abord réticente, je finis cependant par prendre mes quartiers chez mon embaucheur à chaque fin de semaine. Nos échanges devenaient de plus en plus amicaux, voire un peu au-delà, car je m’apercevais que le regard qu’il me portait avait évolué depuis notre premier entretien. Plutôt que de m’importuner, cela m’amusait, d’autant que sa délicatesse à mon égard exerçait un certain enchantement.

L’homme, encore convalescent, était extrêmement frileux, ce qui m’obligeait à supporter des températures élevées dans presque toutes les pièces. Il ne vit aucun inconvénient à ce que ma tenue vestimentaire soit, la majorité du temps, réduite au simple respect de la bienséance : short et débardeur.

Un soir, tandis que je faisais mijoter notre repas commun en lui tournant le dos, je le voyais sur la crédence en verre qui reflétait son image malgré la vapeur ; ses prunelles reluquaient le modelé de mon postérieur avec un intérêt non dissimulé. Au moment de servir le plat, comme je me retrouvais près de lui, je sentis ses doigts effleurer l’arrière de ma cuisse qu’il flatta avec hardiesse. Le rugueux contact me fit légèrement sursauter, je faillis même lâcher le manche de la poêle brûlante que je tenais. Loin de se démonter, il me déclara sans fard :

— Tu es vraiment un joli brin de fille !

Bien que je pris son avis pour un compliment, je sentis le sang me monter au visage. Avec un teint plus empourpré par l’audace de son geste que par celui qu’affichait le niveau du mercure, ma réponse fut moins impétueuse et nettement plus évasive :

— Ah bon…

Sur le ton de la confidence, mais avec la même assurance, il se montra tout aussi entreprenant pour poursuivre :

— Tu sais, il y avait bien longtemps que je n’avais pas eu de compagnie féminine.

Il reprit la litanie de son long veuvage, sa solitude… Comme d’habitude, je lui laissais la primauté de ses soliloques, me contentant de hocher la tête en guise d’acquiescement, d’ouvrir des yeux ronds pour marquer mon étonnement, répondant au mieux par quelques onomatopées à ses questionnements dont il n’attendait de toute manière aucune réponse.

Ses palabres m’ennuyaient passablement, mais je faisais l’effort de masquer ma lassitude pour ne pas le froisser ; je concevais que ma présence comblait un manque dans une existence devenue morne et monotone. Il suffisait de voir comment ses yeux ternes s’illuminaient lors de ces longs monologues pour se convaincre qu’il aurait été cruel de briser ce regain de vie qui lui faisait oublier ses épreuves. Aussi, c’était avec déférence que je m’efforçais de donner le change, d’autant plus facilement qu’une certaine entente commençait à s’installer.

À la fin du repas, c’est avec soulagement que je prétextai de faire la vaisselle pour échapper à son emprise. Comme je débarrassais couverts et assiettes pour accomplir ma dernière obligation de la journée, je vis briller un petit éclat de lubricité dans ses yeux. Penchée sur l’évier, bien que lui tournant à nouveau le dos, je sentis son regard me déshabiller avec insistance. L’image furtive d’un Philippe tout sourire vint troubler ma conscience.

Alors que je tentais de remettre de l’ordre dans mes pensées, je sentis un bras bienveillant m’envelopper par la taille. Curieusement, mon corps n’esquissa aucun sursaut à l’audacieuse approche ; un frisson que je commençais à priser se propagea de la plante de mes pieds jusqu’aux racines de mes cheveux. À ce moment précis je compris que plus rien ne serait comme avant, et c’est avec abnégation que je le laissai me mignoter sans la moindre anxiété. Contrainte par mes mains barbotant dans le bac mousseux, mon manque de réaction lui valut consentement ; il s’enhardit. La main qui m’enlaçait me caressa le ventre avec insistance, glissa légèrement sous l’élastique de mon short tandis que l’autre me caressait la chevelure.

— Hum ! Comme tu sens bon… susurra-t-il avec une douceur suggestive tout en reniflant au creux de mon épaule.

Je me recroquevillai sous la chatouille de son souffle sur ma nuque, geste qui porta involontairement mes fesses sous sa bedaine rebondie, lui donnant à son tour un mouvement ― certainement tout aussi incontrôlé ― du bassin vers l’avant. La pression de sa main me ceinturant se fit plus forte ; l’autre alla errer sous mon débardeur, s’arrêtant à la naissance de ma poitrine.

Je perçus le bouleversement que lui occasionnait l’effleurement de la brassière qui enveloppait délicatement mes petits seins. Il eut une forte inspiration en plaquant plus fortement mon postérieur sur l’organe vibrant qui nichait à son bas-ventre. Je n’avais plus cette résistance, et encore moins le désir, nécessaires pour mettre fin à cette tangence de nos intimités qui nous amena vers un point de non-retour.

— Tu me laisses te caresser ? Tu es si belle… si jeune… Je ne te ferai aucun mal, promis… J’aimerais juste toucher un peu ton corps… Il y a si longtemps que je n’ai pas eu ce bonheur de câliner la peau d’une douce créature.

La supplique était sans détour, d’une grande simplicité, mais difficile d’y consentir.

— Je t’en prie, je sais que ça peut sembler mal placé, mais ce sera certainement la dernière fois que je toucherai le corps d’une femme…

Sa ténacité me fit vaciller ; le souvenir des extraordinaires moments partagés avec Philippe me redonnèrent cette indicible envie de les revivre. Dans un premier temps, je voulus feindre un refus comme pour me laisser gagner un peu de répit, mais mon hésitation à la formuler la rendit peu convaincante. Puis, débarrassée de mes derniers scrupules, je me retournai vers lui et jouai maladroitement à l’ingénue :

— Juste toucher un peu, alors…

Aussitôt formulée, ma phrase me parut stupide et totalement cynique. Comment pouvait-on laisser un homme qui manifestait un tel désir « toucher un peu » ? Cette incongruité ne sembla nullement effleurer le gaillard qui avait retrouvé la fougue que l’on dit généralement appartenir à la jeunesse. Se portant sur mon flanc, ses mains exploraient déjà la chair tendre de mon abdomen qu’il palpait avec délicatesse. Il lut mon abandon dans la mollesse qui m’envahissait, tout comme je remarquai son désir de m’explorer bien plus qu’« un peu » par la saillie qui enflait à son entrejambe.

Il se recula pour prendre une chaise puis, une fois assis, il me prit la main et m’attira à lui. Son regard était suspendu à ma taille, comme hypnotisé par la partie de mon ventre exposée sous mon débardeur trop court. Il se remit à masser mon petit bedon, geste puéril qui tranchait avec l’émoi qui me gagnait. Il releva la tête, me regarda avec une candeur désarmante, balayant mes dernières incertitudes, et s’inquiéta d’une voix devenue presque atone :

— Tu me laisses vraiment te caresser ?

Le silence qui suivit fut le meilleur signe de mon acceptation. Ses mains se firent agréablement exploratrices, vagabondant de mon ventre à mes cuisses, méprisant le pont intermédiaire. Mon corps s’exaltait sous cette double prospection, je me délectais de ces touchers, regrettant seulement que l’examen ne soit pas complet.

Enfin il me retourna pour m’ausculter plus pleinement ; ses pognes malhabiles transgressèrent la convenance pour masser les rondeurs de ma croupe. Après s’être assuré que leur galbe était conforme à la perception qu’il en avait eue, il reporta son attention sur la face première. Sans davantage oser s’y aventurer, ses doigts velus se hasardèrent aux frontières du défendu, s’arrêtant à la limite de ma culotte sous laquelle ma pétulante nature s’enflammait.

— Viens ! Assieds-toi sur mes genoux !

L’ordre étant affectueux, je ne lui laissai aucune chance de se répéter et m’installai avec candeur sur ses cuisses robustes. Toujours sans échanger le moindre mot, il poursuivit ses effleurements, mais cette fois sa curiosité semblait s’être amplifiée au point de se risquer à glisser la phalange d’un doigt dans l’entrebâillement de mon short, là où la peau est d’une finesse et d’une sensibilité extrême.

Timidité ? Malaise face à un acte de transgression ? Sa conquête de mes paysages prit fin dans un grand soupir, comme pour bien me signifier son impossibilité de passer outre les règles que nous imposent les convenances. Devant son inaction, devinant sa difficulté à conclure un examen bien mal engagé, je me relevai d’un bond, prenant prétexte de l’heure suffisamment avancée pour signifier mon envie de sommeil. Il ne réagit guère à ma promptitude, se contentant de me lancer un vague « Bonne nuit ! »

Avec la même célérité, je regagnai ma chambre, mi-guillerette, mi-accablée. Guillerette, car j’avais revécu ces instants d’excitation qui mènent l’homme à me manifester sa virilité ; accablée, car l’espérance n’avait pas été tenue.
C’est avec cette alternance de sentiments que je tentai de m’endormir, après m’être consolée de ce désir inabouti par une intime caresse.

Je n’en avais pas encore conscience, mais mon penchant pour la sexualité avait pris un nouvel élan, et j’étais bien loin de pouvoir l’entraver…

Auteure : Inanna

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