dimanche 24 août 2014

[Feuilleton] Double vie (24)

Relisez le chapitre 23

  
Les spécialistes avaient jugé eux aussi, de leur côté et sans connaître mon point de vue, que Clara était inconsciente, sans se prononcer plus que cela, et allongée sur le sol.

Tout le monde était prêt, Ruth m’avait fait signe de la tête. Elle portait un casque branché sur une sorte de hub relié à mon téléphone spécial, et je composai le fameux mystérieux numéro. Je me sentais à vif, mais très calme. Plongé en moi et sur ce qui allait se passer, à l’exclusion de tout le reste, de toute la marche du monde.
J’avais en tête l’image mortuaire de Clara, qu’on avait voulu, cruelle et insupportable ironie, intituler « Preuve de vie », une image qui n’allait pas quitter mon esprit de sitôt… Jamais sans doute, puis j’évacuai cette image : ça sonnait, à l’autre bout du fil.

— Oui.
— C’est moi, Carlos.
— T’as reçu l’image ? lança une voix rude, à l’accent étranger indéterminable.
— Pourquoi vous me tutoyez ? demandai-je aussitôt.
Il y eut une seconde de flottement, de la part de celui qui a du mal à y croire.


— Hein ? Tu te fous de moi ?
— Je veux parler à votre chef.
— C’est moi.
— Non. Passez-moi le responsable de votre opération.
— Écoute, connard, arrête de faire ton rigolo, sinon y va se pass…
— Écoute-moi TOI, répliquai-je rageusement d’une voix douce. Passe-moi ton chef, tu m’entends ? Je ne pense pas qu’un bordel pareil soit confié à un mec qui me traite de connard, alors que vous avez besoin que je sois coopératif, très coopératif, très gentil… Alors à toi d’être un gentil garçon, et passe-moi le responsable !

Il y eut un silence, j’entendais la respiration de colère du mec au bout du fil, en face de moi, Ruth me jeta un regard apeuré, mais elle avait aussi une ombre de sourire, j’avais prévenu tout le monde, mais tout le monde devait me trouver téméraire, sur la corde raide. Dangereusement provocateur.

— Allô ?
— Bonjour. C’est vous le responsable ?
— Oui… Vous faites le mariole, ce n’est pas forcément une bonne idée… me répondit une voix au très léger accent belge, je l’aurais parié.
— Je n’aime pas qu’on me prenne pour un con. Bon, on va pouvoir discuter. Que voulez-vous pour libérer Clara ?
— Vous avez reçu la photo ?

Répondre à une question par une autre question : l’homme maîtrisait son discours, et ce dans quoi il était engagé.
— Oui, je voudrais lui parler, la photo ne m’indique pas grand-chose, vous avez pu prendre cette photo avant de l’exécuter.
— Lui parler ? On verra… répondit-il d’une voix traînante, légèrement méprisante. J’aime pas les marioles.
— Que voulez-vous pour la libérer ?
— Tu le sais.
— Ben non ! Comment voulez-vous que je sache ? Je fais pas mal de trucs illégaux et hors-normes, et depuis des années, j’ai du mal à faire le tri, vous savez, ricanai-je.
— Les mémoires de ta copine banquière.
— C’est pour ça que vous l’avez tuée ? demandai-je sans relever qu’il me tutoyait : on passait à autre chose, d’égal à égal, donnant-donnant.
— Avant de calancher, elle a lâché le morceau : elle t’a demandé de planquer ça, on le sait. Alors fais pas semblant.
— Elle m’a juste amené un disque dur, sans rien me dire.

J’en avais parlé à Ruth : je ne pensais pas que ces mecs savaient à quoi ressemblaient les films, il fallait que je teste cette hypothèse.
— Ben c’est ça qu’on veut, ce qu’elle t’a donné. T’as regardé le truc ?
— Chuis pas un bleu, j’aime ma tranquillité, et j’ai qu’une parole, lâchai-je dans un couplet viril de truand au grand cœur… Elle m’a dit, tu le planques, je l’ai planqué.
— Ben c’est cool : tu vas le déplanquer, tu nous files ça, et tu retrouves ta nana aux yeux de biche, ricana-t-il.
— C’est la bonne blague qui fait que si tu me tombes dans les pattes, tu auras le temps de pleurer tes couilles avant de perdre connaissance…
— Tu joues les durs ? me demanda l’homme.
— À toi d’en juger, d’évaluer si je suis sérieux. Bon, quelles sont tes conditions ?
— T’as parlé aux flics ?
— J’ai l’air d’un mec qui parle aux flics ? Je trafique des armes, mec, tu le sais peut-être, parce que je bosse en Belgique, et je pense que t’es Belge, non ?
Il eut un ricanement pour trouver une contenance, parce qu’il ne savait pas que je trafiquais des armes (je n’en trafiquais pas, normal qu’il l’apprenne à l’instant), et un peu de panique que j’ai détecté son accent et son origine.

— Quelles sont tes conditions ? répétai-je pour maintenir la pression.
— Tu l’as, le disque dur ?
— Pas ici, mais je peux l’avoir dans la nuit.
— Ah ? Bon, on t’indiquera un parking d’autoroute, il paraît que ta copine faisait la pute sur les parkings…
— Pauvre merde, change de ton avec moi et rappelle-moi quand t’auras décidé de traiter avec moi.

Je coupai la communication, et en croisant le regard de Ruth, elle comprit que même si j’avais indiqué à son équipe et elle que je voulais et devais suivre une « ligne dure », la colère qui m’avait fait raccrocher n’était pas une stratégie, pas une volonté de garder l’avantage dans ce duel dont… une partie de l’enjeu, gisait morte sur un sol en béton.
— Vous avez quelque chose au niveau localisation ? demanda Ruth à son équipe.
— Oui, des relais qu’on analyse, banlieue sud ou sud-ouest, on va pouvoir affiner ça…
— S’il rappelle, ça va être plus précis ?
— Oui, s’il rappelle, il émet un SCR, un signal dans le maillage réseau, c’est plus facile à localiser… Mais on ne garantit rien…
— Je sais, répondit-elle, personne garantit rien. Merci. Oh, il rappelle !

— Oui ?
— Ça va mieux, t’es calmé ? me demanda la voix.
— Me chauffe pas, enculé. Toi aussi t’es calmé ? Tu parlais de parking…
— Ouais, fit la voix, quand t’as la marchandise, on va t’indiquer une autoroute, et puis un parking. Tu déposes ça où on te dit, tu repars, on vérifie le truc et on t’indique un aut’ parking où tu récupères ta copine.
— Passe-la-moi.
— Chuis pas avec elle.
— Écoute, je veux une vidéo sur mon téléphone, où elle me parle. Ta photo, elle pue. Elle est pas contre un mur, elle est allongée, je pense qu’elle est morte, tu vois. Je pense que tes putains de bourreaux ont fait une connerie, peut-êt’ même qu’ils ont pas osé te le dire. Voilà ce que je pense. Tu n’as pas la monnaie de l’échange, ou alors prouve-le-moi.

Il y eut un silence, et devant moi Ruth ouvrait de grands yeux, carrément déstabilisée, et j’enchaînai aussitôt.
— Écoute bien, je pense très fort que t’as foiré l’opération, toi et tes hommes, je pense même que le mec qui est derrière, çui qui te paye, il va pas apprécier. Mais écoute encore : je te laisse jusqu’à minuit pour me prouver qu’elle est vivante. Minuit. Entretemps, je récupère ce que recherche si fort ton commanditaire. À minuit on rediscute de tout cela, mais je te conseille de remuer ton putain de cul, et de tout dire à ton client, même si ce n’est pas très agréable pour ta réputation… en Belgique et ailleurs.

Je raccrochai.
Tétanisée, Ruth me dévisageait, abasourdie.
— Carlos, on était convenu que v…
— On était convenu… ? Tout le monde m’écoute, là ?
— Oui, je suis en ligne avec eux… me répondit-elle en tapotant son téléphone.
Je pensais que sa stupéfaction allait basculer sur la colère, la vexation de la responsable de l’opération qui n’a rien pu faire, mais sa voix était douce, et son regard ne me lançait pas les éclairs que j’attendais.

— C’est Carlos. Je devais leur laisser annoncer leurs instructions, dire que je réfléchissais… Nous laisser le temps d’analyser tout ça. Mais c’était pas le bon plan, je l’ai pas senti comme ça, je ne suis pas censé être un mec qui réfléchit, je suis censé prendre le dessus, combattre, connaître la mort par cœur… Je ne suis pas un mec qui a peur, et ce que me proposait ce mec, c’était des conneries. Même en bouclant l’autoroute, on aurait chopé deux clampins sans papiers à qui on a donné 500 € pour aller récupérer un sac à dos sur un parking !
— Juste un point, remarqua la commissaire, est-ce que vous ne pensez pas que provoquer, déstabiliser cet homme, lui annoncer que vous pensez que Clara… est morte, ne risque pas de tout compliquer, qu’il risque de se replier et de nous échapper ?
— Parce qu’il a peur de moi ? ricanai-je. Vous rigolez ? Il est coincé, il est dans une merde noire si elle est morte, comme je le pense. Plus de monnaie d’échange, et le commanditaire, vous pensez qu’il va lui dire : « Oh c’est pas graaaave, laissons tomber, on a perdu sur ce coup-là, remboursez-moi 50 % et on n’en parle plus ! » ?
— Je ne pense pas, en effet, répondit-elle avec un petit sourire qui apaisa un peu ma rage intérieure.
— Il est coincé entre moi et son client, il a peur, il croit même que je le connais, il a plus la trouille que s’il pensait que j’avais déballé tout aux flics. Il cherche une solution.
— Vous pensez qu’il va se découvrir ?
— Je ne sais pas. Mais quand… il avouera que Clara est morte, il saura que je suis avant tout un homme d’affaires…
— Ah oui, on a appris que vous étiez un trafiquant d’armes ?
— Oui, répondis-je avec un rire triste.
— Carlos, je le dis devant tout le monde, je pense que vous avez mené cette conversation avec une maîtrise impressionnante, déclara Ruth. Vous êtes au cœur des choses, et votre réaction, la manière dont vous avez mené le débat et gardé l’initiative, tout cela nous met sans doute dans une perspective que j’espère… favorable.
— Je pense qu’un chef en opération, sur le terrain, capable de dire ça, je le suis les yeux fermés.
Son visage, ému, se crispa brièvement.
J’aimais vraiment cette fille, son courage, sa sensibilité, elle était pleine d’émotions, mais tournée pourtant vers l’action, c’est rarement compatible, et presque jamais dans un tout cohérent.

— Maxime et les autres ?
— Oui Commissaire ? Heu… Carlos nous écoute ?
— Oui, répondit la commissaire, mais c’est encore moi la chef, rassurez-vous, ajouta-t-elle en souriant (je perçus des rires lointains). Il est impliqué avec nous. Les guetteurs réagissent ?
— Ils ont reçu des coups de fil, tous. À Colombes aussi, apparemment. On n’a pas pu tout capter, mais pour notre premier client, ici, c’est encore du serbe, À Colombes on a aussi capté quelque chose, on vient d’envoyer le son au labo. Et niveau localisation de votre appel, on a quelque chose, à Verrières-le-Buisson, dans l’Essonne, on affine, et les gars en noir se tiennent prêts. J’ai eu des infos, aussi, pendant la conversation…
— Quoi ?
— Deux mecs qui guettent ici sont recoupés. Mercenaires d’origine polonaise pour l’un, serbe pour l’autre, la piste se confirme, tous deux ont leur base en Belgique, on travaille dans cette direction pour les autres, un autre qui est à Colombes, peut-être recherché par Interpol, mais c’est pas sûr, un Allemand. Ça avance, Commissaire. Et j’ai eu un commentaire sur les films, c’est un truc énorme, d’après les techniciens, énorme… et très chaud, si je puis me permettre, d’après eux.
— Je crois qu’Irène a pas fini de foutre le bordel avec son cul, lançai-je avec un amusement fortement teinté de tristesse et de tendresse.
— Commissaire, les deux bagnoles de Colombes démarrent !
— Collez-leur au train, avec un max de prudence, c’est pas le moment de faire foirer les choses.
— Vous pensez qu’ils rappliquent par ici ou qu’ils rejoignent leur boss ?
— Je ne sais pas, mais le bordel créé par Carlos les fait bouger, on dirait… Bon. Autre chose ?
— Oui, Sylvia est en route avec les fac-similés des disques. Elle va rentrer dans l’immeuble comme une habitante lambda et vous rejoindre.
— Parfait. Bon, vous m’écoutez tous, à Colombes pour ceux qui sont encore là-bas, et ici ?
— Oui…
— Oui !
— À l’écoute ici…
— On y est, Commissaire…
— Bien ! Il est 21 h 41. D’ici minuit, ultimatum de Carlos, dans un peu plus de deux heures, ça va bouger, ils vont s’agiter, se découvrir sans doute, peut-être que le mec avec qui il a parlé va contacter son commanditaire.

Elle réfléchit un bref instant, j’aimais la concentration virile de son visage, et la saveur douce de ses yeux, malgré toute sa détermination en marche.
— Carlos a annoncé qu’il allait récupérer les films, reprit-elle, il reste un espoir à leurs yeux, un truc à négocier, à tenter… Et ils ont les clefs de l’appartement ! Tenez-vous prêts à une action choc de la part des guetteurs, je n’y crois pas mais il faut être prêt. Quand Sylvia aura déposé les fac-similés, black-out sonore de ma part, mais je reste à l’écoute.
— Commissaire ? C’est Mathieu.
— Oui ?
— Sylvia peut pas rester en soutien logistique dans l’appartement, s’ils veulent intervenir en débarquant chez Carlos ?
— Non, si le chef veut le voir pour négocier dans l’appartement, je pourrais me planquer, mais on ne pourra pas être deux. Mais si Sylvia peut m’apporter des cartouches de gaz et deux masques, ce serait bien.
— Ici Maxime, on l’informe. Et pour le GIPN ?
— Informez-les précisément, mais je ne veux voir personne de chez eux dans la rue avec leurs monospaces noirs aux vitres fumées, merci !
— Compris Madame, répondit joyeusement Maxime. Juste un ou deux hélicos ?
— Ah oui bonne idée, rigola-t-elle.
— J’ai deux gilets pare-balles dans la Mercedes, lançai-je en souriant. Réglementaires, je crois, mais mieux que ceux de la police, désolé.
— Sans déconner ? rigola Ruth. J’en suis ravie. Bon. On attend Sylvia. Restez concentrés.

La commissaire raccrocha et souffla tranquillement l’air de ses poumons.
— J’ai une super-équipe, sourit-elle.
— Ils doivent t’adorer… Tu veux un café ?

En attendant Sylvia, elle m’aida à ranger grossièrement le salon, en regardant son mobile régulièrement, je lui montrai où elle pouvait se planquer dans ma chambre si quelqu’un venait, et puis Sylvia s’annonça, je la reconnus et mis un nom sur elle quand elle fut sur le palier, elle rentra rapidement que je puisse fermer la porte.
Elle avait tout suivi, bien entendu, et nous donna les masques, les cartouches de gaz, elle prit mes clefs et alla chercher les gilets pare-balles dans la voiture, pendant ce temps je parlais à Ruth de mon idée, et en remontant, je frappai à la porte des voisins d’en face, Ruth et Sylvia derrière moi avec le brassard de police, duo de charme et de choc.
Cartes de police, Sylvia avec le gilet pare-balles qui ne m’aurait servi à rien, mon jeune voisin ouvrit de grands yeux et faillit s’évanouir, Sylvia rentra chez eux pour organiser sa planque et referma la porte.
Une fois revenus dans l’appartement, je mis le gendarme, personne ne rentrerait, même avec les clefs de Clara, Ruth indiqua alors le black-out de sa part et coupa la communication.
Elle disposa le gilet et les cartouches de gaz dans ma chambre et on continua à ranger, mais l’attente maintenait une pression qui s’accentuait lentement, il faisait chaud dans l’appartement.

Elle avait envie de baiser. J’en étais de plus en plus persuadé.
L’intensité de ses yeux de chat, une nervosité de son corps qui n’était pas que le danger, les enjeux, l’opération. Ses regards dont elle cherchait à modifier ou atténuer le sens quand ils croisaient le mien…
Un truc animal émanait d’elle, de cette femme que je n’arrivais pas à situer vraiment, elle m’avait d’ailleurs posé la bonne question : était-elle si pleine de tendresse qu’elle devait agir beaucoup pour faire avancer sa vie, ou bien était-elle une droguée d’action et de travail qui se faisait sans arrêt déborder par des vagues de douceur qu’elle ne pouvait pas juguler ?
Cette femme m’intriguait, m’émouvait, m’attirait, et je me rendais compte avec effroi que pour moi, pour moi tout entier, Clara était morte.
Le désir de plus en plus évident de Ruth, mon attirance latente pour elle auraient dû être anéantis, rendus insupportables en ces circonstances, et la photo de Clara, cette impression si morbide, l’évidence qui m’obsédait depuis que j’avais vu cette photo apparaître, auraient dû remplacer tout sentiment, anéantir toute ébauche de possibilité d’amorce d’un désir quelconque, à part celui de la vengeance.

Mais curieusement, ce n’était pas le cas, et tout aussi étrangement, aucune morsure de culpabilité ne venait me glacer et me rappeler à l’ordre. À l’ordre moral ?
La moralité, c’était de vouloir en finir avec les meurtriers de ces deux femmes si fragiles, détruites avec tellement de cynisme après avoir tellement souffert, de tout faire pour stopper les malades qui avaient fait cela pour protéger la réputation de je ne sais quel homme en arrière-plan.
J’avais choisi mon camp : celui de ceux qui se défoncent pour maintenir un minimum de sens au grand bordel imprévisible qui pourrissait tout ce que j’aimais.
J’avais choisi mon camp, celui des vivants.

Ruth était vivante. Pas immorale, pas une putain de garce sans retenue, c’était une femme vivante dont la pulsion de vie devenait envahissante, urgente, et de plus en plus belle.
Personne n’aurait compris, elle avait une trouille bleue je crois que je ne comprenne pas.
Mais la mort rôdait, une mort… aveugle.
La mort nous réclamait, la mort se foutait des gilets en kevlar, des chargeurs supplémentaires. La mort avait faim, elle avait un accent belge, elle me voulait, elle voulait Ruth.

Alors un moment, je frôlai Ruth pour me déplacer et j’attrapai sa hanche, on échangea un regard d’une intensité à couper le souffle, à voir ses yeux qui brillaient de tant de flammes, on aurait pu croire qu’elle me haïssait de toute son âme, tellement elle avait envie de tout son corps.
— On est pas en ligne avec toute la police d’Île-de-France ? murmurai-je en souriant.
— Non, pouffa-t-elle avec un sourire surpris et délicieusement enfantin.
— J’ai envie de toi.

Je l’embrassai, ouvris la porte en elle et elle se colla violemment à moi en plongeant sa langue chaude dans ma bouche en écrasant ses seins contre moi, et rien d’autre n’exista plus que l’urgence et le désir, mêlés face à la mort pour y opposer un mur de chaleur : il y avait les armes, les téléphones de tous calibres, les caméscopes, les disques qui enregistraient les témoignages, téléobjectifs, plaques minéralogiques, les équipements de sécurité, l’argent pour payer tous les tarés du monde, pour payer ma Mercedes, toute cette violence qui montait pour nous étouffer de désespoir, et puis en face, dérisoire mais au-dessus, il y avait les seins de Ruth, mon érection, l’urgence, l’urgence, la beauté entrevue de cette dentelle malmenée, la salive de Ruth et la mienne, son corps contre le mur, les putains de boutons de son jean qui résistaient, le rire dans ses yeux de folle, la paume de sa main qui s’enroula autour de mon sexe qui défiait tout, y compris le silence de Clara, qui s’enroula pour le guider en elle.

Son sexe vivant qui n’était pas assez mouillé, ouvert, qui n’avait pas eu le temps depuis les quelques secondes où nous étions devenus fous, alors la pénétration n’était pas facile, Ruth mordit sa main, je ralentis l’urgence pour que le chemin de son ventre puisse devenir glissant, j’improvisai de devenir délicat, d’attendre un peu, je mordillai ses seins, et son corps, ses nerfs, sa peau inventèrent ensemble que ma salive sur ses seins pouvait devenir le mouillé de son vagin qui me dévora et m’aspira au lieu de résister !
Je fus au fond d’elle, elle eut un regard de noyée qui lâche la bouée qui l’aurait sauvée, mais elle était plus vivante, survivante, plus vibrante que jamais, noyée de désir elle ouvrait la bouche pour avaler l’air chaud de toute la beauté de cet instant, en broyant mes épaules de ses doigts crispés, en tendant son bassin, le jean juste baissé lui entravait les jambes mais toute sa chatte s’ouvrait, respirait, m’avalait.
Juste nos souffles, il n’y eut aucun cri, aucun gémissement, tellement de monde tout autour nous guettait !
Nous deux, et eux tout autour, immobiles.

Je la pilonnais avec régularité, elle transpirait, secouait la tête, les yeux hagards, la bouche grande ouverte, se mordit le poing, serra fort les paupières et bloqua son bassin, mais je continuais, et elle se détendit soudain, eut un sourire vague, tendre, et me glissa un murmure presque inaudible à l’oreille :
— Jouis en moi, donne tout.
Un murmure fabuleusement excitant.
J’accélérai peu à peu, elle resserra le passage trempé de son vagin autour de moi, l’urgence, je devais laisser l’urgence m’envahir, je réprimai un cri et donnai un dernier coup qui la cloua au mur, elle mordit à nouveau sa main, yeux fermés, tandis que la première salve de mon sperme jaillissait en elle, tout au fond, suivie d’autres, animales, très chaudes, désordonnées, je me vidais en elle.

Et puis comme la mort était sans doute près de nous, impuissante mais si dangereuse, je me retirai doucement, donnai un mouchoir en papier à Ruth qui me réserva alors le plus tendre des sourires en plongeant ses yeux illuminés dans les miens, on se rhabilla.
Encore essoufflés.
Jus de pamplemousse, au goulot, devant le frigo, et puis l’horloge reprit ses droits : le marécage s’agitait tout autour de notre bulle de lumière.


Auteur : Riga
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2 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'ai découvert depuis quelque temps ton feuilleton "Double vie". J'avoue avoir été "scotché" et je suis devenu accro à sa lecture... et j'attends tous les deux jours la suite avec impatience.
    C'est magnifiquement écrit, le suspense est là en permanence. Les scènes érotiques sont chaudes sans être vulgaires. Tout pour faire un bon feuilleton.
    Bref, un seul mot : BRAVO !

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  2. Je suis touché, merci beaucoup… !
    (smiley rossissant)

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